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LUCIFÉRIENS. LES LUCIFÉRIENS AU DÉBUT DU Xllie SIÈCLE


l’hérésie. En correspondance directe avec la cour romaine, Conrad, en 1227, avait reçu mandat de « rechercher dans les régions de l’Allemagne les sectateurs de la dépravation hérétique ». Potthast, n. 7931. Ce redoutable inquisiteur (qui n’appartenait pas d’ailleurs à l’ordre dominicain), n’avait pas besoin d’être encouragé dans sa besogne. Bientôt il ne fut question dans tout le pays rhénan que de procès d’hérétiques et de sentences de condamnation. Bien qu’il ne faille pas prendre à la rigueur les paroles des chroniqueurs contemporains, on a l’impression que les mesures de rigueur furent extrêmement fréquentes : Per Alamanniam, dit Albéric de Trois-Fontaines, facta est tanta hæreticorum combustio, quod non possit numerus comprehendi. Dans Monum. Germ, hist., Script., t. xxiii, p. 931. Et les Gesta Treverorum conlinuata précisent la part qui revient à Conrad de Marbourg et à ses deux acolytes. Anno Domini 1231, orta est persecutio hæreticorum per totam Alemanniam, et exusti sunt plurimi per continuum triennium. Eratque princeps et caput hujus persecutionis magister Conradus de Marbourch et ministri ejus Conradus quidam cognomento Tors et Johannes carens uno oculo et una manu. Ibid., t. xxiv, p. 400. A quoi fait écho V Anonymus Saxo, à l’année 1229. In diebus illis multi in ecclesia Dei fuerunt heretici Romee et in Gallia et in Teutonia ex quibus amplius quam mille viri et feminse a Conrado Torso et a quibusdam aliis igné sunt cremati. Dans Mencken, op. cit., t. iii, col. 125. On pourrait multiplier les citations.

Or les procès d’hérétiques, d’ailleurs menés d’une façon très sommaire, témoignaient que des croyances et des pratiques lucifériennes étaient répandues parmi les sectaires. A Trêves, une femme, nommée Lucardis, fut brûlée, quæ incredibili lamentalione lugebat Luciferum injuste de cœlo extrusum, qæm volebat replorare denuo in cœlum. Gesta Trever., p. 401. On savait que ces misérables rendaient un culte au prince des démons : « A Cologne, il y avait une synagogue d’hérétiques, où une image de Lucifer rendait des oracles. » Albéric, p. 931. Au bout de quelque temps, Conrad fut en mesure d’adresser au pape un rapport circonstancié, où étaient décrits et les rites et les doctrines de la secte. Tous ces détails sont reproduits dans une bulle de Grégoire datée du 13 juin 1233 et adressée à l’archevêque de Mayence, Sigefrid, à Conrad, évoque d’Hildesheim, et à maître Conrad de Marbourg. Potthast, n. 9230 ; le texte dans Bipoll, Bullar. ord. prædicat., t. i, n. 81, p. 52 : Vox in Rama, et dans Haynaldi, Annales, an. 1233, n. 42-45, qui, pour avoir supposé que la bulle était dirigée contre les Stedinger, a embrouillé pour longtemps cette question. Voir l’art. Si EDINŒR.

La bulle en question vise incontestablement ces hérétiques de la région rhénane que l’on a fini par baptiser du nom de lucifériens et dont on a voulu faire une secte spéciale, lui réalité la comparaison du texte de Grégoire IX avec toutes les indications données ci-dessus ne permet guère de douter que nous n’ayons affaire avec les mêmes racontars qui, depuis le xisiècle, circulaient sur le compte d’hérétiques de toute dénomination. Après avoir épanché sa douleur sur le mal que fait à l’Église une secte aussi monstrueuse, le pape décrit (évidemment d’après les rapports de Conrad) les rites hideux d’initiation qui H passent dans les couvent icules des sectaires : Apparition du diable sous la forme d’un crapaud, baisers

obscènes qui lui sont donnés par l’initié : puis le diable se montre sous forme d’un homme d’une extraordinaire pâleur, aux veux d’un noir terrible à qui le novice donne également un baiser, lequel fait évanouir en lui tout souvenir de la foi catholique. I. a-dessus tous les assistants prennent part a un festin, après quoi d’une statue, que l’on trouve toujours dans ces céré monies, descend une chatte noire ; elle présente son derrière au novice, qui le baise, puis au président de l’assemblée qui en fait autant, et finalement à quiconque en est digne. Après des chants et une sorte d’instruction, on éteint les lumières et proceditur ad fetidissimum opus luxuriæ, nulla discretione habita inter extraneas et propinquas. Quod si forte virilis sexus supersunt aliqui ultra numerum mulierum… masculi in masculos turpitudinem operantur, similiter et femina’immutant naturalem usum in eum qui est contra naturam. La lumière revenue, chacun reprend sa place, et d’un coin sombre surgit un homme étincelant comme un soleil depuis la tête jusqu’à la ceinture, et noir comme la chatte pour la partie inférieure du corps ; son éclat illumine la salle entière. Le président, prenant un morceau du vêtement de l’initié le tend à l’homme étincelant : « Maître, dit-il, je te donne ce qui m’a été donné. » Et l’autre de répondre : « Tu m’as bien servi ; tu me serviras davantage et mieux : je confie à tes soins ce que tu m’as donné. » Sur quoi il disparaît.

Tels seraient, d’après les témoignages, les rites d’initiation. Grégoire IX ajoute que tous les ans, à Pâques, les sectaires vont communier en leurs paroisses (évidemment pour ne pas se trahir) ; mais au lieu d’avaler l’hostie, ils l’emportent en eurs maisons et la crachent dans les latrines par mépris pour le Bédempteur. — Deux mots sont consacrés aux doctrines des sectaires : ils disent que le Dieu du ciel a violemment, contre toute justice et traîtreusement précipité Lucifer dans l’abîme. C’est en Lucifer que croient ces misérables ; pour eux, il est le créateur des choses célestes ( ?) ; un jour il précipitera du ciel le Seigneur et retrouvera sa gloire première ; ce jour-là ses adeptes, grâce à lui, jouiront de l’éternelle béatitude. — Et pour terminer la règle morale : Un Iuciférien ne fait rien de ce qui plaît à Dieu, il fait plutôt tout ce que Dieu déteste. Omnia Dco placita non agenda fatentur, et potius agenda quæ odit.

Il n’est pas difficile de voir comment s’est constitué cet acte d’accusation dont, au témoignage même de Grégoire, il faut laisser la responsabilité à Conrad de Marbourg. L’inquisiteur s’est mis en campagne avec l’idée que les hérétiques à combattre sont plus ou moins adonnés aux diableries dont l’opinion publique s’entretient depuis si longtemps. Avec les procédés d’interrogatoire dont les chroniqueurs du temps nous disent un mot, il ne lui a pas été malaisé de tirer des accusés l’aveu pur et simple des méfaits dont il leur dictait la liste. Il ne leur laissait le choix qu’entre la confession et le bûcher. Soumis à cette torture morale (la torture proprement dite n’est pas encore permise), l’accusé dira tout ce qu’on veut lui faire dire. Dans la lettre qu’ils adresseront plus tard à Grégoire IX. les évoques rhénans le disent en propres termes : Maître Conrad ne laissait a personne le droit de légitime défense, il fallait que l’accusé confessât qu’il était hérétique, qu’il avait embrassé un crapaud, un chat. un homme pâle ou d’autres monstres. Ainsi certains bons catholiques accusés préférèrent être brilles innocents et sauver leur âme, que de mentir en s’accu sant de crimes honteux et de mériter par la le supplice (éternel). D’autres trop faibles préférèrent le mensongi au bûcher, mais il leur fallut nommer leurs complices, alors ils répondaient : ».le ne sais qui accuser, ditesmoi les noms de gens sur qui vous avez des soupçons. -Voir ce texte capital dans Albéric. bir. rit., p. 931, et aussi dans Harzhelm, Concil. Germanise, t. m. p. 545.

On aura remarqué que le document pontifical glisse

très rapidement sur la question des doctrines repro chées aux sectaires Les Gtêta Treverorum sont un peu plus explicites : « Il y avait plusieurs sectes, disent-ils