Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1149
1150
LUTHER. LA PÉRIODE CATHOLIQUE

veille, l’université de Wittenberg en avait beaucoup moins encore ; la ville n’était qu’une misérable bourgade, de deux à trois mille habitants au plus. Dans ce milieu, sa facilité de parole aidant, ainsi que ses allures tranchantes, et ce je ne sais quoi d’hypnotiseur qui se dégageait de lui, Luther fut bientôt en vue. Tout dut plier devant lui ; les principaux professeurs durent se soumettre ou se démettre. Bientôt, ses prédications, plus encore sans doute que ses cours à l’université, achevèrent de le rendre le grand roi de la petite Wittenberg. Dès lors, il pourra suivre ses impulsions, et les prendre pour des directions venues de Dieu.

Enfin, la position de Wittenberg aidera beaucoup à la propagation de sa réforme. La ville est au centre de l’empire. Là, l’Allemagne viendra à la fois lui demander des directions et influer sur lui. De Wittenberg, Luther rayonnera sur l’Allemagne.

Subitement, à la fin du mois d’octobre 1509, il est rappelé à Erfurt. Un an après, à l’automne de 1510, il part pour Rome.

Les augustins étaient partagés entre observants et conventuels. L’ordre était alors assez relâché ; peu après, au Ve concile du Latran, on songera à le supprimer. Pour réagir contre cette décadence, certains couvents, notamment en Italie et en Allemagne, s’étaient groupés en congrégations. C’étaient les observants. Les autres s’appelèrent conventuels. La différence entre observants et conventuels allemands consistait moins dans la divergence des règlements que dans la manière dont ils étaient observés. Chez les observants, les statuts étaient même plus doux, notamment pour les jeûnes, mais les dispenses plus rares. A.-V. Millier, Luthers Werdegang bis zum Turmerlebnis, 1920, p. 25-27. Entre observants et conventuels, il n’y avait guère de pénétration.

Jean Staupitz était alors vicaire général, c’est-à-dire supérieur de la congrégation d’Allemagne. Or, vers 1510, il songea à prendre aussi sous sa direction les conventuels allemands. Sept couvents d’observants, dont celui d’Erfurt, se déclarèrent contre ce projet. Luther se mit du côté des observants ; de là, son voyage à Rome ; il le fit comme l’homme du couvent d’Erfurt. Le voyage dura cinq mois, le séjour à Rome à peu près quatre semaines. A l’aller, il dut passer par Innsbruck et le col de Septimer ou peut-être celui du Brenner ; au retour, par le midi de la France.

Le but officiel du voyage ne fut pas atteint. Mais quelles impressions ce voyage laissa-t-il dans l’âme de Luther ? Les splendeurs artistiques de Rome et de l’Italie le laissèrent complètement indifférent. Neiges des Alpes, déchirures grandioses des montagnes de la Suisse ne lui parlèrent pas davantage. Les désordres de Rome firent-ils sur lui une vive impression ? Peut-être ; pourtant, on ne saurait l’affirmer sans de fortes réserves. Il est plus probable qu’il s’y initia à un certain augustinisme très pessimiste, qui semble avoir été alors assez répandu chez les augustins d’Italie ; il y aurait peut-être pris des éléments lointains de sa théorie de la justification par la foi. Voir ci après, Théologie de Luther, 1re partie, col. 1198 sq.

De retour en Allemagne, Luther se sépare des observants, et se rapproche de Staupitz. Dès lors, il ne cessera d’invectiver et d’agir contre observants et observances. De là, en partie, ses attaques contre les œuvres elles-mêmes, quelles qu’elles fussent, et sa théorie de la justification par la foi. Delà, pour une part notable aussi, la victoire des conventuels ; sans s’unir administrativement à eux, les observants se mirent à les imiter. Finalement, vers 1521, augustins de toutes nuances passeront en foule à la Réforme.

Dans l’été de 1511, Luther retourna a Wittenberg Il y resta jusqu’à sa mort, comme professeur d’Écriture sainte. Au mois de mai 1512, il fut nommé sous-prieur du couvent. Le 18 octobre de la même année, il subit brillamment à l’université les épreuves du doctorat en théologie. En 1515, il fut nommé vicaire d’un district, c’est-à-dire inspecteur de onze couvents de sa congrégation.

De la seconde moitié de 1513 au mois d’avril 1515 ou même jusqu’en 1516, il professa ses Dictées ou Leçons sur le Psautier ; du mois d’avril 1515 au mois d’octobre 1516, il commenta l’Épitre aux Romains. Les Dictées ont déjà des notes très précises de sa théorie de la justification ; le Commentaire sur l’Épitre aux Romains contient la théorie presque eu entier. Dès 1515, Luther était pleinement hérétique.

II. LA VIE INTÉRIEURE. — C’est ici la partie capitale de la vie de Luther, et cette partie sera toujours sujette à contradiction. Tout en étant plus nombreux que naguère, les documents contemporains de sa jeunesse et de sa vie monastique sont assez rares. Plus tard, Luther abondera en confidences sur cette période de sa vie ; mais la plupart de ces confidences sont fort tardives, postérieures à 1530 ; par-dessus tout, elles se contredisent entre elles, et elles contredisent fortement les documents contemporains des faits.

Pour la plupart des protestants, il est entendu que la vie de l’étudiant fut sans oubli. Pour la vie du jeune moine, ils la présentent sous des couleurs effrayantes. Autour du jeune maître, c’est dans le couvent une atmosphère de sourde jalousie. On lui impose des offices bas et humiliants : balayages dans le monastère, nettoyage des cabinets, mendicité dans les rues d’Erfurt, le sac sur le dos. Mais, en comparaison de la désolation intérieure, les ennuis extérieurs ne sont rien. Sa piété était parfaite, ses mortifications effrayantes. Pourtant son âme ne connaissait pas la paix. Il ne voyait devant lui qu’un Dieu jaloux, irrité, capricieux ; il ne savait comment le satisfaire. K. K., t. i, p. 55-63.

Avant l’entrée en religion. — Quelle fut la vie religieuse et morale de Luther avant son entrée dans le cloître ? Vraisemblablement, celle de l’ensemble des jeunes gens et étudiants, avec quelque chose d’au-dessus de la moyenne, au point de vue religieux, moral et surtout intellectuel. Ses parents l’élevèrent en bons catholiques, avec une austérité particulière, venant de leur nature et d’une certaine gêne dans leur situation.

Quelle fut sa vie morale pendant ses années d’université ? Quand il parlera des péchés de sa jeunesse, il entendra surtout les œuvres d’ascétisme catholique, par lesquelles il s’était tué dans le cloître. Un jour pourtant, à côté de ces œuvres, il s’échappera à placer d’autres péchés encore : « Oui, j’ai été un grand, un triste, un honteux pécheur ; j’ai mené et perdu une jeunesse coupable ; toutefois, il reste encore que mes péchés les plus monstrueux ont été de prétendre être un saint moine, et pendant plus de quinze ans d’avoir par tant de messes si abominablement irrité, frappé et martyrisé mon cher Maître. » W., t. xxvi, p. 508, 32 (1526). De ces fautes de jeunesse, on a cru récemment avoir découvert une attestation encore plus précise, une lettre du 23 février 1503. « Jusqu’à présent, y dit l’étudiant qui l’a écrite, la crapule et l’ivrognerie m’ont empêché de rien écrire ou lire de convenable. » Zentralblalt für Bibliothekswesen, 1916, p 85. De cette lettre, nous n’avons qu’une copie, et cette copie ne porte pas de signature. Celui qui l’a publiée n’a pas hésité à l’attribua à Luther, et à la lui attribuer dans une revue de teinte fortement protestante, la Zeitschrift für Kirchengeschichte, 1916, p. 507-509, Mais, depuis lors, on a déclaré qu’un Luther crapuleux et ivrogne « répondait mieux au Luther du