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LUCIUS III

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un jeune homme quand, en 1141, il a été créé par Innocent II cardinal-prôtre du titre des Saints-.Ieanet-Paul ; il est cardinal-évêque d’Ostie depuis 1159. A l’époque où nous sommes maintenant arrivés, il est a coup sûr fort avancé en âge vir yrandsevus, dit Guillaume de Tyr, qui ajoute, avec un peu de malice, et modice litteratus.

Or la situation aurait demandé un homme d’énergie. Le premier devoir du nouveau pape était de rétablir clans Rome l’autorité pontificale décidément incapable de venir à bout de l’indépendance communale. Lucius put, au prix de quelques concessions sans doute, s’installer au Latran à partir du 2 novembre ; ce ne fut pas pour longtemps. Dès le 13 mars de l’année suivante il est à Velletri, et il ne remettra plus le pied dans la Ville éternelle, administrée désormais par 25 sénateurs. Nous n’avons pas de renseignements sur les rapports entre le pape et ses sujets pour l’année 1182..Mais nous savons qu’en 1183 la lutte ouverte éclate de nouveau à propos de Tivoli (Tusculum). Les habitants de cette ville que les Romains avaient ruinée en 1125, s’étaient mis à rebâtir leur forteresse avec l’autorisation du pape. Le 28 juin 1183, les Romains se lancèrent de nouveau à l’assaut de la place. Lucius fit alors appel à l’archevêque de Mayence, Christian, chancelier de Frédéric Barberousse, et préposé par lui à la garde de la Toscane. Celui-ci accourut, infligea une sanglante défaite aux troupes romaines, qu’il poursuivit jusque sous les murs de Rome, brûlant et dévastant tous les faubourgs. Mais le chancelier fut atteint de la fièvre et ne tarda pas à mourir, le bruit courut même qu’il avait été traîtreusement empoisonné. Lucius fit part de la mort de cet évêque, qui jadis avait si longtemps combattu l’Église romaine et maintenant mourait à son service, dans une lettre adressée à tous les prélats d’Allemagne. Jafîé, n. 14 909. La mort de Christian accroissait encore les perplexités du pape ; il se retira à Anagni, mieux défendue contre les entreprises des Romains. Ceux-ci, en effet, continuaient de razzier les domaines pontificaux ; en avril 1184, ils attaquaient de nouveau Tivoli ; pénétrant plus avant dans le Latium, ils dévastaient plusieurs autres villes et multipliaient à l’endroit du pape leurs provocations. Lucius implorait partout du secours. Il s’adressait d’une manière très pressante au roi d’Angleterre Henri II, devenu, depuis 1173, le vassal du Saint-Siège. Ce qu’il demandait surtout, c’était le droit pour ses envoyés de faire en Angleterre une collecte. Mais les prélats anglais voyaient de mauvais œil cette requête. Ils conseillèrent au roi d’accorder au pape un subside, mais de refuser à ses envoyés, crainte de créer un précédent, le droit de quêter dans le royaume.

Toutefois la protection sur laquelle Lucius devait surtout compter, c’était celle de Frédéric Barberousse, réconcilié avec l’Église romaine depuis le traité de Venise. Dès le début de son pontificat, le pape avait répondu à l’abbé de Siegberg, Gérard, venu pour traiter de la translation d’Annon de Cologne, qu’il ne tarderait pas à se mettre en rapports directs avec Frédéric pour régler avec lui toutes les questions encore litigieuses. Voir Jafîé, p. 433. En mai 1182, l’archevêque de Salzbourg, Conrad de Wittelsbach, se présentait encore à Velletri pour continuer les conversations sans que nous puissions dire à quoi elles aboutirent. Voir H. Prutz, Kaiser Friedrich I, Danzig, 1874, t. iii, p. 138, 139. Les difficultés que Lucius rencontrait dans ses États le contraignirent finalement à rechercher lui-même une entrevue avec Barberousse. La rencontre eut lieu à Vérone où le pape arriva le 22 juillet 1184, et les négociations se prolongèrent pendant près de trois mois. Bien que Baronius le conteste, la réunion où les questions ecclésiastiques furent traitées

eut tous les caractères d’un concile. Voir Mansi, Concil., t. xxii, col. 487 sq.

La première affaire qui tenait à cœur à Frédéric, était la réconciliation des prélats qui, lors des luttes religieuses antérieures, avaient été ordonnés et institués par les antipapes successifs. Le concile du Latran de 1179 avait déclaré nulles ces ordinations. Cap. n. Mansi, ibid., col. 218. Frédéric insistait vivement pour que le pape donnât dispense aux intéressés. Lucius y avait d’abord consenti et demandé, dit Arnold de Lubeck, ut omnes pelitiones suas scriberent, ut secundum casum singulorum dispensaretur circa ipsos. Texte dans Watterich, t. ii, p. 659. Mais, dit le même chroniqueur : altéra die dominus papa mutai animum et propositum, et comme dit un autre auteur : cum postera die manus illis essent imponendæ singulis, immulatum erat concilium. Voir Mansi, loc. cit. Les cardinaux avaient fait valoir que la sentence portée contre les prélats incriminés à Venise (sentence que le concile du Latran n’avait fait que renouveler) ne pouvait être modifiée que par un concile général. Le pape promit donc à l’empereur de réunir incessamment à Lyon un concile général qui s’occuperait de la question.

Une autre affaire ecclésiastique fut agitée à Vérone, celle de la succession à l’archevêché de Trêves, que se disputaient deux ecclésiastiques élus simultanément : l’archiprêtre Folmar que favorisait le pape, le prévôt du chapitre Rodolphe, déjà investi par l’empereur. Sur ce point non plus on n’arriva à une solution.

D’autres questions, d’ordre plus politique, préoccupaient le souverain. Il aurait voulu conserver l’héritage de la comtesse Mathilde, décédée en 1115 en abandonnant ses biens à l’Église romaine. Lothaire de Supplimbourg, dont Innocent II avait eu besoin, était parvenu à s’en faire attribuer la jouissance viagère. Le traité de Venise avait contraint Barberousse à rendre à l’Église ce magnifique héritage, salvo omni jure imperii ; mais l’empereur essayait diverses combinaisons qui lui permissent de le conserver. On discuta très àprement sur le texte même du testament, sans arriver à une transaction. On ne réussit pas mieux pour une affaire que Frédéric considérait comme plus importante encore. L’empereur aurait désiré que le pape couronnât son fils, le futur Henri VI, rendant, par ce geste, l’empire héréditaire dans sa famille : Lucius s’y refusa, le Saint-Siège entendant conserver son droit de désigner le titulaire de la couronne impériale. On se sépara donc sans rien conclure, et le concile de Vérone ne parvint à liquider aucune des questions pendantes entre la papauté et l’empire.

Sur un point cependant, la réunion de Vérone eut un résultat positif. De concert avec Frédéric, Lucius III y promulgua la célèbre constitution Ad abolendam. destinée à combattre les progrès de plus en plus menaçants des hérésies néo-manichéennes et des erreurs apparentées. Déjà le can. 27 du IIIe concile du Latran avait dénoncé ces hérétiques et pris contre eux de graves mesures. Voir t. viii, col. 2648. La décrétale Ad abolendam précisait d’une manière tout à fait nette les catégories de dissidents qui étaient visées, et organisait méthodiquement leur recherche et leur répression.

On en avait aux cathares, aux patarins, aux humiliés ou pauvres de Lyon, aux passagiens, joséphistes, arnaldistes (c’est-à-dire partisans d’Arnauld de Brescia). Tous ces hérétiques qualifiés étaient anathématisés. Le même sentence frappait tous ceux qui s’aviseraient de prêcher sans mission régulière, tous ceux qui. sur l’eucharistie, le baptême, la pénitence, le mariage ou les autres sacrements ecclésiastiques, ne craindraient pas de penser ou d’enseigner autrement, que n’enseigne la sainte Église romaine, tous ceux enfin qui auraient été jugés hérétiques soit par le Saint-Siège