Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/545

Cette page n’a pas encore été corrigée

1075

LULLE. VIE

L076

rateur de ses biens à Barcelone. G. Rossellû, Obras rimadas de R. Lull, Palma 1859, p. 33. Il en eut deux enfants, Dominique et Madeleine qui épousa Pierre de Sentmenat. Malgré cette union et ses hautes fonctions à la cour, R. Lulle négligeant son devoir, Lib. cont., c. exiv, Obrcs, t. iv, p. 75, se laissait toujours aller aux entraînements d’une vie mondaine. « Rien, dit-il lui-même, Liber Cont., t. II, c. xxxvii, Opéra, éd. Mayence, t. ix, p. 79 ; Obres, t. ii, p. 185, ne put m’induire à être un homme de bien, ni les secours des anges, ni les Écritures des prophètes, ni les exhortations des religieux ; au contraire, malgré l’aide des anges et les prédications des religieux, je fus le pire des hommes et le plus grand pécheur de toute la ville et des environs. » Comme les troubadours d’alors, il courtisait les dames et leur dédiait des poésies d’amour. Liber Cont., t. III, c. civ, Opéra, t. ix, p. 231. Les biographes postérieurs, Charles de Bouvelles, op. cit., p. 669, Nicolas de Pax, op. cit., p. 675, racontent même qu’il aurait poursuivi une génoise, Léonora (selon d’autres, Ambrosia) de Castello jusque dans l’église cathédrale de Sainte-Eulalie, y pénétrant même à cheval, et que la dame n’aurait pu l’éloigner qu’en lui découvrant son sein dévoré par un cancer. Ce récit est encore aujourd’hui accepté par plusieurs historiens, Menéndez y Pelayo, Historia, t. i, p. 514, M. André, Le B. Raymond Lulle, Paris, 1900, p. 19-23. Mais la critique moderne le rejette à juste titre comme une légende dont le point de départ est une anecdote analogue racontée par Raymond Lulle dans son ouvrage, Félix de les maravalles del mon, éd. Rossellô, Palma, 1903, t. ii, p. 120-121. M. Obrador, préface du Félix, éd. cit., p. xl ; Probst, op. cit, p. 4, 21 ; A. Salcedo Ruiz, La literatura espanola, Madrid, 1915, t. i, p. 301 ; M. Bihl, art. cit., p. 329 ; R. d’Alôs, Poésies, p. 158.

Malgré ces écarts, la grâce attendait Raymond Lulle. Un soir, étant au lit, mais tout occupé à composer une chanson d’amour, le Christ en croix lui apparut soudain. Vida, p. 349. Lulle toutefois, bien que terrifié, ne tint pas compte de l’apparition qui se répéta quatre fois encore dans les mêmes circonstances. Vida p. 350. La cinquième fois, il comprit que le Crucifié l’invitait « à se donner totalement à sa servitude ». L’épisode du crucifix de Saint-Damien, appelant François d’Assise, se renouvelait dans l’histoire spirituelle du xiiie siècle. R. Lulle garda en traits de feu le souvenir de ces hautes manifestations. « Il plut à Jésus-Christ, chante-t-il dans le Descornort, R. d’Alôs, Poésies, p. 74, dans sa très grande pitié de se présenter à moi cinq fois crucifié. » Cf. Liber Cont., t. II, c. lv, Opéra, t. ix, p. 122. Le fait dut avoir lieu aux environs de juillet 1265.

Ainsi décidé à suivre le Christ, R. Lulle se mit à élaborer les projets à la réalisation desquels il devait consacrer sa vie. « Déjà tout brûlant d’une grande ardeur d’amour pour la croix, il crut qu’il ne pouvait faire acte plus agréable que d’amener les infidèles et les incrédules à la vérité de la sainte foi catholique et, pour ce motif, d’exposer sa personne au péril de la mort ». Pour atteindre cet idéal, il se proposa trois choses : rechercher le martyre pour l’amour du Christ, rédiger des écrits où la foi serait exposée aux infidèles, particulièrement aux Arabes, faire construire des collèges où les missionnaires apprendraient les langues des infidèles, surtout l’arabe et le tartare, et s’entraîneraient aux souffrances de la vie apostolique et du martyre. Vida, p. 350. Ces résolutions s’harmonisaient bien avec les préoccupations d’alors. A cette époque, en effet, Jaime I er le Conquérant faisait de grands efforts pour convertir les Juifs de Valence et assis tait lui-même à Barcelone, en 1263 et 1265, à des controverses publiques entre I-*ra Pau Cristia, O. P. et les rabbins Moseh bon Najman et Rabi ben Astruch. Trois mois durant, R. Lulle médita ces projets, tout en retenant ses fonctions de sénéchal ; ainsi qu’il est possible de le saisir par les confidences a peine voilées du Liber Cont., t. V, c. ccclviii, Opéra, t. ix, p. 550-554, il s’appliquait a discipliner les puissances de son être et à les enflammer dans des dialogues prolongés avec Dieu. Sur ce, écrit la Vida p. 350, « vint la fête de ce glorieux séraphin messire saint François et le dit Révérend Maître ayant entendu le sermon d’un évêque qui racontait comment le glorieux monseigneur saint François, après avoir laissé toutes les choses de ce monde, s’était donné entièrement au service de la croix, fut touché jusqu’aux entrailles et décida de vendre ses propriétés et de suivre son exemple ». R. Lulle exécuta aussitôt, en partie du moins, ce pieux dessein ; le jour même, il reçut des mains de l’évêque l’habit d’ermite, existente domina pro qua cantilenam facere volebat, ajoutent les annotations du ins. de Karlsruhe. J. Rubiô, El breviculum, p. 84. Une fois de plus s’affirmait la parenté spirituelle de François d’Assise et de R. Lulle. M. André, op. cit., p. 32, 35 ; P. André de Palma, O. M. C, El beat R. Lull, martre del Terc Ordre Francisco, dans Estudios Franciscanos, Barcelone, 1922, t. xxviii, p. 114-119. Cet acte généreux accompli, Lulle partit ensuite en pèlerin pour Notre-Dame de Montserrat (d’aucuns, avec M. Riber, disent Notre-Dame de Rocamadour), Saint-Jacques de Compostelle et les autres terres sanctifiées de l’Espagne. Après ce pèlerinage (d’après les annotations de la Vie illustrée du ras. de Karlsruhe, il aurait eu lieu avant la fête de saint François et la conversion totale de Lulle, cf. J. Rubiô, El breviculum, p. 83), l’ermite résolut de se rendre à Paris pour étudier la grammaire et les sciences, mais ses amis et surtout saint Raymond de Penafort, O. P., l’en dissuadèrent. Vida. p. 350. Suivant ce conseil, il commença chez lui l’étude du latin dont il possédait déjà les éléments, Vida, p. 350, et plus encore de l’arabe. En effet, bien que la langue maure fût parlée par la plus grande partie de la population majorquaine, R. Lulle l’ignorait complètement. Au jugement d’Asin y Palacios. de Ribera et de Probst, op. cit., p. 23, le fait est inadmissible, mais à notre avis les invraisemblances et les considérations générales qu’ils invoquent, ne prouvent rien à rencontre des documents. La Vida, p. 350, la Vie illustrée du ms. de Karlsruhe. J. Rubiô, El breviculum, p. 83, les prières de R. Lulle qui dans son premier écrit demande à Dieu l’intelligence de l’arabe. Liber Cont., t. III, c. cev. Op., t. ix, p. 268, tout nous assure qu’à l’époque de sa conversion « il ne savait pas la langue maure ». Pour l’acquérir, il se mit à l’école d’un esclave sarrasin qui faillit l’assassiner, Vida, p. 351. Quelles furent alors ses études philosophiques et théologiques, rien ne nous l’apprend et ce silence de la Vu est énigmatique. J. Rubiô, jR. Lull, p. 552. Ce qu’il est possible d’assurer, c’est qu’il lut alors un ouvrage, jusqu’ici non identifié, le Liber petitionum et quæstionum, mais qui paraît être, d’après les indications de Lulle et l’examen du contenu, le Lib. quæsl. veteris et novi Testamenti, P.L., t. xxxv, col. 2214, attribué alors à Saint Augustin ; il reconnaît y avoir puisé les « vraies preuves, les significations profondes et les raisons manifestes « qu’il devait développer plus tard dans ses livres apologétiques. Liber Cont.. t. II, c. lxxvii. n. 3, Op., t. ix, p. 168, Obres, t. iii, p. 28. Il a aussi pris contact avec saint Anselme et Richard de Saint-Victor dont il se réclame dans un de ses premiers ouvrages,