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LUCIFER DE CAGLIARI. ÉCRITS


Lucifer lui dit : « Vous voulez nous forcer de condamner, bien qu’absent, notre frère dans le sacerdoce, le religieux Athanase. Cela la loi divine nous le défend. » C’est l’idée que va développer tout le livre, à l’aide d’exemples tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament : dans tout jugement il faut audition de l’accusé, comparution des témoins. Mais, très vite, un autre thème se développe parallèlement au premier : la condamnation, au nom de l’Écriture, de la puissance séculière qui s’immisce indûment dans les choses de Dieu, les terribles châtiments qui menacent les auteurs de ces attentats sacrilèges. Le tout se termine par un vibrant appel à la conscience de l’empereur ; qu’il se convertisse, alors qu’il en est encore temps, qu’il confesse l’unique divinité du Père, du Fils et de l’Esprit-Salnt, unam habere deitatem Patrem ac Filium et Spiritum Sanctum, il pourra encore trouver place au ciel ; que s’il méprise ces avertissements salutaires, il sera éternellement tourmenté avec le diable et ses satellites.

b) De re gibus apostaticis. — Constance ne s’émouvait guère des menaces que lui faisait Lucifer. La prospérité de son règne, le succès de sa politique ne lui étaient-ils pas un gage qu’il avait Dieu avec lui et que le Ciel approuvait dès lors ses entreprises religieuses ? Nisi catholica esset fides Arii, hoc est mea, disait-il, nisi placitum esset Deo quod illam persequar fidem (nicœnam). nunquam profeclo adhuc in imperio florerem. Parcourons l’Écriture, réplique Lucifer, et nous verrons que si l’Éternel laisse prospérer les rois qui se sont détournés de lui, c’est pour faire éclater sur eux, au jour prévu par lui, les terribles effets de sa colère. Développement facile, où les textes scripturaires tiennent la plus grande place. Comme le traité précédent, celui-ci se termine aussi par un appel au repentir : Revertere ad Deum, ingemisce pro criminibus luis.

c) De non conveniendo cum hæreticis. — C’est une justification de l’attitude prise par Lucifer à l’endroit des hérétiques, attitude qu’il finira par adopter à l’égard des catholiques jugés par lui trop tièdes. Or on fait grief à l’évêque de cette raideur ; « lui et ses pareils sont des ennemis de la paix, des ennemis de l’unité, des adversaires de la charité fraternelle. » Mais l’Écriture leur donne raison, qui montre, entre tant d’autres leçons, combien fut fatale au pieux roi Josaphat son alliance avec l’impie Achab, qui prescrit aux justes de se retirer du milieu des méchants aux saints d’éviter la société des hérétiques.

d) De non parcendo in Deum delinquentibus. — L’empereur s’est plaint de la violence des attaques dirigées contre lui par les catholiques exaltés : dicis nos insolentes exstitisse circa le quem honorari decuerit. Mais le souverain n’a que ce qu’il mérite : « pas de pardon pour les apostats 1° Et Lucifer d’aligner les exemples terribles de châtiments dont est plein tout l’Ancien Testament. Aussi bien la persécution que Constance a menée contre les catholiques n’est-elle pas comparable à celle que dirigea contre les Juifs fidèles l’impiété d’Antiochus ?

e) Moriendum esse proDei Filio. — Lucifer avait-il espéré que ses constantes provocations à l’adresse de l’empereur lui vaudraient un jour quelque sentence plus rigoureuse et peut-être la palme du martyre sanglant ? C’est bien possible. Mais Constance s’était juré de ne pas donner aux exaltés cette âpre satisfaction. Le traité intitulé : « Mourons pour le Fila de Dieu, » constitue en réalité une nouvelle provocation plus véhémente que toutes les autres. Voir, par exemple, le début du c. iv, Hartel, p. 291 : cupio te cognoscere cum omnibus priestigiis ac fraudibus, cumque vaslissima sœvitiæ tute crudelitate jacere te subter pedes Dei seroorum, omnem gloriam luiv vanæ dominationis duci a nobis atque haberi pro nihilo, nihilque te aliud esse…

quam inunem aurulam. Tous les archers de l’armée impériale dirigeraient-ils sur nous leurs flèches en même temps, qu’ils ne nous feraient pas reculer d’une semelle. Et reprenant les textes jadis amassés par Cyprien pour exhorter les fidèles au martyre, Lucifer les aligne pour soutenir dans la persécution, qu’il désirerait sanglante, son propre courage et celui de ses pareils. Et le pamphlet se clôt par la comparaison du sort qui, désormais, attend l’empereur, en enfer avec les réprouvés, et de la gloire qui, au ciel, est réservée aux confesseurs de la foi. La vue des supplices de leur ennemi ne scra-t-elle pas un des éléments de leur bonheur’.'

2. Les lettres.

Il n’y a pas lieu de suspecter l’authenticité de la lettre de Elorentius à Lucifer et de la réponse que lui a faite ce dernier. Les pamphlets visent si directement Constance que l’on s’étonnerait qu’un exalté de la trempe de Lucifer n’ait pas trouvé le moyen de les faire parveniràleur adresse. Par contre, les deux lettres d’Athanase à l’évêque de Cagliari, lui demandant l’envoi de ces livres et le remerciant dudit envoi, ont paru suspectes à L. Saltet, qui pense en avoir démontré l’inauthenticité. Un faussaire appartenant à la secte luciférienne les aurait mises en circulation, pour donner à Lucifer l’appui de l’autorité d’Athanase. Semblablement les auteurs du Libellus precum, voir ci-dessous, déclarent que l’évêque d’Alexandrie a fait traduire en grec les écrits de Lucifer. Il n’est pas impossible, étant donnée la diffusion du schisme lucif érien dans les pays d’Orient, que l’on ait fait circuler de bonne heure une traduction grecque des ouvrages capitaux de notre auteur. Mais il est invraisemblable qu’Athanase ait été pour quelque chose dans cette traduction. Quant à la dernière pièce du recueil luciférien, la lettre d’Athanase aux solitaires, L. Saltet amontré que, authentique en son fond, elle avait été interpolée ; les deux passages latins qui manquent au texte grec, ont été ajoutés par le même luciférien qui a forgé de toutes pièces les deux lettres d’Athanase. — Ajoutons enfin qu’il y a trace d’une lettre adressée par Lucifer à saint Hilaire de Poitiers après la publication du De synodis. C’est cette lettre qui a motivé deux des réponses d’Hilaire dans les Apologetica ad reprehensores libri de Synodis responsa. Voir P. L., t. x, col. 545 et 547.

Chronologie.

Tout le monde est d’accord pour

attribuer l’ensemble des pamphlets à la période de l’exil, soit entre 355 et 361. Dès que l’on veut préciser davantage, on se heurte à bien des difficultés, c’est ce qui explique les notables divergences que l’on remarque entre les critiques.

Au xvine siècle, les Coleti avaient proposé la chronologie suivante : 1. De non conveniendo, écrit peu après le concile de Milan, et sans doute à Germanicie, vers 356. — 2. De regibus apostaticis, composé à Eleuthéropolis, certainement après février 356 (intrusion de Georges de Cappadoce à Alexandrie) mais avant la fin de 358. — 3. De Alhanasio, à l’époque de la guerre entre Constance et le roi de Perse, Sapor, fin de 359 ou début de 360. — C’est cet ensemble de pamphlets qui aurait été envoyé à l’empereur et aurait motivé la lettre de Florentius. — 4. De non parcendo serait postérieur au concile de Constantinople de 360.

— 5. Moriendum aurait suivi de près le traité précédent.

L’auteur de la plus récente monographie sur Lucifer, G. Kruger, accepte la suite des traités, telle que l’ont établie les Coleti, mais il se montre beaucoup plus réservé pour l’attribution de dates précises et de lieux de composition. Les deux pamphlets De regibus et De non conveniendo seraient les plus anciens. Le De Athanasio vient ensuite qui se daterait mieux de 358. De non parcendo contient plusieurs allusions aux