tante dans l’histoire de la spiritualité médiévale non seulement en raison de ses nombreux ouvrages mystiques, de la richesse doctrinale de leur contenu, du « lyrisme des divines effusions du cantique de l’ami et de l’aimé », Menéndez y Pelayo, Origenes, t. i, p. 80, mais aussi parce que la massive construction du Llibre de Contemplacio est exactement ordonnée, comme la synthèse bonaventurienne si brillamment étudiée par M. E. Gilson, à la paix de la contemplation mystique. Lib. Cont., t. V, c. ccxv-ccclxvi, t. x, p. 337-600. Sauf peut être M. Asin y Palacios, El lulismo exagerado dans La cultura espanola, 1906, p. 535, qui voit chez R. Lulle un mystique plus ou moins inspiré par la spiritualité arabe, les critiques les plus autorisés reconnaissent en lui avec Probst, op. cit., p. 112, « le précurseur franciscain des Jean de la Croix et des sainte Thérèse, fruits originaux aussi de la terre ibérique ». A. Salcedo Ruiz, La literatura espanola, p. 304 ; .Menéndez y Pelayo, La ciencia espanola, t. iii, p. 31-33, l’affirme tout spécialement avec son autorité de grand critique littéraire : « R. Lulle, dit-il, est mystique de toutes les puissances de son âme, il l’est à la manière de saint Bonaventure et des premiers disciples de saint François dont la poésie ardente, pleine de candeur et du sentiment de la nature, s’imprime fortement dans l’âme… Il ouvre la série de nos grands mystiques et cède la palme seulement à deux ou trois des plus grands du xvi c siècle qui l’emportent sur lui par la perfection de la forme artistique, fleur et fruit de la Renaissance, mais non point par l’originalité et la vivacité des conceptions ni par l’effusion enflammée et impétueuse des sentiments affectifs. » Sa doctrine a d’autant plus d’autorité que R. Lulle a connu des expériences mystiques si hautes qu’il ne peut les exprimer. L’Art de contemplation, édit. Probst, p. 104 ; L’ami et l’aimé, n. 69, trad. M. André, p. 24, et que L’Aride contemplation est le résumé de ses méditations, L’Art, p. 59.
R. Lulle s’élève vers la paix de l’union mystique par le procédé même qui inspire l’Itinéraire de saint Bonaventure et consiste d’une part dans la contemplation de tout l’ordre des choses, — Dieu, l’homme et le monde, - — que relie le symbolisme universel, et d’autre part dans l’application méthodique des puissances de l’âme et l’exercice des sens spirituels. Chez lui, presque tout devient matière à méditer. L’Ami, n. 356, p. 109, ainsi qu’il ressort du Llibre de Contemplacio. h’Art de contemplation ramène cette diversité à douze sujets principaux : « Vertus divines, essence, unité, Trinité, incarnation, I’cder noster, Ave Maria, commandements, Miserere mei, sacrements, vertus et vices. » L’Art, p. 59. Au premier degré, la méditation se porte sur le monde : « Par son imagination, l’Ami peignait les traits de son Aimé et leur donnait une forme dans les choses spirituelles et avec sa volonté il les adorait dans toutes les créatures. » L’Ami, n. 332, p. 102. Ce degré franchi, la contemplation se fixe principalement sur Dieu et ses attributs. « Quelques âmes, dit le P. l’aber, Bethléem ou le mystère de la sainte l’.nfanee, Paris, 1862, t. ii, p. 9-12, par une sorte de prédilection hardie vivent parmi les attributs de Dieu, et ces attributs divins, séjour de leur dévotion, sont pour eux ce que sont pour d’autres le calvaire, Bethléem ou le Tabernacle. » R, Lulle fut de ce nombre. L’art de re livre, écrit-il, est de contempler d’abord les vertus divines lis unes dans les autres et puis dans les autres parties du livre, l’âme du contemplateur ayant pour objet les vertus divines en sa mémoire, son entendement, sa Volonté, et de savoir faire concorder en son Ame les vertus divines et les autres parties du livre pour la louange et l’honneur des divines vertus, lesquelles sont les sni vantes : bonté, grandeur, éternité, puissance, sagesse, amour, vertu, vérité, gloire, perfection, justice,
rosité, miséricorde, humilité, majesté, patience. Ces vertus pourront être contemplées de diverses manières. Car une manière est de contempler une vertu avec l’autre, ou une avec deux ou trois ou davantage. Une autre manière est lorsque l’on contemple les vertus dans l’essence, ou dans l’unité, ou dans la Trinité ou dans l’incarnation et ainsi des autres parties de ce livre ; autre manière encore, lorsque avec les vertus on contemple l’essence ou l’unité, ou la Trinité ou l’incarnation ; autre manière, dans les paroles du Pater noster, ou de Y Ave Maria. » L’Art, p. 59, trad. de J. de Guibert ; La méthode, p. 371. En définitive, ce sont toujours les dignités divines que le contemplatif adore, surtout dans la méditation de l’incarnation, L’Art, p. 77-81, et de l’eucharistie, L’Art, p. 93-98 : de ce chef, la mystique de R. Lulle est ramenée à une puissante unité.
L’ascension vers cet objet transcendant s’opère dans l’application méthodique et ordonnée des puissances de l’àme, surtout la mémoire, l’entendement et la volonté. Aucun mystique du xme siècle n’a plus insisté sur ce procédé que R. Lulle : tout l’Art de contemplation ne fait que le décrire ; grâce au caractère pittoresque et oriental de la forme lullienne qui fait mouvoir les facultés et les abstractions comme des personnages réels, personne non plus ne l’a dépeint plus vivement : « La volonté de l’Ami voulut monter bien haut pour pouvoir aimer beaucoup son Aimé et elle ordonna à l’entendement de monter de tout son pouvoir ; l’entendement donna le même ordre à la mémoire et tous trois montèrent contempler l’Aimé en ses vertus. » L’Ami, n. 220, p. 104. « Ami, où as tu trouvé ton Aimé ? — Page, j’ai trouvé mon Aimé dans ma mémoire, mon entendement et mon amour. » L’Ami, p. 148. L’imagination apporte aussi parfois son concours, L’Ami, n. 314, p. 96, Lib. Cont., lib. II, c. xlii, n. 23, t. ix, p. 90. Plus encore agissent les sens spirituels qui sont enracinés dans la puissance cognitive. L’âme, en effet, est douée de cinq sens intérieurs qui sont la pensée réfléchie, la perception, la conscience, la subtilité et la ferveur, Lib. Cont., t. II, c. xun, n. 1-3, t. ix, p. 91 : Sicut tu Domine voluisti ordinarc quod actio, quem sensitiva habet, eat per quinque sensus corporales, ita voluisti ordinare quod actio, quam potentia ratiocinaliva habet, eat per quinque sensus spiriluales ; unde secundum istam ordinalionem sequitur, Domine, quod in potentia ratiocinaliva sint cogilatio, perceplio, conscientia, subtilitas et animositas, quæ sunt sensus spiriluales. etc. Par eux l’esprit saisit les choses purement intellectuelles, Lib, Cont., t. II, c. i/vi, n. 10, t. ix, p. 123 : le péché les émousse, ibid., t. I, c. v, n. 1 1, p. 11, de même la suspension des actes de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté. Ibid., 1. III. c. cev, n. 22-24, p. 514. Il en est autrement lorsque les facultés de l’Aine s’appliquent A Dieu. Ibid., t. III, c. cev, n. 16-17, ]). 511 : Quando anima est ita plena lui in sua memoria et intellcclu et voluntatr, sicut vas in fundo maris est plénum aqua, tunc complet omnes suns quinque sensus Intelleetuales de te. quia cognitio non cogitât nisi in te et perceplio non percipit nisi te ri conscientia non curai nisi de te et subtilitas non se subtiliat nisi in te et animositas non habet ferromn nisi in le. etc. I’exercice des sens spirituels est donc au point culminant de la montée mystique : c’est bien re que IL lulle expose dans une large synthèse, toute lyrique, qui est un Incomparable document de mysticisme Iranciseain. Lib. Cont., I. III. c. CXUX-CCXXV, t. ix. p. 342-578. Sur ce jeu des puissances spirituelles brille toujoui I II lumière de la foi, irradiée de la bénédiction de Dieu. L’Art, p. 78, i la divine lumière qui éclaire et enflamme l’esprit i, L’AH, p. Ht : là vient l’insérer la science infuse Comme le fruit des sept dons et de la divine splendeur du Saint 1 spril ». Dorlrina puéril, c. i,
p. 82 : Declarallo Raumundl, c. xxxiii, p. 136.