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LUTHER. LE RÉFORMATEUR

haies avec leurs ronces, et combler les mares stagnantes. Je suis le rude bûcheron qui perce la route et la rend praticable. » W., t. xxx b, p. 68.

Tous ceux qui se sont arrêtés à Luther ont été frappés de ses accès de sombre tristesse ; ceux-là mêmes à qui sa nature était le plus déplaisante n’ont pu se défendre ici d’un mouvement de sympathie. D’ordinaire, ces combats intimes, c’était sous la forme d’une lutte avec Satan qu’il se les représentait. Et c’étaient des combats effrayants. Alors, nous dit-il, il en venait à ne plus savoir « s’il était mort ou vif ». Ses tentations de doute étaient tellement violentes « qu’il en arrivait à se demander si oui ou non il y avait un Dieu ». T. R., t. i, n. 1059 (1530-1535). Il disait en 1540 : « Le diable jette dans l’âme des pensées hideuses, la haine de Dieu, le blasphème, le désespoir. Voilà les grandes tentations, et pas un papiste ne les a comprises. Ces idiots d’ânes ne connaissent que les tentations de la chair. Ce sont les seules sur lesquelles eux et leurs saints ils ont écrit. Un jour, poursuivi par une tentation de ce genre-là, Benoît s’est jeté tout nu dans les épines, et il s’est consciencieusement déchiré le c… En réalité, à cette tentation-là, le remède est facile : il y a encore des femmes et des jeunes filles. Mais dans les tentations de blasphème, à la pensée du jugement de Dieu, on ne voit ni où commence le péché, ni où se trouve le remède. » T. R., t. iv, n. 5097.

Huit ans auparavant, ce reproche aux ânes de papistes était moins global : deux d’entre eux, Guillaume de Paris et Gerson, avaient écrit sur ces tentations. Ci-après, l’Augustinisme de Luther, col. 1195. Mais de plus en plus, il devait être entendu que le Réformateur « s’était élevé comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée ».

Un soir, dit un récit fameux, les étoiles là-haut brillaient au firmament ; le ciel semblait en feu. « Vois donc, dit Catherine à Luther ; quel beau ciel ! » Luther leva les yeux : « Oui, répondit-il, mais il n’est pas pour nous. » — « Eh, pourquoi, reprit Catherine ; est-ce que nous serions dépossédés du royaume des cieux ? » — Luther soupira : « Peut-être, dit-il, nous avons quitté notre couvent. » — « Il faudrait donc y retourner ? » reprit Catherine. — « Il est trop tard, répliqua le Docteur ; le char est trop embourbé. » Et il rompit l’entretien. Audin, Histoire de Martin Luther, 5e édit., 1846, t. iii, p. 180. Ce n’est là qu’une légende. C’est en 1709, dans une œuvre de polémique dépourvue de critique, qu’on la trouve pour la première fois. Jean Kraus, Ovicula ex Lutheranismo redux, Prague, 1709, t. ii, p. 39. Mais ici encore, la légende aura été une quintessence de vérité ; souvent, dans les profondeurs de son âme, Luther entendit sa conscience lui demander s’il n’avait pas désobéi à sa vocation, et si son œuvre venait vraiment de Dieu.

L’union avec Dieu. — Mais enfin, doutes, abattements n’auraient-ils pas été simplement des tentations du démon, des épreuves permises par Dieu pour purifier son serviteur ? Derrière ces épreuves, n’y aurait-il pas eu l’union intime avec Dieu ?

Pour séparer l’état de langueur spirituelle, état dangereux, de l’état de sécheresse spirituelle, état méritoire, quelle est la pierre de touche ? La prière. Pour l’âme, nous dit Tauler, il y a deux hivers. Dans les deux, l’âme est froide. Mais dans l’un, elle se dispose à rester dans sa froideur ; c’est le prélude de la mort. Dans l’autre, elle travaille à rester unie à Dieu ; c’est un hiver salutaire, qui présage le retour du printemps. Édit. d’Augsbourg, 1508, celle dont Luther s’est servi, ꝟ. 41 v° ; éd. F. Vetter, 1910, p. 61 ; trad. Noël, 1911, t. ii, p. 354 ; ci-après, Luther et les mystiques col. 1257. Dans lequel de ce deux hivers se trouvait habituellement l’âme de Luther ?

Chez les luthériens, depuis Mélanchthon, il a été assez d’usage d’appeler Luther un homme de prière. C. R.. t. xi, col, 731, 733 : Oraison funèbre de Luther, (22 février 1546). Assurément, Luther avait de belles dispositions pour la prière, de beaux restes de sa formation catholique et monastique. Il aime à exalter la puissance de la prière. Dans ses lettres a des amis, il demande souvent de prier pour lui et pour la cause de l’Évangile. L’une des dispositions qui frappait le plus son entourage, et surtout ses inférieurs, c’était la confiance en Dieu. Il était l’élu de Dieu. Dieu l’avait protégé ; il le protégerait toujours. De sa mentalité de religieux, il avait gardé le besoin de s’affirmer en communication directe avec Dieu. Et le prédicateur sentait encore plus le besoin de se présenter ainsi devant les foules. Chez Luther, on trouvait ce que l’on est haletant de rencontrer chez un directeur spirituel : une voix qui décide au nom de Dieu.

Mais enfin Luther a-t-il été réellement un homme de prière ? Avec les années, l’a-t-il été de plus en plus ? En 1523, il écrivait à un ami : « Je me porte assez bien ; mais je suis distrait par mille occupations extérieures ; l’esprit est presque éteint, et a rarement le temps d’entrer en récollection. Demande à Dieu que je ne finisse pas par la chair. » Enders, t. iv, p. 144. En 1532, il se reconnaît « moins zélé, moins sérieux, beaucoup plus tiède qu’autrefois sous le papisme. Et sous l’Évangile, cette tiédeur était universelle ». Mais, ajoutait-il, c’était le diable qui en était cause et non sa doctrine. W., t. xxxvi, p. 469, 12. Ainsi, dans maint endroit des écrits et des actes de Luther, c’est toujours le diable qui en arrive à triompher de Dieu. Toutefois, dans son second Commentaire sur l’Épître aux Galates, il ose regarder jusqu’à sa doctrine elle-même : « Plus nous sommes certains de la liberté que le Christ nous a acquise, plus nous sommes froids et négligents pour exposer la parole, pour prier, pour bien agir, pour supporter le mal, etc. » W., t. xl b, p. 61, 15 (1535).

Oh ! sans doute, il priait encore. Vers la fin de 1542, il disait à table : « Tous les jours aussi, j’ai à trouver du temps pour prier. Je suis heureux, quand je me couche, de pouvoir réciter les Dix Commandements, le Notre Père et un ou deux versets ; puis je m’endors en les méditant. » T. R., t. v, n. 5517. C’était à peu près la prière d’un bon soldat dans les tranchées ; c’est moins que la prière de Celui dont il est écrit : « Il passa toute la nuit à prier Dieu. » Et cette prière, avait-elle les qualités de la vraie prière chrétienne ? Il écrivait en 1531 :

« Je ne puis pas prier sans maudire. Quand je dis : « Que

ton nom soit sanctifié », je ne puis m’empêcher d’ajouter :

« Maudit, damné, honni soit le nom des papistes

et de tous ceux qui injurient ton nom. « Quand je dis :

« Que ton règne arrive », j’ajoute : « Maudit, damné, à

bas soit le papisme, avec tous les royaumes qui sur la terre s’élèvent contre le tien ». Quand je dis : « Que ta volonté soit faite », j’ajoute : « Maudits, damnés, honnis, à bas soient toutes les pensées et projets des papistes et de tous ceux qui travaillent contre ta volonté et tes desseins ». C’est ainsi que je prie tous les jours, du fond du cœur comme des lèvres, sans me lasser. » W., t. xxx c p. 470, 19. En 1536, il écrivait à Gaspard Müller : « Cher ami, dites donc aussi un Notre-Père de malédiction contre le papisme, pour qu’il attrape la Saint-Valentin. » Erl., t. lv, p. 120. Pour l’Allemand la Saint-Valentin, c’était la Saint Falentin. Et Falentin lui rappelait le mot Fallen, tomber. W., t. i, p. 412. La Saint-Valentin, c’était le mal caduc !

Plus loin, on verra Mélanchthon se joindre à Luther pour accorder à Philippr de Hesse l’autorisation d’un second mariage. Le fait s’étant ébruité, le pauvre neurasthénique tomba assez gravement malade. Luther vint à son chevet. Alors se passa une scène étrange. Luther, effrayé, s’écria : « Ah ! comme le diable a souillé cet organe de Dieu ! » Alors, il se