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LUC (SAINT). CHRISTOLCX.II.


nettement soulignée et avec un accent de joie moins marqué que dans les Actes. Et ce souci du développement psychologique n’a pas sans doute été sans influence sur l’ordonnance du récit de saint Luc.

Faut-il -attribuer certaines modifications apportées par saint Luc au texte parallèle du second évangile, certaines particularités dans la présentation des faits, à des préoccupations étrangères à l’histoire et qu’on pourrait qualifier de théologiques ? Certains critiques l’ont pensé, et notamment A. Loisy, qui découvre déjà en certaines pages du troisième évangile l’emploi du symbolisme, de l’allégorie, dont selon lui devait user plus tard avec une liberté souveraine l’auteur de l’évangile johannique. Dans le développement de la tradition évangélique, l’œuvre de saint Luc marquerait ainsi comme une étape intermédiaire entre les récits de saint Marc, plus proches de la réalité historique, et le poème théologique que serait le quatrième évangile. — Il faut certes reconnaître en saint Luc une tendance à généraliser, à élargir la portée d’un fait ou d’une parole en les dégageant des circonstances concrètes qui en limitent la signification directe, une tendance aussi à interpréter les événements pour en souligner la portée providentielle et y faire saisir l’action des puissances surnaturelles (cf. par exemple, le rôle attribué à Satan, iv, 13 ; xxii, 3, 53) ; il obéit en cela à une préoccupation que l’on peut, si l’on veut, appeler théologique. Il n’est même pas impossible qu’il ait attribué à certains faits une signification typique, qui a pu le conduire, pour les mettre plus en évidence, à sacrifier au besoin la chronologie. C’est ainsi qu’il a pu voir, dans le texte d’Isaïe lu par Jésus à la synagogue de Nazareth, le programme même de l’action bienfaisante du Sauveur, telle qu’il entendait la présenter en son évangile, et, dans l’attitude réciproque des habitants de Nazareth et de Jésus un symbole de la mauvaise volonté opposée par les Juifs, pris dans leur ensemble, à la prédication de l’Évangile, et de l’accession des Gentils au salut vainement offert à Israël, Luc, iv, 16-30 ; on s’expliquerait dans cette hypothèse qu’il ait voulu mettre au début du ministère de Jésus l’épisode de Nazareth, qui, en réalité, semble n’avoir eu lieu qu’un peu plus tard, Marc, vi, 1-6 ; Matth., xiii, 5358, et qu’il ait peut-être réuni, en un seul récit deux visites distinctes du Sauveur à ses concitoyens.

Mais ce n’est pas une raison pour dire avec A. Loisy, op. cit., 1. 1, p. 839 sq., que le récit de saint Luc est une fiction créée de toutes pièces par une élaboration allégorique du récit de saint Marc, Lagrange, op. cit., p. 146-147. On va voir par l’exposé des caractéristiques doctrinales du troisième évangile, que la physionomie du Christ non plus que son enseignement n’y apparaissent pas sensiblement autres que dans saint Matthieu et dans saint Marc, et qu’on n’y constate pas, par rapport au second évangile en particulier, cette avance théologique qui est un des postulats de la théorie évolutionniste des origines chrétiennes.

II. christologie.^° La physionomie du Christ. — Si on considère la figure du Christ, telle qu’elle se dégage du troisième évangile pris dans son ensemble, et qu’on la compare avec le portrait tracé par saint Marc, qui est, au dire de la plupart des critiques libéraux, celui qui s’écarte le moins de la vérité historique, tous les traits essentiels apparaissent les mêmes, et on n’y reconnaît pas de traces bien sensibles de cette idéalisation qu’on prête à saint Luc ou à la tradition dont il s’inspire.

Si Luc omet certains détails rapportés dans le second évangile, qui sembleraient au premier abord diminuer quelque peu la figure de Jésus, on a vu plus haut que ce peut être parfois par un certain « opportunisme » (Lagrange, op. cit., p. cxl), en considération des destinataires particuliers de son évangile, qui auraient pu

en être étonnés ou même choqués. D’autres nuances s’expliquent sans doute par des raisons esthétiques, plutôt que théologiques : l’artiste qu’était saint Luc a dû vouloir atténuer certaines rudesses de saint Marc. Comme le dit très bien le P. Lagrange, op. cit., p. i.xi, « les récits de Marc sont comme des terres cuites, frémissantes de vie, belles malgré quelques bavures ; Luc les a copiées en marbre blanc : les traits sont plus réguliers, mais moins expressifs, la physionomie moins animée, mais, ce qu’il faut admirer le plus, c’est que Luc n’a pas manqué la ressemblance. »

On ne peut dire que saint Luc ait accentué de façon notable le côté surnaturel de la physionomie de Jésus. Dans les récits de guérisons qu’il a en commun avec saint Marc, l’élément miraculeux ne paraît nulle part systématiquement grossi. Il est vrai que le troisième évangile raconte six miracles qui ne figurent pas dans saint Marc : la pêche miraculeuse, v, 1-11 ; la résurrection du fils de la veuve de Naïm, vii, 11-17 ; la femme courbée, xiii, 10-17 ; l’hydropique, xjv, 1-6 ; les dix lépreux, xvri, 12-19, et la guérison de l’oreille de Malchus, xxii, 51. Pour ce dernier cas seulement, on pourrait s’étonner que les trois autres évangélistes, qui mentionnent le détail de l’oreille coupée, n’aient pas signalé en même temps la guérison miraculeuse opérée par Jésus : on comprend du moins que saint Luc, qui aime à mettre en lumière la bonté du Sauveur, ait tenu à eh noter ce trait touchant. Quant aux cinq autres récits de miracles propres à saint Luc, ils n’ont rien qui soit contraire à la vraisemblance historique, et ce n’est que par une sorte de parti-pris qu’on parvient à y découvrir des récits fictifs, construits par manière d’allégorie à l’aide de données empruntées à l’Ancien Testament. Cf. le commentaire de M. Loisy sur la résurrection de Naïm, dont il révoque en doute la réalité, op. cit., 1. 1, p. 654-658. Par ailleurs, saint Luc omet plusieurs miracles rapportés par saint Marc ou par saint Matthieu : par exemple la marche sur la mer, Marc, vi, 48, la guérison de la fille de la Cananéenne, Marc, vii, 30, la guérison d’un sourd, Marc, vii, 33, la guérison de l’aveugle de Bethsaïda, Marc, viii, 22-26.

D’autre part, Jésus n’apparaît pas moins réellement homme dans saint Luc que dans saint Marc Sans doute, ici encore, le troisième évangile atténue parfois dans une certaine mesure l’expression des sentiments humains du Sauveur : il ne lui prête pas, comme saint Marc, des mouvements de colère, Marc, i, 43, Luc, v, 13 ; Marc, iii, 5, Luc, vi, 10, ou d’indignation, Marc, x, 14, Luc, xviii, 16, il omet aussi certaines manifestations extérieures de tendresse, Marc, ix, 36 et x, 16, Luc, ix, 47 (encore faut-il noter que plusieurs de ces omissions se remarquent également dans les passages parallèles de saint Matthieu, de sorte que saint Luc n’en est peut-être pas directement responsable). Mais, d’autre part, s’il est un trait de la physionomie de Jésus qui soit particulièrement accentué dans le troisième évangile, c’est la bonté du Sauveur, son humanité. C’est dans le troisième évangile en effet que, à côté d’autres épisodes communs aux trois synoptiques qui montrent la bonté de Jésus pour les pécheurs, on trouve ces récits touchants que sont les pleurs de Jésus sur Jérusalem, la conversion de la femme pécheresse, celle de Zachée et celle du bon larron ; c’est lui surtout qui nous a conservé ces paraboles dé la drachme perdue, de la brebis égarée, de l’enfant prodigue, où se manifeste « ce qui est plus touchant encore que les larmes du repentir, la joie profonde et exubérante de celui qui pardonne, le mouvement des entrailles paternelles, étonnante révélation du cœur de Dieu, qui a ramené tant d’âmes ». Lagrange, op. cit., p. xuv. Si bien qu’on a pu qualifier le troisième évangile l’évangile de la miséricorde, et que Dante a pu appeler saint