Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/533

Cette page n’a pas encore été corrigée
1051
1052
LUCIFERIENS. LES LUCIFERIENS AL XIY* SIÈCLE


et plusieurs des Hérétiques avaient des Livres saints traduits en allemand. Certains réitéraient le baptême ; d’autres ne croyaient pas au corps du Christ ; d’autres prétendaient que le corps du Christ pouvait être consacré indifféremment par un homme ou une femme, par un clerc ou un laïque, dans une écuclle ou un verre et n’importe où ; d’autres déclaraient la confirmation et l’extrême-onction superflues ; d’autres déniaient tout droit au pape et au clergé ; d’autres déclaraient inutiles les prières pour les morts ; d’autres pratiquaient des unions incestueuses ; d’autres embrassaient un homme pâle ou un chat, et faisaient des choses pires encore ; d’autres ne respectaient ni les jeûnes ni les fêtes de l’Église. » Et le chroniqueur d’ajouter : Hœc de articulis errorum dixisse sufficial, non quod omnes dixerimus sed quod præcipuos tantum notaverimus. Dans Mon. Germ. hist., Script., t. xxiv, p. 401 ; cf. une recension analogue dans Harzheim, loc. cit., p. 539.

Une autre remarque s’impose : Ceux qui ont protesté contre les procédés inquisitoriaux de Conrad ne doutent pas de la réalité des griefs faits aux hérétiques. Comme tous les contemporains, ils sont persuadés qu’il se passe dans les conventicules des choses épouvantables. Ce qu’ils reprochent à l’inquisiteur, c’est d’avoir englobé, par sa manière de faire, les innocents avec les coupables, de bons catholiques avec les hérétiques chargés des plus noirs forfaits. La chronique d’Albéric, qui juge si sévèrement Conrad et parle d’une vision qui donnerait à croire que Conrad a été damné, termine son récit par la narration de diableries auxquelles elle croit certainement. Les pratiques lucifériennes, dit-elle, ont été importées dans la région rhénane par un maître venu de Toulouse ; et après avoir décrit tout au long une scène de sorcellerie, elle ajoute : Per istos ergo accrevii et dilatata est infidelitas illa de cultu Luciferi. Mon. Germ. hist., Script., t. xxiii, p. 932.

Exclusivement informé par les rapports de Conrad, Grégoire IX ne se lassait pas d’exciter le zèle des évêques rhénans, et pouvait s’imaginer à distance qu’un terrible danger menaçait la chrétienté. Voir en particulier la lettre du 13 mars 1233, Monum. Germ. hist., Epistolse sseculi XIII, t. i, p. 413. Mais les évêques rhénans se montraient bien tièdes au gré de Conrad et du pape. Aussi la bulle du 13 juin 1233, celle-là même que nous avons citée plus haut, prenait des mesures beaucoup plus énergiques. Elle se terminait par un véhément appel au zèle des prélats et des inquisiteurs. Sans doute on leur recommandait de tout faire pour amener ïes sectaires à résipiscence ; mais, prévoyant que les moyens de douceur seraient inefficaces, le pape préconisait l’emploi de mesures énergiques. Ce n’était pas seulement la puissance publique qu’il fallait armer contre eux ; tous les fidèles du Christ devaient se lever pour les combattre, prendre la croix et marcher à l’extermination des hérétiques.

Ainsi la Rhénanie était menacée d’une croisade, comme celle qui avait semé les ruines dans le Languedoc. Heureusement, au moment où cette bulle arrivait en Allemagne, Conrad avait cessé d’être dangereux. Pour avoir voulu, sur la foi de dénonciations intéressées, s’en prendre à de puissants seigneurs, il avait senti immédiatement de la résistance dans l’épiscopat allemand. Le 25 juillet 1233, un concile, réuni à Mayence par l’archevêque Siegfried, discutait le cas du comte de Sayn auquel Conrad s’était attaqué. Toute l’assemblée paraissait animée du commun désir de mettre un terme aux procédés arbitraires de Conrad. Le 31 juillet, l’inquisiteur, qui avait vainement essayé de soulever le peuple de Mayence contre les nobles hérétiques, fut assassiné près de Marbourg. La lettre écrite au pape à ce sujet par les évêques du concile est

un acte d’accusation en règle contre les procédés de l’inquisiteur. Pourtant l’évêque d’Hildesheim prêcha la croisade conformément aux instructions du pape, et la Tfauringe connut les horreurs de la guerre religieuse. Mais ce prélat ne fut pas suivi et fut blâmé par la diète de Francfort qui se réunit le 2 février 1234. Voir Harzheim, loc. cit., p. 542-551. Finalement le pape, mieux instruit, prescrivit une procédure plus régulière. Voir, pour un récit complet des événements, Kaltner. Konrud von Marburg, p. 138-165. Les documents sont cités dans C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, Paris, 1849, t. i, p. 375-379.

Quand on compare sans parti pris les documents que nous venons de citer à ceux que nous avons alignés pour les périodes précédentes, on ne peut échapper à la conclusion que les hérétiques de la région rhénane, dénoncés si énergiquement par Grégoire IX à la sollicitation de Conrad, ne différent pas des hérétiques néomanichéens signalés, durant les xie et xiie siècles, en France et en Italie. On aura remarqué au passage qu’Albéric de trois-Fontaines mêle un maître toulousain à l’introduction du satanisme en Rhénanie. C’est pourquoi nous ne saurions admettre la théorie qui a été vulgarisée par H.-C. Lea dans son Histoire de l’Inquisition, voir 1. 1, p. 106 de l’édition anglaise. Cet auteur voit dans les lucifériens une secte spéciale, dérivée des Frères du libre esprit, par la branche des Orlibenses ; il rattache tout ce mouvement à celui du panthéisme populaire, qui découle du panthéisme mystique d’Amaury de Bène et de David de Dinant. C’est chercher bien loin l’explication d’une doctrine particulière sur Lucifer dont nous avons vu qu’elle se rattache directement au dualisme manichéen. Et puis, avant de spéculer sur la signification que les sectaires attachaient au culte rendu à Satan, il faudrait être bien sûr de l’existence de ce culte et de la nature des pratiques qu’on leur a reprochées. La lettre des évêques d’Allemagne à Grégoire IX est bien faite pour jeter le soupçon sur tous ces renseignements. Il nous semble donc prudent de ne pas voir dans les lucifériens autre chose que des cathares ; mettons si l’on veut qu’ils ont développé davantage certaines doctrines sur le rôle et les destinées du principe du mal. Mais nous nous en tiendrons à ces vagues affirmations.

C’est volontairement que nous laissons de côté la question des Stedinger, qu’on a voulu, sur la foi de Raynaldi, confondre avec les lucifériens ; H. -A. Schumacher a bien démontré que leur cas est tout à fait différent : Die Stedinger, Beitrag zur Geschichte der Weser-Marschen, Brème, 1865.

V. Les lucifériens au xive siècle. — Depuis qu’elle a paru, au milieu du xie siècle, l’accusation de satanisme a été lancée contre une foule de gens qui n’en pouvaient mais. Quand, au début du xive siècle, fut instruit le procès des Templiers, on vit reparaître au dossier les mêmes racontars sur le culte rendu à Satan, les baisers obscènes, les apparitions diaboliques que nous avons déjà enregistrées. Béguins, fraticelles. lollards, flagellants, connaîtront, à un moment ou à l’autre, ces mêmes imputations ; elles n’ont pas été épargnées à la mémoire de Boniface VIII, quand Philippe le Bel se mit en tête de faire instruire son procès. Il n’y a pas à s’y arrêter ; il suffira de retenir que, dans la première moitié du xive siècle, plusieurs nids de lucifériens proprement dits furent signalés en Allemagne.

A Krems, en Autriche, dans le diocèse de Passau. des hérétiques sont découverts et brûlés en 1315. D’après les Annales Xovesienses (Xeuss en Rhénanie), voici quelles étaient leurs erreurs : « La messe n’était que vanité. Lucifer et ses démons avaient été injustement chassés du ciel, et ils retrouveraient un jour la béatitude finale, tandis que Michel et ses anges, ainsi