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LIPSE


tantisme. Est-il allé plus loin ? a-t-il attaqué ouvertement le catholicisme ? Cela est au moins douteux, et l’authenticité des discours publiés sous son nom par des ennemis ne paraît pas absolument prouvée. Iéna, d’ailleurs, ne retint pas longtemps Juste Lipse. En 1575, après s’être marié à Cologne, il rentre en Brabant ; en 1576, il enseigne l’histoire à Louvain ; mais en janvier 1578, après les succès du duc d’Albe, il juge plus prudent, étant donnés les soupçons que laissait son séjour à Iéna, de passer à Leyde, où le 8 avril 1578 il est nommé professeur de littérature latine.

En ce pays, dans cette université calviniste, il s’accommode de la religion reformée. Mais peut-être sembla-t-il un peu tiède aux ministres qui avaient dans les Provinces-Unies, une assez considérable influence. Le bruit qui se fit autour de son livre intitulé : Politicorum libri sex, paru en 1583, où il touchait, c’était la première fois, à la question religieuse, n’était pas fait pour lui rendre agréable le séjour de la Hollande. Peutêtre aussi son esprit était-il troublé par des scrupules d’ordre religieux. En 1591, simulant un voyage d’études, il se rend à Mayence et se réconcilie, dans le collège des jésuites de cette ville, avec l’Église catholique. Il n’y a pas, ce semble, à mettre en doute la sincérité de sa conversion. Cette démarche lui permit d’ailleurs de rentrer à Louvain où il est nommé, en septembre 1592, professeur d’histoire. Mais il va sans dire que certains membres de cette université profondément catholique suspectaient plus ou moins la sincérité du nouveau converti. Cette circonstance l’amena à donner du Politicorum et du De una religione une nouvelle édition. De même, quand parut à Zurich en 1600 un de ses principaux discours d’Iéna, le De duplici concordia, resté jusqu’alors inédit, et que Melchior Goldast eut la malice de publier, Lipse se trouva-t-il quelque temps dans l’embarras. Ses ouvrages sur deux pèlerinages de la sainte Vierge situés dans les environs de Louvain, celui de Halle (Hainaut) et celui de Montaigu (Brabant), s’ils n’ont pas été directement inspirés par le désir de couper court à toute polémique sur la sincérité de son catholicisme, témoignent au moins des sentiments de piété très profonds que nourissait l’auteur à l’endroit de la Mère de Dieu. Ils sont de 1604 et de 1605 ; Juste Lipse, mourait le 24 mars de l’année suivante, assisté dans sa dernière agonie par le jésuite Lessius.

II. Œuvres. — L’œuvre considérable de Lipse (elle comporte 4 vol. in-f°) est principalement d’ordre philologique. Outre plusieurs éditions critiques d’auteurs latins, il a donné de nombreux et volumineux traités sur les institutions tant publiques que privées des Romains (Il n’a pas touché à la philologie grecque dont il savait mal la langue). A ce genre de travaux se rattache un traité qui, en son temps, eut quelque intérêt pour les ecclésiastiques : De cruce libri très ad sacram profanamque historiam utiles, qui parut en 1593, Œuvres complètes, édit. d’Anvers, 1637, t. iii, p. 637, étude de détail sur le supplice de la croix dans l’antiquité. — Très versé dans l’étude de Sénèque, Lipse avait composé, dès 1583, un De conslantia libri duo, qui alloquium præcipue continent in publicis maiis, Œuvres, t. iv, p. 365-420, où il adaptait au langage chrétien les principes du philosophe romain. La raison nous enseigne que les calamités publiques envoyées par la Providence doivent être subies avec constance, comme nécessaires et inéluctables, personne ne pouvant s’échapper au Fatum, c’est-à-dire au décret de Dieu, cꝟ. t. I, c. xrv-xv, xvii-xxii ; mais comme Dieu agit avec le concours des volontés humaines, nous devons nous opposer de toutes nos forces aux malheurs de la patrie. Beaucoup plus tard et presque à la veille de sa mort, Juste Lipse composera

Manuduclionis ad stoicam philosophiam libri lit, L. Annieo Senecae aliisque scriptoribus illustrandi », publiés en 1604, Œuvres, t. iv, p. 421-621 comme préface à une édition de Sénèque qui parut en 1605. Cet ouvrage considérable a certainement beaucoup contribué au regain de faveur dont jouira au début du xviie siècle la philosophie antique. Mais ces études de pure érudition ne touchent que très indirectement au domaine théologique.

Au contraire, un traité de politique achevé en 1589 aborde directement le problème de la tolérance religieuse qui avait, à ce moment tant de raisons de se poser, Politicorum sive civilis doclrinæ libri sex qui ad principatum maxime spectant, Anvers, 1589, Francfort, 1591. (Il est important de noter les éditions car, à partir de 1593, l’auteur a modifié quelques propositions importantes. Je suis ici l’édition de 1591). — C’est une sorte de manuel du prince où chaque point de doctrine est appuyé par des citations d’auteurs anciens surtout de philosophes et d’historiens latins, mais au besoin de Pères de l’Église. Il n’y a pas à insister sur les trois premiers livres, qui traitent des vertus nécessaires aux chefs d’État, des diverses formes de gouvernement, du choix des conseillers et des administrateurs, ni sur les deux derniers particulièrement consacrés à la question militaire. C’est au début du 1. IV qu’est posé, à propos de la prudence nécessaire au prince, le problème de la tolérance religieuse.

Fidèle à l’idéal de son époque, idéal que poursuivaient également catholiques et protestants, l’auteur commence par poser le principe que le premier devoir du souverain est de promouvoir le bien de la religion ; non qu’il faille attribuer au prince un droit absolu sur les choses saintes, mais plutôt un devoir de surveillance, non principi liberum in sacra jus, absit, sed inspectio quædam ; idque tuendi magis quam cognoscendi causa, c. ii, p. 94. Et la religion que le prince doit protéger, c’est la religion traditionnelle, au dire même de Cicéron : lenenda ex rilu veteri, p. 96. L’autorité devra tout faire pour maintenir l’unité religieuse : Ergo ftrmiter hœc noslra sententia est : unam religionem in uno regno servari, c. in. Mais si l’unité est troublée, faudra-t-il en toute circonstance punir les dissidents, et tous les dissidents ? Ce n’est point ici, fait remarquer Lipse, question de pure curiosité, dans l’état présent de l’Europe, où les troubles religieux ont semé partout la désolation, où des milliers d’hommes ont péri per speciem pietatis. Sans se dissimuler la gravité du problème qu’il aborde, Lipse prétend essayer une solution. Il distinguera ceux qui pèchent contre la religion en public, et ceux qui le font en particulier ; en public, gui et ipsi maie de Deo receptisque sacris sentiunt et alios ad sentiendum per turbas impellunt ; en particulier, qui pariter maie sentiunt sed sibi. Pour les premiers, pour les fauteurs de trouble, pas de pitié, et pour prendre une expression familière aux médecins il ne faut reculer ni devant le fer, ni devant le feu, clemenliæ non hic locus, et, comme dit Cicéron, ure, seca ut membrorum potius aliquid quam totum corpus intereat, p. 31. Mais peut-être le désordre est-il devenu tel qu’on ne puisse en punir les auteurs sans l’augmenter ? Alors il faut prendre conseil des circonstances, tempora paulisper inspicere, et sans doute user de tolérance afin de ne pas irriter le mal par des remèdes inconsidérés. Quant aux dissidents tranquilles, il ne semble pas qu’il faille les punir. Hicne talis etiam puniendus ? Non videtur. Peut-être non plus ne faut-il pas trop les rechercher : Fortasse nec nimis inquirendus. Les procédés d’inquisition ne servent qu’à engendrer l’hypocrisie. Et il y a à l’égard de ces pauvres gens une voie plus sûre :