Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1157
1158
LUTHER. LA BULLE EXSURGE

protestants, cet homme, c’est Luther ; il empruntait ainsi l’expression de saint Paul parlant de son ravissment au troisième ciel. Comme Paul, il avait été terrassé ; comme Paul, aujourd’hui il était assailli « par les combats du dehors, les craintes du dedans ». Mais de Paul il savait aussi que « tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus auront à souffrir persécution ». Aussi, en 1520, il écrira à la fin de son manifeste A la noblesse allemande : « Je sais que si ma cause est juste, elle doit être condamnée sur la terre, et justifiée seulement au ciel par le Christ… Aussi, ma plus grande inquiétude et ma principale crainte, ce serait qu’elle put rester sans condamnation. J’y verrais un signe certain qu’elle ne plairait pas à Dieu. Papes, évêques, curés, moines, théologiens, que tous s’avancent donc à l’envi contre elle ; ce sont des gens tout désignés pour persécuter la vérité, suivant leur antique habitude. » W., t. vi, p. 469, 6.

Ce n’est qu’en se rappelant la hantise d’un appel divin, d’une mission à remplir, que l’on peut comprendre Luther, dans les années décisives qui vont de 1518 à 1522.

La plupart des causes de la Réforme sont lointaines et profondes. Il y eut le nominalisme dissolvant, très répandu au xve siècle, il y eut l’orgueil rêveur de L’Allemand, tendant au panthéisme, il y eut la corruption du Moyen Age expirant et de la Renaissance païenne, qui amena la théorie d’une justification par la foi sans les œuvres ; il y eut la puissance du clergé avec sa décadence morale, qui amena la révolte contre l’Église ; il y eut la haine de l’Allemagne contre l’Italie et le monde latin ; puis, cause prochaine et immédiate, il y eut la prédication d’indulgences à gagner au moyen d’aumônes et d’aumônes qui devaient être portées au dehors. Mais, pour allumer tous ces brandons et produire l’incendie, il y eut Luther. Il y eut le respect du Germain pour le professeur, opposé au mépris pratique du Latin catholique pour tout ce qui est préoccupation intellectuelle et désintéressée. Il y eut enfin la physionomie même de Luther : il y eut Luther tribun et écrivain populaire ; Luther, l’homme de l’Allemagne ; Luther, se donnant comme l’envoyé de Dieu, et, quelques années durant, parvenant sans doute à se le faire croire à lui-même. J. Paquier, Les causes de la Réforme protestante, dans Lumen, février-août 1921.

Retourné à Wittenberg (31 octobre 1518), Luther est pris dans le tourbillon d’une vie de plus en plus fiévreuse. Le 20 lévrier 1519, il écrivait à Slaupitz : Dieu m’entraîne, me pousse, plutôt qu’il ne me conduit. Je ne suis pas maître de moi ; je veux le calme, et le tumulte m’entraîne. » Enders, t. i, p. 130.

Le mois de décembre 1518 et le mois de janvier 1519 lurent occupés en partie par des négociations avec Charles de Miltitz, gentilhomme d’une ancienne maison de Saxe et camérier du pape. Miltitz vint trouver Luther avec des airs mystérieux, laissant croire à une haute mission de Léon X. En réalité, c’était un homme à courtes vues, que Luther berna par de vagues et pompeuses déclarations sur l’autorité du pape. Jusqu’à la fin de 1520, Miltitz reparaîtra çà et là dans la vie de Luther, et ses tentatives seront de moins en moins heureuses.

A la fin de juin 1519, Luther part pour Leipzig avec Carlstadt ; ils allaient y soutenir contre Jean Eck une dispute théologique sur la liberté humaine et sur l’Église ; ce fut Luther qui parla de l’Église. De l’avis général. Eck s’y distingua par sa science et sa précision, à quoi Luther ne sut opposer que des tendances, avec des mots retentissants. L’année précédente, il en avait appelé un concile général ; le 5 juillet, il déclarait que les conciles pouvaient errer dans la foi, qu’en effets plusieurs l’avaient fait, par exemple celui de Constance dans son action contre Jean Huss. « Que la peste l’emporte ! » s’écriait le duc Georges de Saxe, ardent catholique. Et Luther retourna à Wittenberg, fort mécontent d’une lutte où « l’on avait si mal discuté ». Enders, t. ii, p. 85.

Alors vint la grande année, l’année 1520. Luther y fournit un labeur littéraire extraordinaire. Quatre écrits s’y font particulièrement remarquer : De la papauté romaine, en mai ; et les trois que l’on a appelés les grands écrits réformateurs : A la noblesse chrétienne de la nation allemande, en août ; De la captivité de Babylone, en octobre ; De la liberté du chrétien, en novembre. Mépris de l’Église, haine du pape, redressement de l’Allemagne en face de l’Italie, mission à remplir, voilà ce qui souffle au travers de toutes les pages de ces écrits. Ils portèrent Luther au sommet de la popularité. L’âme allemande fut saisie par ce mélange étrange de cris de haine et d’effusions de piété, d’une piété intime et facile, jetant par-dessus bord tant de prescriptions de la veille. L’une des grandes causes de cet enthousiasme, c’était l’ignorance où l’on était de la personne de Luther. Ces lettres, ces écrits d’avant 1517, que nous connaissons aujourd’hui, tout cela était manuscrit et devait le demeurer longtemps encore. Luther se leva comme un météore. De sa personne, de son passé, de ses tendances, on ignorait à peu près tout. En sorte que lui et son entreprise, chacun pouvait se les modeler et les voir d’après ses propres aspirations.

III. LES CONDAMNATIONS. — 1° La bulle Exsurge. — Cependant, les vrais théologiens méditaient : ils s’effrayaient. Rome les consultait. Le 20 octobre 1518, Luther était parti précipitamment d’Augsbourg. Cajétan retournait à Rome. Après la dispute de Leipzig, Jean Eck s’y rendait lui aussi. Les universités de Paris et de Cologne, et surtout celle de Louvain étudiaient les doctrines du réformateur et en montraient le danger. A Rome, on instruisit le procès de Luther. Les pièces en semblent perdues. Toutefois, ces dernières années, on est parvenu à en reconstituer les phases.

Trop longtemps, le procès traîna en longueur. Léon X était préoccupé de l’élection à l’Empire, élection qui finit par tomber sur Charles-Quint. Puis les princes ecclésiastiques allemands se dérobaient. Enfin, le 9 janvier 1520, se tint un premier consistoire au sujet de Luther. Dès lors, le procès fut assez activement conduit. Le 1er  juin, la condamnation fut décidée ; le 15 parut la bulle Exsurge ; quarante et une propositions de Luther y étaient condamnées ; plus de la moitié avaient trait à la théorie de la justiflcation par la foi sans les œuvres, les autres à l’autorité de l’Église. Texte des propositions dans Denzinger-B., n. 711 sq.

A la fin de septembre, Luther acquit la connaissance précise de cette bulle. Il commença par essayer de gagner du temps. C’est en ce sens qu’il écrivit a Léon X son pamphlet : Sur les nouvelles bulles et mensonges de Jean Eck. Au commencement de novembre, dans un nouveau pamphlet Contre l’exécrable bulle de l’Antéchrist, il devient plus agressif. Enfin, il se décide à couper les ponts. Le 10 décembre, devant la porte de l’Elster, il brûle la bulle en public. Tandis qu’elle brûlait, il dit solennellement : « Puisque tu as troublé le saint du Seigneur, que le feu éternel le trouble à jamais », ou peut-être plutôt : « Puisque tu as troublé la vérité de Dieu, que le Seigneur te trouble dans ce feu. » H. Bœhmer, Luther und der 10 December 1520, 1921, p. 16. Les écrivains protestants trouvent évident que par ce saint du Seigneur » ou « cette vérité de Dieu », c’est Jésus-Christ ou sa doctrine qu’il a voulu désigner : c’est une calomnie des « Romains » d’avoir supposé que c’était de lui qu’il voulait parler.