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LULLE. LE SOUVENIR DE RAYMOND LULLE


let 1775) le maintinrent dans les mêmes limites. Sous Pie IX, le Il septembre 1847, le culte et un ofïlce nouveau furent de même confirmés ; le 10 juin 1858, sur les instances du R. P. Bernardin de Montefranco, le privilège était étendu à l’ordre franciscain où la fête se célèbre encore le 3 juillet. S Bové, Historia del culte sagrat y publich que’s dona al B. Ramon Lull, dans Rioisla Lulliana, 1901, 1. 1, p. 32-38.

2° L’école lulliste. Ses luttes. — Si la grandeur morale de R. Lulle a été ainsi généralement reconnue, même par l’Église, il n’en a pas été de même de la valeur de ses doctrines. Autour d’elles s’est élevé un long et douloureux débat, qu’on ne peut rappeler ici que brièvement ; la plume d’ailleurs se refuse £ transcrire les alrocissima stigmata dont parle Sollier, Acta SS., p. 716, et qui lui ont été infligés pendant des siècles. Sollier, Acta SS, p. 713-728 ; Menéndez y Pelayo, Historia, 1. 1, p. 526-539 ; J. Avinyo, Historia del Lulisme, Vilanova, 1925, sur ce livre cf. R. d’Alôs, dans le Criterion, Barcelone, 1925, t. i, p. 250-258, et P.-A. Ivars, O. F. M., dans Archivo Ibero-Americano, Madrid, 1926, t. xxv, p. 129-135.

La crise commença en France et en Espagne dans la seconde moitié du xive siècle. Au témoignage de Gerson, De examinatione dcctrinarum, p. 2, édit. d’Anvers, 1706, t. ii, p. 13, la faculté de théologie de l’Université de Paris censura certaines propositions et la terminologie du grand Art. En Espagne, la lutte commença avec Eymérich. O. P. f 1399, Quétif-Echard, Scriplores ordinis pnedicalorum, Paris, 1721, t. i, p. 714-717 ; E. Grahit, El inquisidor Fray N. Eymérich, Gérone, 1879. Elle fut extraordinairement violente et longue. F. Gazulla, Historia de la falsa bula a nombre del papa Gregorio XI, dans B. A. L., 1909, p. 264-273, 289, 305, 371, 1910, p. 1, 22, 58, 68, 106 ; Avinyo, op. cit., c. 4-10 ; A. Ivars, O. F. M., Los jurados de Valertcia y et inquisidor Fray N. Eymérich, dans Archivo Ibero-Americano, Madrid, 1916, t. vi, p. 68-159 et t. xv, p. 212-219.

Des causes politiques la firent éclater. Pierre IV d’Aragon était mécontent d’Eymerich dont le caractère était turbulent et violent, A. Ivars, dans Y Archivo, 1916^ t. xxv, p. 134 ; il s’en plaignit au maître général des Frères prêcheurs. Gazulla, Historia, 1909, p. 371. D’autre part, le roi autorisait Bérenguer de Fluvia à lire le grand Art dans son royaume, le 10 octobre 1369. A. Rubiô, Documents, t. i, p. 222-224. En 1371, les rapports se tendirent entre le roi et l’inquisiteur ; ce dernier ayant voulu procéder contre le chancelier royal, François Roma, Pierre IV le lui interdit le 9 octobre 1371, A. Rubiô, Documents, t. i, p. 234 ; mais l’inquisiteur passa outre, ce qui mécontenta extrêmement le roi, ainsi qu’il ressort d’une lettre de Pierre IV adressée à Eymérich, le 25 octobre. Avinyo, Catalech, p. 399. A ces plaintes, Eymérich répondit en soulevant la question lulliste. Jusqu’alors la doctrine de R. Lulle « était restée pleinement étrangère au conflit », A. Ivars, Los Jurados, p. 70 ; personne non plus ne l’avait censurée, pas même le carme Guy de Terrena, évêque de Mallorca (1321-1332) dans son Catalogue des hérétiques ; au contraire, au témoignage même d’Eymerich, R. Lulle était vénéré en Catalogne comme un bienheureux et ses écrits très répandus. A. Ivars dans V Archivo, 1926, t. xxv, p. 131, 132. Chapelain de Grégoire XI, savant et énergique, Eymérich pouvait tout obtenir. Dès le 5 juin 1372, Grégoire XI, par la bulle Nuper dilecto donnée à Pont-de-Sorgues, dilecto filio Nicolao Eymérich nobis referente, ordonna à l’archevêque de Tarragone, Pierre Clasquerin, d’examiner les écrits de R. Lulle de concert avec Eymérich et une commission de docteurs et de les brûler s’il y trouvait des erreurs. A. Rubiô, Documents l. i, p. 241. Le 29 septembre 1374, un rescrit de Gré goire XI, Ad audientiam, mandait a l’officialité de Barcelone de faire parvenir sans retard à Avignon un livre catalan de R. Lulle, dont le titre n’est pas indiqué. A. Rubiô, Documents, 1. 1, p. 259.

Quels furent les résultats de ces actes pontificaux, rien ne l’établit positivement. Toujours est-il que Pierre IV, roi d’Aragon, fort mécontent, bannit, le Il mars 1375, Eymeric et Pierre Begueny, O. P., de tous ses domaines. A. Rubiô, Documents, t. i, p. 261, Un an ne s’était pas écoulé que parut, le 25 janvier 1376, la soi-disant bulle de Grégoire XI, Conservationi purilalis, condamnant vingt ouvrages de R. Lulle, taxant d’hérétiques 200 propositions qui en étaient extraites et ordonnant de soumettre les autres ouvrages à un sévère examen. Ivars, Los Jurados, p. 107-109, Sollier, Acta SS., p. 719, 720. Texte dans Duplessis d’Argentré Collectio judiciorum, 1. 1, p. 248.

C’est cette pièce qui est au fond de « l’éternelle question lullienne ». Son authenticité, généralement admise par les historiens et les théologiens de l’ordre de Saint-Dominique et aussi par E. Grahit, op. cit., p. 51-55, et J. Rubiô, R. Lull., p. 556, maisniée par les lullistes et par les PP. Custurer et Sollier, S. J., qui firent œuvre de critique indépendante, n’a jamais été démontrée. Son caractère apocryphe est solidement établi.

1. En effet, un an après, le 7 janvier 1377, Pierre IV d’Aragon, qui est intéressé au débat au premier chef, l’ignore encore. Dans une lettre à Grégoire XI, A. Rubiô, Documents, 1. 1, p. 268, il ne parle que d’un rescrit ordonnant de remettre aux évêques de son royaume les ouvrages de R. Lulle ; il supplie ensuite le pape de faire l’examen d’un livre catalan du bienheureux à Barcelone pour la raison obvie que les théologiens du pays connaissent mieux la langue que les clercs d’Avignon. Il s’agit évidemment ici de l’ouvrage visé par la deuxième bulle de Grégoire XI (sept. 1374) et que les débats subséquents nous font connaître, à savoir le Lib. de philosophia amoris. Sous la plume du roi, il n’y a aucune trace d’un document pontifical condamnant vingt ouvrages et deux cents propositions de R. Lulle et dont l’éclat n’aurait échappé à personne, encore moins à la cour royale et à la famille des Lulle, qui apparaît souvent au cours de cette douloureuse histoire. Il est aussi impossible d’expliquer que Pierre IV demande que l’on examine à Barcelone le Lib de phL losophia amoris, si déjà par une sentence pontificale, antérieure d’une année, il est le premier des ouvrages proscrits, comme le dit Eymérich. Sollier, Aida SS.. p. 718, n. 70.

2. En second lieu les critiques ont fréquemment signalél’étrangeté du paragraphe, Nos autem cupientes, de la soi-disant bulle. A. Hicquey ( = Dermicius Thadei), Nitela franciscanæ religionis, Lyon, 1627, p. 482 ; Gazulla, Historia, 1909, p. 305 ; A. Ivars, Los Jurados p. 73. Condamner en effet vingt ouvrages et deux cents propositions sans désigner ni le titre des livres ni aucune des erreurs censurées est absolument contre le style de la curie romaine ; l’histoire des condamnations portées au xive siècle contre maints auteurs, Jean de Pouilly, Eekart, Jean de Jandun, Denys Foullechat, etc., établit que le Saint-Siège ne procédait pas ainsi.

3. De plus, la bulle en question ne se trouve point dans les registres de Grégoire XI. Sur les instances d’Antoine Riera, lulliste de Valence poursuivi comme hérétique par Eymérich, le cardinal Léonard de Giffon fut chargé d’enquêter à ce sujet par Clément VII ; or, après un examen officiel fait par les notaires et les registrateurs de la Chambre apostolique, un acte notarié du 10 juillet 1395, déclarait que la pièce ne se trouvait pas dans les registres de Grégoire XI. Hicquey, Nitela, p. 478-481 ; Sollier, Acta SS., p. 721-723 ; A. Ivars, Los Jurados, p. 97, 98. Il est vrai qu’aujour-