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LULLE. VIE

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R. Lulle était fatigué de parcourir l’Europe sans résultat pratique. Il résolut alors d’aller lui-même en Barbarie afin de disputer avec les Sarrasins sur les articles de la foi, conformément aux principes de son Art. Ce fut en ce moment que survint une grande crise morale et physique. La Vida, p. 352-3, la raconte longuement dans des termes excessifs. D’après elle, R. Lulle, effrayé devant le péril de mort qu’il allait affronter, mais bientôt confus de sa faute et du retard qu’il avait mis à s’embarquer, serait tombé dans le désespoir complet et ensuite dans une mystérieuse maladie. Se refusant d’entrer dans l’ordre de saint Dominique qu’une étoile lui indiquait, s’il voulait faire son salut, mais où son Art et le fruit qu’il en espérait étaient infailliblement perdus, il aurait poussé l’attachement à ses écrits au point de recevoir le viatique dans ces sentiments de désespoir et de résistance à Dieu, ab aquesta ficta devocio. Ce récit, souvent rappelé, M. André, op. cit., p. 130-133, a paru suspect à Pasqual, op. cit., t. i, p. 189-197 et à plusieurs lullistes, Avinyo, op. cit., p. 409-412. En fait, il est préférable de s’en remettre aux paroles de R. Lulle lui-même qui, dans son Arbor scientiæ, Lyon 1636, p. 403, après avoir rappelé sa conversion, dit simplement :

Accidit quod ille homo diu et de gravi infirmitate infirmus fuit et, ut ipsum Deus in hac vita puniret, permisit quod dœmon ipsum poneret in desperantia misericordiae Dei recolendo sua magna peccata et justitiam Dei plus quam suam misericordiam. Idcirco magnum amorem perdebat quem habere solebat ; et quia quotidie mori credebat propter magnam infirmitatem quam habebat, pœnas inferni in imaginatione tenebat in quibus stare seviternaliter credebat et suam damnationem certius afïlrmabat quam homo qui panem tenet in manu credentiam habet quod illutn panem comedere debeat. Verumtamen aliqualem spem in Domina nostra habebat propter ununi librum quem propter ejus amorem prius faciebat (le Libre de Santa Maria), in quo quidem libro ipsam valde commendabat et laudabat, etc.

Les forces revenues et la crise morale vaincue, R. Lulle partit pour l’Afrique. Arrivé à Tunis, Lulle se mit à discuter avec les Maures les plus savants de la ville. Mais l’un de ses auditeurs le dénonça bientôt au calife qui était alors Abou-Hafs. Le grand conseil fut convoqué et Lulle condamné a mort. L’intervention d’un chef maure influent lui sauva néanmoins la vie et Abou-Hafs se contenta de bannir « le procureur des infidèles » du royaume de Tunis. Tiré de sa prison et roué de coups, Lulle fut conduit à bord d’un navire génois. Au risque de sa vie il s’en échappa, guettant l’occasion de rentrer secrètement à Tunis, mais les circonstances ne le lui permirent pas, et il fut forcé de se rembarquer. Peu après, il débarquai ! a Xaples où, le 13 janvier 1293, il achevait sa Tabula grnrralia.

Le séjour de H. Lulle à Naples se prolongea et fut un des plus féconds. Il y enseigna publiquement jusqu’à l’élection de Célestin Y. Vida, p. 354. l’eu avant son abdication, le pape s’étant rendu à Naples (13 nov.-lO déc. 1294), Lulle lui présenta sa célèbre pétition Pro conversione inftdelium dont le texte a été réédité par Golubovich, op. cit., p. 373-375, (.oit ion. >]>. lit., p. 15-19, et où l’apôtre errant préconisai ! outre l’érection de séminaires de langues orientales, l’alliance des chrétiens et des l’art arcs

contre les musulmans. Après l’élection de Boniface VIII, il partit pour Rome où le souverain pontife itail couronné le 25 janvier 12<t."> ; il soutint beau coup en suivant la cour pontificale, mais avec joie. Vida. p. 354, Toujours infatigable, il adressa au Saint-Siège une nouvelle pétition. Golubovich. o/i, . nt. p 374, pressant lionifacc VIII de fonder

des collèges orientaux en Europe et en Tartarie, de reprendre les croisades et la question de la réunion de l’Église grecque. Cette fois, il put prendre la parole devant le Sacré-Collège, Gottron, op. cit., p. 19. Entre temps, du 29 sept. 1295 au 1 er avril 1296, il écrivit entre autres sa vaste encyclopédie, l’Arbre de Sciencia, puis son ouvrage De articulis ftdei qu’il présenta au pape le 23 juin 1296, à Anagni sans doute, où Boniface VIII se trouvait depuis le 2 juin. Mais ces travaux pour la « sainte entreprise » n’intéressèrent point le pape ; c’est alors que l’insuccès et le découragement lui inspirèrent son plus beau poème, le Dcscornort. On ne sait rien de plus sur ce séjour à Rome, si ce n’est que Lulle y rencontra Bernard Délicieux. M. de Dmitrewski, Fr. Bernard Délicieux, dans VArchivum franciscanum historicum, Quaracchi, 1925, t. xviii, p. 7. S’éloignant une fois de plus de la cour papale. Lulle se rendit à Gènes. D’après la Vida, p. 354, il y séjourna assez longtemps (1296-1297) pour composer plusieurs ouvrages, puis après avoir rendu visite au roi de Majorque, à Montpellier semble-t-il, Golubovich, op. cit., p. 398, il partit pour Paris. Cette fois, il allait se trouver aux prises avec le grand adversaire de la pensée catholique au xiu 1 siècle, l’averroïsme arabe (décembre 1297-juillet 1299). Les véhémentes dénonciations de saint Bonaventure dans ses Collationes in Hexaèmeron, Opéra omnia, Quaracchi, 1891, t. v, p. 329-454, les condamnations de 1277 portées par l’évêque de Paris, Etienne Tempier, n’avaient pas arrêté la crue montante. Tout en lisant le grand Ali et en poursuivant ses plans de croisade, R. Lulle se jeta dans la mêlée, Keicher, op. cit., Menéndez y Pelayo, Historia, t. i, p. 502-508. L’ouvrage capital de cette campagne fut la Declaratio Raymundi per modum dialogi (1298), qui est un commentaire développé des propositions censurées par Etienne Tempier. Keicher, op. cit., p. 95-221. Comme la science n’est pas le seul moyen de gagner des victoires intellectuelles, R. Lulle voulut aussi tenter la voie d’amour, per mariera d’amor, et composa l’Arbre de filosofia d’amor (oct. 1298). M. André, op. cit., p. 159-168. De Paris, il envoya en déc. 1298 une lettre de consolation à Venise, vaincue par les Génois sous la conduite de Lamba Doria à Curzola en Dalmatie, et s’entremettant entre les deux républiques, il priait un de ses amis influents de Gênes, Perceval Spinola, d’intervenir pour négocier bientôt la paix. Golubovich, op. rit., 390-391 ; Paris. Bibl. nat., lut. 18 146, fl> 206. Probablement aussi à cette époque, il offrit à Pierre Gradenigo, doge de Venise (1289-13111. une copie de plusieurs de ses ouvrages, précédée d’une lettre autographe encore conservée. M. Obrador, P. I.ull en Venecia, dans H… L., îooo, p. 301 ; Valentinelli, Bibliotheca mss. S. Muni, Venise. 1871, t. iv, p. 137-110. Naturellement, R. Lulle reprit encore ses négociations avec. Philippe le Bel au sujet des croisades et de l’évangélisalion du monde oriental. Vida, p. 354, mais sans résultat apparent. De la le fameux C.ant de iiumon, R. d’Alos. Poésies, p. 3034, où une fois encore l’héroïque majorqtiain chantait ses douleurs avec un lyrisme éblouissant.

Ces tristesses de Rome et de Paris n’étaient pas des gfgnea « le découragement. Précisément à cette

date, et bien que Lulle eût déjà 60 ans. commence la période la plus tourmentée de sa carrière. Opuscules, poésies, voyages d’Europe, d’Asie, d’Afrique,

tOUt se succède acc une frénésie Incroyable, lais saut Paris et les disciples qu’il s’était attachés, entre autres Thomas l.e M l’sier. chanoine il 1 1 as,

.1. Rubiô, l< i.ull. p. 558, Lulle parti ! pour l’Espagne, en passant pu Rome, le 17 octobre, comme l’at-