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LIMBES. NATURE DES LIMBES


laisser la nature àsis propres ressources. Même restant dans l’inconscient, la privation de la vision béatifique est une peine grave. Saint Thomas l’explique ainsi : « Premièrement du côté du bien qu’elle retranche, et de cette manière, la privation de la vision de Dieu est de toutes la plus grave. Secondement, du côté de celui qui est privé, et de cette façon elle sera d’autant plus grande que le bien dont elle prive est plus propre et plus surnaturel à celui qui en est privé. C’est ainsi que nous disions qu’un homme est plus gravement puni par la privation de son patrimoine qui lui est dû, que si on l’empêchait de parvenir à la royauté, qui ne l’est pas. Et c’est sous ce dernier rapport que la privation de la vision de Dieu (quand elle est seule, comme dans les enfants, et non accompagnée d’afflictions, comme dans les adultes damnés) est de toutes les peines la plus légère, la vision de l’essence étant un bien entièrement surnaturel. » De malo, q. v, a. 1, ad. 3um.

La perte de la béatitude est une peine objectivement immense quoique non sentie. « C’est pourquoi, en parlant du sort réservé aux enfants morts sans baptême, nous ne prononçons pas le mot de béatitude. Non pas que leur condition, prise intrinsèquement et considérée en soi. diffère le moins du monde de la béatitude qui eût été l’apanage de l’état de pure nature, puisque, dit saint Thomas, s’ils sont séparés de Dieu quant à l’admission de laaloire, ils ne le sont pas quant à la participation des biens naturels. Mais, c’est que, dans l’ordre présent, nous sommes élevés à la fin surnaturelle. .. et que, d’autre part, la béatitude est par définition un état de perfection… omnium bonorum aggregatione per/ectus. Or’, les enfants morts sans baptême sont en état de coulpe, ils sont frappés de déchéance, ils ont manqué la fin à laquelle les destinait l’ordre actuel de la Providence. Le mot de béatitude a donc une portée qui ne trouve pas en eux son application, et c’est la raison pour laquelle nous nous contentons de dire… qu’ils possèdent sans douleur les biens qu’ils ont par nature, sed hoc qw : d pcr naturam habent, absque dolore possident. Card. Billot, loc. cit., p. 32. Telle est la doctrine thomiste très cohérente sur l’état des âmes qui sont aux limbes. Elleresteune opinion théologique, celle du maître de l’École : elle possède aussi une valeur intrinsèque qui lui vient de la connexion logique avec l’enseignement traditionnel sur le caractère purement privatif du péché originel ; en fait, elle est reçue communément par l’ensemble des théologiens.

2° L’état de ceux qui meurent avec le seul péché originel est-il éternel ? — L’exclusion du ciel pour ces âmes est-elle définitive ? La tradition est unanime pour l’affirmer ; le nier serait aller contre la doctrine toujours reçue de la nécessité du baptême saltem in volo comme moyen de salut, contre les décisions d’Innocent III et du concile de Florence qui excluent l’idée d’une peine temporaire pour ceux qui vont aux limbes. Aussi faut-il écarter l’opinion de Minges : Compendium tlirolngiæ dogmaticiv specialis, Ratisbonne, 1 !)22, t. ii, p. 141-144. D’après ce théologien, il serait peut-être possible que les enfants morts sans baptême arrivent un jour à la béatitude éternelle, si des hommes justes offraient ici-bas leurs mérites et ceux du Christ pour eux. Fonilan possibile sit eos saluos fieri si homines justi viaiorei pr<> eit mérita et pretiosum sanguinem Jrsti Chritti Deo of]erunt. Il s’agit donc ici de la justih < al ion possible de ceux qui sont aux limbes. l’orsitan jirr prtnctpla catholica ttlam licet adscribere eis eliam beatitudtnem nriesicm si alll fusli pro ris dicto modo Interpellant, lui ni, p. in. La raison, c’est qu’il faut ouvrir les portes du (ici aussi largement que le dogme

catholique le permet. L’auteur en appelle a la tendance de l’Église à se f ; iire une idée de plus en plus miséricordieuse du soi i, irs enfants morts iam baptême pour ticore de nouveaux adoucissements. Fonltan

DICT, l>l i MÉOL.’A T 1 1 < t.

etiam parvulis in limbo detentis aperiat ccelum, a quo theologi usque adhuc eos passim exciudunt. Ibid.

Reconnaître l’évolution de l’enseignement ecclésiastique dans le sens de la distinction mieux comprise entre la peine du péché originel et celle du péché actuel, ce n’est pas nier la continuité de cet enseignement in eadem sententia, in eodem sensu. Or, ce qui fait cette continuité, c’est l’idée d’exclusion définitive du ciel par le fait du péché originel, affirmer, comme le veut le D r Minges, la possibilité d’une admission à la béatitude céleste des âmes qui sont aux limbes, c’est briser cette continuité ; c’est méconnaître l’homogénéité de l’évolution de la doctrine catholique sur ce point ; c’est émettre une opinion qui ressemble fort à l’opinion que saint Augustin a condamnée dans le De anima et ejus origine. Voir les passages cités plus haut.

3° Lieu. Les documents du magistère ordinaire sont encore moins riches de renseignements sur le lieu des limbes que sur l’état des âmes qui s’y trouvent. Les conciles de Florence et de Lyon se contentent de dire que les âmes qui meurent avec le péché originel ou le péché mortel descendent in infernum. Le pape Pie VI, dans la bulle Auctorem fidei, est un peu plus explicite ; il repousse comme injurieuse aux écoles catholiques la doctrine qui rejette comme une fable pélagienne locum illum inferorum quem limbi puerorum nomine fidèles passim désignant. Denz.-Bannw., n. 1526.

Dans la perspective de la théologie scolastique, ce lieu des limbes fait partie de l’infernus : au-dessus de nous le ciel des élus, au-dessous, dans les profondeurs de la terre, l’enfer au sens de régions inférieures.

Les Pères et les théologiens n’ont pris conscience de la distinction des lieux au sein de l’enfer qu’après avoir pris conscience de la distinction des états des âmes qui y habitent. L’antiquité distinguait deux zones dans l’enfer : la zone inférieure, celle des damnés, et la zone supérieure, celle qui avait été le séjour des justes jusqu’à la venue du Christ. Dès que les scolastiques distinguèrent nettement la différence des états entre les enfants morts sans baptême et les damnés, ils essayèrent de se représenter les séjours différents attribués à ces âmes. C’est ainsi qu’Albert le Grand place le limbus puerorum au-dessus du limbus patrum, mais dans une région supérieure à l’enfer des damnés. Opéra, édition citée, t. xxx, col. 503.

Saint Thomas, en partant du principe de la proportionnalité du lieu à la peine et à la faute des âmes qui l’habitent, établit la probabilité d’un lieu distinct pour le séjour de ceux qui meurent avec le seul péché originel. Sicut acluali peccato debetur pœna temporalis in purgatorio, ita et originali peccato debebatur pœna temporalis in limbo patrum, et œterna in limbo puerorum. Si ergo infernus et purgatorium non sunt idem, videtur quod nec limbus puerorum et limbus patrum sunt idem. In IVnm Sent., Dist. XLV, q. i, a. 2.

En quoi consista la distinction entre le limbus patrum et le limbus puerorum ? Ces deux réceptacles diffèrent selon la qualité de la récompense et de la peine qu’on y reçoit. Limbus patrum et limbus puerorum absque dubio differunt secundum qualilalem præmii et pœnæ : pueris enim non adesl spes beatæ vitæ quæ. patribus in limbo aderat in quibus etiam lumen fidei et gratine refulgebat. Quant à la situation du lieu, elle est probablement la même : sed quantum ad situm loci, probabililer creditur utrorumque idem locus fuisse : nisi qm ni rrquirs beutorum adhuc erat in superiori loco.qunm limbus puerorum sicut île limbo et injerno dictum est. Ibid., a. 2, sol. 2. — Ainsi, le limbus puerorum est un lieu COntigU d’une part à l’enfer des damnés qui est en dessous, et au limbus patrum qui se I rone au dessus de lui. Avec beaucoup de prudence, saint Thomas ne donne cette géographie de l’au-delà que comme probable, m fait.il ne faut jamais oublier que de celle

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