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LUTHER. LA RÉVOLTE OUVERTE

Luther, si du moins ce barbare consentait à être moins violent et grossier, peut-être s’entendrait il avec lui.

Dans toute l’affaire de Luther, nous retrouvons cet aspect complexe de Léon X. Par une bulle que du reste il n’aura pas composée lui-même, il finira par condamner sévèrement Luther. Mais, en même temps, il continuera d’entretenir les plus cordiales relations avec un précurseur de Luther, Érasme, qui avait écrit pis que Luther contre la cour de Rome.

Gabriel de la Volta transmit à Staupitz la lettre de Léon X. Mais on ne voit pas le compte qu’en tinrent Staupitz et sa congrégation.

A la fin du mois d’avril 1518 se tint à Heidelberg le chapitre général de cette congrégation. De Rome, on avait reçu l’ordre de demander à Luther une rétractation. P. Kalkoff, Forschungen zu Luthers römischen Prozess. 1905, p. 44, 45 ; Entscheidungsjahre, 1917, p. 37, 38. En réalité, ce fut en triomphateur qu’il y parut. Staupitz, son protecteur, fut réélu comme vicaire général ; à la place de Luther comme vicaire de district on élut Jean Lang, son ami intime. Pour Luther lui-même, on le chargea le 26 avril de diriger une dispute théologique restée célèbre dans sa vie, et où il développa ses idées sur la justification, ci-après, col. 1158 ; seuls protestèrent Arnoldi d’Usingen et quelques autres pères, surtout parmi les plus âgés. Sur les indulgences on garda un silence absolu, évidemment à dessein. Ainsi dans la nouvelle théologie de Wittenberg, non plus que dans l’attitude de Luther au sujet des indulgences, la congrégation presque entière ne trouvait rien à blâmer ! Ce chapitre fut véritablement la banqueroute des augustins de Staupitz.

Mais de nouvelles plaintes étaient portées à Rome ; le 7 août 1518, Luther recevait l’ordre d’y comparaître dans les soixante jours. Puis, avant l’expiration du délai, on écrivait de Rome au cardinal Cajetan, alors à la diète d’Augsbourg, de le citer devant lui pour une rétractation. Le 7 octobre, Luther arriva à Augsbourg, avec une recommandation de Frédéric de Saxe et un sauf-conduit de l’empereur Maximilien. Dans son voyage, il avait constaté que l’Allemagne était déjà pleine de son nom. A Augsbourg, écrit-il à Mélanchthon,

« tous désirent voir l’Érostrate qui a allumé un si

grand incendie », Enders, t. i, p. 244. Du 12 au 14 octobre a lieu la fameuse comparution d’Augsbourg. Luther a devant lui un grand théologien, un esprit ouvert, et qui ne répugne même pas aux hardiesses de pensée, un homme austère, l’une des plus belles figures catholiques de l’époque. Mais avant même la comparution, comme ses lettres le montrent, sa décision était prise. Il refuse donc de se rétracter. Le 20 octobre dans la nuit, il quitte Augsbourg en secret, retourne à Wittenberg, et lance un appel au concile général.

II. LA RÉVOLTE OUVERTE (20 oct. 1518-15 juin 1520) — Dès lors, il entre à toutes voiles dans la voie de la révolte. Dans cette lutte, une haine et un enthousiasme vont le soutenir, et contribuer puissamment à son triomphe : la haine de l’Église ou mieux la haine du pape, et l’idée d’une mission reçue de Dieu.

Pour nous soutenir, la haine est d’ordinaire plus puissante que l’amour. Ce qui, avant tout, a soutenu Luther, c’est une grande haine, la haine du pape. Désormais, il y aura quatre objets à exciter particulièrement sa colère : le pape, les ordres religieux, la messe, la théologie scolastique. De ces quatre objets, c’est sans contredit la papauté qui lui était le plus odieuse ; Luther dans sa lutte contre la papauté, c’est une quintessence de Luther.

Le 11 décembre 1518, il envoie à Wenzel Link, augustin alors à Nuremberg, les actes de sa comparution devant Cajétan ; il lui annonce d’autres écrits prochains, et il lui dit : « Tu y verras si je ne suis pas dans le vrai en estimant d’après saint Paul que le véritable Antéchrist règne dans la curie romaine ; je crois être en mesure de prouver qu’aujourd’hui il est pire que le Turc. » Enders, t. ii, p. 310. Par ce mot d’Antéchrist, voulait-il désigner spécialement Léon X, le pape régnant ? Non, mais plutôt le pouvoir pontifical lui-même, ou mieux encore l’ensemble du gouvernement de l’Église romaine. En tout cas, le mot lui a tant plu, que désormais il le répétera à satiété, et de plus en plus en l’appliquant directement à l’autorité papale elle-même.

D’ailleurs, pourquoi aurait-il besoin de l’Église et du pape ? De très bonne heure, l’idée d’une mission reçue de Dieu se fixe dans son esprit.

La genèse de cette idée est fort curieuse et assez complexe : tempérament à impulsions, jeunesse, orgueil, paroles d’admiration et d’encouragement, situation hors pair à Wittenberg et dans son ordre, race portée à l’illuminisme, décadence intellectuelle et morale dans l’Église, fermentation générale à l’époque, influence des mystiques, toutes ces causes vinrent y contribuer à la fois.

Luther se sent appelé à de grandes choses. Par Christophe Colomb, le monde latin vient de découvrir l’Amérique ; par Luther, l’Allemagne elle aussi va découvrir un nouveau monde.

En professeur et en homme d’étude, la grande entreprise à laquelle il s’attachera, ce sera la réforme de la théologie, ou, pour parler plus exactement, la réforme de la doctrine même de l’Église. Il trouva

« la théologie de Wittenberg », expression d’intention

dénigrante, inventée par des adversaires, mais dont lui-même il se servait avec fierté. Cette théologie nouvelle, c’était la théologie de la corruption radicale de l’homme déchu et de la justification par la foi sans les œuvres. Il en avait trouvé les germes dans la lecture d’anciens théologiens, puis vraisemblablement dans des conversations lors de son voyage en Italie (1510-1511) ; sa nature avait fait le reste. Dans ses Dictées sur le Psautier (1513-1515), et surtout dans son Commentaire sur l’Épître aux Romains (1515-1516), il avait exposé la nouvelle doctrine. Des thèses retentissantes. en 1516 et 1517 à Wittenberg, en 1518 à Heidelberg, l’avaient hautement affirmée et fait connaître au dehors. Contre cette doctrine s’élèvent tout d’abord des réclamations de théologiens. Mais puisque Luther s’attaquait à la doctrine même de l’Église, à notre responsabilité, condition des sanctions de Dieu à notre égard, il était impossible que les protestations demeurassent dans l’ordre privé. Aussi, dans la bulle Exsurge, du 15 juin 1520, qui le condamna définitivement, plus de la moitié des propositions ont trait à la théorie de la justification.

L’Église va donc condamner Luther. Ce lui sera une nouvelle preuve de sa mission. Il a lu les mystiques : il s’est enivré de Tauler, de la Théologie germanique. Ces mystiques lui ont parlé avec onction de la théologie de la croix, c’est-à-dire des épreuves que Dieu envoie à ceux qu’il veut purifier : tribulations du dedans et du dehors, nuit de l’âme, enfer mystique. Si Dieu lui envoie les mêmes épreuves, c’est qu’il veut le rendre digne de la mission qu’il lui a confiée. Au milieu de 1518, dans ses Solutions sur la valeur des indulgences, il parle « de la crainte et de l’effroi, vrais supplices du purgatoire et de l’enfer ». « Qu’ils sont nombreux, ajoute-t-il, ceux qui aujourd’hui encore sont abreuvés de ces souffrances ! Jean Tauler, dans ses sermons allemands, qu’enseigne-t-il autre chose que le support de ces peines ?… Moi-même je connais un homme qui affirmait les avoir souvent éprouvées : elles étaient de courte durée, mais si intenses et si infernales que la langue ni la plume ne les saurait exprimer. » W., t. i, p. 555-557. « Je connais un homme » : de l’avis commun, notamment parmi les