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    1. LIEUX TIIÉOLOGIQUES##


LIEUX TIIÉOLOGIQUES. APRÈS CANO

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renseigne sur les choses de la nature, et la raison expose ou persuade les choses surnaturelles.

4. La question étant ainsi projetée et comme plongée dans tous les lieux, lousles arguments que l’on peut faire valoir pour et contre étant réunis, c’est le moment de disputer dialectiquement, mais pour finir par conclure et déterminer ce qui est vrai ou faux. Dans cette détermination, il y a un ordre à observer : Il faut d’abord fixer ce qui est de foi, en l’appuyant par des témoignages certains et appropriés : ensuite voir ce que la raison prescrit ou tout au moins suggère. Ce n’est pas l’ordre de saint Thomas dans le Contra génies, où il s’adresse aux païens qui n’admettent pas l’autorité, mais c’est l’ordre que suit saint Augustin, comme conforme à la nature, rationem præcedat auctoritas, et c’est aussi l’ordre de la Somme théologique. Cano se félicite modestissime d’avoir restauré cette méthode Schola.. ante nos, non erat adeo fidei argumentis instrucia : a ratione ductis res theologica propemodum’agebatur… Ego vero, in lectionibus meis semper a principio docui quid præfiniret fides, tum quid ostenderet ratio.

5. Cano donne un dernier conseil à ceux qui veulent acquérir une valeur dans la pratique de cette méthode : c’est de s’exercer fréquemment. Parum verba prodesse nostra polerunt nisi ad rem conjerantur ususque præcepta confirmet. Il est donc nécessaire que les théologiens s’exercent à discuter le pour et le contre des questions, et luttent ensemble, quasi in simulacro ; et comme l’imitation des grands maîtres est, dans tous les arts, la meilleure initiation, qu’ils prennent pour modèle, ceux qui sont regardés comme les princes de la dispute scolastique, saint Augustin, citra aleam, saint Thomas, judicio peritorum, et sans doute… Cano lui-même, puisque, aussitôt après cette recommandation, il donne trois types, d’ailleurs achevés dans leur genre, de thèses scolastiques : la première, sur le sacrifice de la messe, question où un principe de la théologie est mis en discussion ; la seconde, sur une question de conclusion théologique : si l’âme du Christ dès sa création a eu instantanément la vision béatifique ; la troisième, sur une question mixte, en soi de raison, mais cependant de foi : l’immortalité de l’âme. Sur le caractère spécial de ces trois exemples, voir M. Jacquin, article cité plus loin, col. 740.

X. La destinée des lieux théolomques après Melchior Cano. — 1° Le De locis theologicis de Cano fut publié seulement après sa mort, Salamanque, 1563. Il faut lire dans les Vindicationes Melchioris Cani, de Serry, c. i, l’accueil favorable que lui firent les théologiens et savants les plus illustres, y compris les jésuites, a quibus vehementer laudatur, comme s’exprime Aloysius Vernerius, Apparatus ad philos, et theol., Rome, 1751, p. 518. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu des oppositions, mais nullement sur la méthode : les objections portent sur un certain nombre de positions prises vis-à-vis de quelques Pères, de saint Thomas lui-même, de certains conciles, ou encore sur certaines doctrines théologiques énoncées en passant, etc.

2° Le succès de la méthode nouvelle provoqua l’éclosion de toute une littérature dont les productions, toujours renaissantes, remplissent plusieurs siècles. Le premier imitateur de Cano semble avoir été Seraphino Razzi, O. P., dont l’ouvrage, paru en 1603, n’est qu’un résumé de Cano, avec quelques critiques de détail. S. Razzius : De locis theol. prælect., Pérouse. 1 603. Gravina, O. P., dans ses Catholicæ pra’scripliones, le suit en développant le côté érudition et apologétique, spécialement contre les hérétiques anciens et modernes, Naples, 1632. Dominique, de la SainteTrinité, O. E., f ait une large place au De locis dans sa Bibliotheca theologica, 1. 1, c. ii, t. iii, Rome, 1665. Le De locis theologicis dissertationcs, d’Opstræt, est regardé comme

le meilleur ouvrage de ce théologien, Lille, 1737. Du Plessis d’Argentré développe plutôt le côté méthode, qu’il clarifie et dégage des entournures de Cano, sans rien changer d’essentiel, Elementa theologica, Paris, 1702. Il faut encore citer Zambaldi, O. S., De locis theologicis, Padoue, 1722 ; Mazzinelli, Totius théologies dogmatioB scolaslicæ, t. i ; Egger, O. M., De præcipuis locis theol., Augsbourg, 1762 ; enfin Gotti, O. P., qui ouvre par un De locis son œuvre magistrale Theologia scolastica dogmatica, Bologne, 1727, t. i. Tous ces auteurs sont des scolastiques, qui voient dans le De locis une introduction à la théologie scolastique.

Faisons encore mention de l’ouvrage du B 1 Bellarmin, De controversiis, t. i, Lyon, 1602, qui, sans avoir en vue la méthode théologique, l’a pratiquée et a fortement établi contre les protestants les fondements des lieux théologiques les plus importants, Écriture, tradition, magistère pontifical.

3° L’ouvrage d’Annat, Apparatus ad positivam theologiam methodicus, Paris, 1700, dénonce une autre tendance, celle du glissement du De locis, vers la théologie positive. Ce phénomène a été parfaitement saisi et rendu dans un article du P. Jacquin, Melchior Cano et la théologie moderne, Revue des Sciences philosophiques et théologiques, janvier 1920, p. 121-141. L’auteur montre que, pour trouver les origines premières de la théologie positive, il ne faut pas s’arrêter aux Petau et aux Thomassin, mais remonter jusqu’à Cano. A propos des trois questions, traitées à titre d’exemple, à la fin du t. XII, il s’exprime ainsi : « L’aspect général de ce travail est tout différent de celui que présentent les œuvres d’un saint Thomas ou des autres maîtres delà scolastique. Tandis qu’ici domine le raisonnement, là c’est l’érudition. Et, par ce seul fait, les constructions de Melchior Cano se placent naturellement en tête de la théologie moderne. Celle-ci ne s’est-elle pas, à peu près universellement, modelée sur ce type, et n’a-t-on pas vu se généraliser dans les manuels l’organisation des thèses théologiques, avec les trois séries de preuves. Écriture, tradition et raison, les deux premières prenant d’ailleurs laprééminence ? » Art cité, p. 136. L’auteur montre ensuite comment cette prédominance accordée aux arguments d’autorité a engendré, dans la suite des temps, des spécialisations inévitables, consacrées à justifier par l’érudition et l’histoire, particulièrement en face des protestants et des humanistes, le donné révélé du théologien scolastique. D’où la théologie positive.

Pour son propre compte d’ailleurs, Cano demeure, en principe, un scolastique : « Cano maintient, en effet, la définition traditionnelle de la théologie et, théoriquement du moins, lui assigne un triple but qui répond exactement à la notion de la scolastique. » Ibid., p. 135. Et, en effet, même sur les trois questions typiques qu’il présente comme exemple, deux relèvent de la déduction scolastique et, quoi qu’il en soit de leur aspect général, sont établies, dans la partie centrale de la preuve, à l’aide du raisonnement théologique, l’une entièrement : Ubi theologiæ conclusio in quæstionem vertitur ; l’autre en partie : In quo ea qu<rstio vocatur in dubium, quæ cum naturalis sit. tum etiam ad fidem perlinet, 4° conclusio. La première question d’ailleurs, Ubi principium theologiæ in quæstionem vertiturA.S.1]. c. xii, était déjà regardée par saint Thomas, comme relevant de la théologie spéculative. Summa theol.. I », q. i, a. 8, corps. Cano est donc bien un traditionnel, et ce n’est que par occasion, per accidens, qu’il a donné lieu à la théologie positive.

4° L’époque des manuels de lieux théologiques, qui dure encore, commence avec Fr. Kranz, O. S. A., De locis theologicis sex tractatus ad usum Augustinianm juventulis, 1770, cf. Chr. Clæss, O. S., Principia theologiæ dogmaticæ ad usum fratrum, Munster, 1781, aux-