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LUC (SAINT). LA COMPOSITION DU TROISIÈME ÉVANGILE


synoptiques, Matth., xxiv, 15-22, et Marc.xiii, 14-19, on remarque que les expressions y sont beaucoup plus précises, évoquant nettement le siège de Jérusalem, la ruine de la ville et la dispersion des habitants, justement comme il arriva en 70. Cela ne suppose-t-il pas que l’auteur du troisième évangile a écrit après les événements ? — Pour un croyant, la difficulté n’est pas dans la précision même de la prophétie, car la science surnaturelle que nous reconnaissons à Jésus lui permettait d’annoncer l’avenir en termes clairs aussi bien que de l’envelopper d’un symbolisme obscur. Elle est dans le fait que cette précision ne se trouve que dans le texte du troisième évangile. Ce n’est point là évidemment une preuve décisive que cet évangile ait été écrit après la ruine de Jérusalem, mais on conçoit aisément que, si on n’a pas par ailleurs de sérieuses raisons d’en placer la composition avant 70, on soit incliné à adopter une date plus tardive. C’est ce qu’ont fait des critiques conservateurs (Zahn, Sanday, Plummer) et même des auteurs catholiques, comme Schanz, et le P. Lagrange jusqu’à son commentaire sur saint Luc. Comme il a été dit plus haut, dans ce dernier ouvrage le P. Lagrange, frappé, comme Harnack, des raisons qui militent en faveur de la composition des Actes des Apôtres du vivant de saint Paul, et estimant ces raisons plus puissantes que celles qu’on allègue pour reporter après 70 la rédaction du troisième évangile, déclare avoir modifié son premier sentiment, et attribue à cet évangile la date de 60 environ.

c) Quant à l’argument qu’ont tiré certains critiques des rapports prétendus du troisième évangile et des Actes avec les écrits de l’historien juif Josèphe pour en reporter la composition à la fin du I er siècle, il n’y a pas lieu de l’examiner ici en détail, car c’est surtout à l’occasion de quelques passages des Actes que la question d’un emprunt à Josèphe peut se poser. Cf. Krenkel, Josephus und Lukas, Leipzig, 1894, et encore Burkitt, The Gospel History and its transmission, 1907. Il suffit de dire que les critiques indépendants les plus sérieux n’ont pas été convaincus par les arguments que l’on fait valoir en faveur de la dépendance de saint Luc, et que, en ce qui concerne l’évangile surtout, les divergences apparaissent plus nettement que les ressemblances. Cf. Lagrange, op. cit. p. xcii sq.

2° L’étude intrinsèque du troisième évangile ne fournit pas, à l’appui de la tradition qui lui donne saint Luc pour auteur, des arguments positifs capables d’entraîner la conviction. On peut noter cependant certains caractères, relever certains indices qui sont en parfaite harmonie avec les données traditionnelles, puisqu’ils inclinent du moins à penser, s’ils n’en fournissent pas à proprement parler la preuve, que l’auteur du troisième évangile était un -grec d’origine, esprit cultivé, et même, plus précisément, un médecin et un disciple de saint Paul.

1. Le vocabulaire et le style du troisième évangile révèlent un écrivain dont le grec était la langue d’origine. Un sémite n’aurait pas écrit la période, d’une forme toute classique, par laquelle s’ouvre l’évangile. II est vrai que, dans le corps de l’ouvrage, se rencontrent nombre de sémitismes. Cela peut tenir aux sources sémitiques dont l’auteur s’est servi, en particulier dans les discours, à la forme araméenne originale qui s’était conservée dans la catéchèse apostolique, mais peut-être aussi, en plusieurs endroits, à ce que, très familier avec la Bible grecque des Septante, il en a imité le style et lui a délibérément emprunté certaines expressions et tournures. Lagrange, op. cit., p. xcv-cx.

2. Le grec du troisième évangile est, d’autre part, un grec beaucoup plus correct et plus clair que celui

des deux autres synoptiques, un grec vraiment littéraire, avec une tendance à l’atticisme, bien que l’auteur n’ait rien d’un puriste. Langue et style révèlent un écrivain de culture classique. Sa manière de composer rappelle aussi celle des historiens grecs, de Polybe en particulier ; dans le choix des matériaux qu’il emploie, et dans leur mise en œuvre se révèle un souci d’art, de mesure et d’harmonie qui suppose une culture littéraire assez raffinée, et qui s’accorde bien avec la profession médicale qui était celle de saint Luc.

3. On est allé plus loin, et on a cherché à établir que certaines particularités d’idées et de vocabulaire, dans le troisième évangile et les Actes, trahissent la main d’un médecin. La thèse, poussée à fond dans l’ouvrage de Hobart, The médical language of St. Luke, Dublin, 1882, a été reprise et fortifiée en particulier par Harnack, Lukas der Arzl, Anhang i, p. 122-137. Par contre, d’autres critiques, et récemment encore M. Cadbury, The style and literary melhod of Luke, Cambridge, É.-U., 1920, ont contesté la valeur probante de cette démonstration. — Il est sûr que les 400 mots relevés par Hobart dans les écrits des médecins grecs, et qui sont en même temps particuliers à saint Luc ou, du moins, plus fréquemment employés par lui que par les autres écrivains du Nouveau Testament, ne sont pas tous caractéristiques, et Cadbury a pu constater dans les écrits de Lucien une proportion au moins égale de termes employés aussi par les médecins grecs. Il reste néanmoins que la proportion des termes médicaux plutôt techniques est assez frappante dans le troisième évangile et les Actes, et que, de plus, ainsi que Harnack surtout l’a mis en lumière, les traits médicaux sont spécialement accentués dans certains récits dont l’auteur a été témoin oculaire. Si ces observations ne constituent pas une preuve véritable que l’auteur du troisième évangile était un médecin, on est au moins en droit d’y trouver un confirmatur à l’appui de l’attribution traditionnelle de cet évangile au médecin Luc.

4. C’est à un confirmatur du même genre qu’aboutit la comparaison entre les écrits attribués à saint Luc et les épîtres de saint Paul. Au point de vue doctrinal, on a déjà fait remarquer que le paulinisme n’en est pas assez accentué pour qu’on en puisse tirer une preuve positive en faveur de leur attribution à un disciple de saint Paul. La comparaison du vocabulaire est plus instructive, elle révèle que, de tous les évangiles, c’est le troisième dont le vocabulaire ressemble le plus au vocabulaire de saint Paul, et que, par exemple, 175 mots ne se trouvent que dans Luc et Paul, dont plusieurs sont des termes assez caractéristiques, comme motôq, TuoTeùeiv, yâ.çic, . L’objection contre la portée de ces remarques que M. Cadbury tire d’une comparaison entre les écrits de saint Luc et le second livre des Macchabées, où l’on trouve aussi une forte proportion de termes communs qui ne figurent pas ailleurs dans la Bible grecque, n’est pas décisive, car ces termes ne sont pas caractéristiques, et leur emploi commun s’explique suffisamment par le fait que l’auteur de II Macch. écrit comme saint Luc un grec choisi. Tandis qu’entre la langue de saint Luc et celle de saint Paul, il y a, le P. Lagrange n’hésite pas à le dire, un véritable air de famille, qui s’explique au mieux, si l’auteur du troisième évangile et des Actes a été un compagnon d’apostolat de saint Paul. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les rapprochements relevés par le commentateur, op. cit., p. cl, entre certains passages de l’évangile et les épîtres pauliniennes, surtout Luc, viii, 12 et I Cor., i, 21 ; Luc, x, 8 et I Cor., x, 27 ; Luc, xi, 41 et Tit. i, 15 ; Luc, xii, 42 et I Cor., iv, 2, etc.

3° L’étude des sources du troisième évangile et de la façon dont l’auteur les a utilisées est une ques-