Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/367

Cette page n’a pas encore été corrigée

719 LIEUX TIIÉOLOGIQUES. LA DOUBLE TACHE DU THÉOLOGIEN

720

On perçoit ainsi dans sa plénitude la signification de ce que Cano, après Cicéron, entend parle par/ ait dialecticien, modèle du pariait théologien, fin théologie il n’y aura pas de discussion pour la discussion, à la manière des Académiciens, mais il n’y aura pas non plus simple détermination de conclusions certaines, sans recherche préalable, inventio, comme chez les Stoïciens. La détermination sans la recherche est possible dans les sciences, car les principes propres à chaque science sont fixés par l’analyse de son objet. Mais en théologie, comme en dialectique, la preuve des principes se fait par un motit commun, consentement général pour celle-ci, témoignage divin pour celle-là, et il est nécessaire de s’enquérir du degré d’approbation que donne à chacun des principes ce motif commun, si l’on veut juger avec rectitude de la certitude des conclusions qu’on en tire et leur attribuer une note théologique précise.

2° Cicéron qui a fourni à Cano l’idée du parfait dialecticien, ne semble pas l’avoir réalisée clairement, pour son compte, dans ses œuvres de méthode oratoire. Du moins, à parcourir la Rhétorique à Hérennius, le De inventione rhetorica, les Oratoriee partitiones, le De oratore et VOrator, ne trouve-t-on rien qui sépare nettement l’Invention et le Jugement. Les Topica font peut-être exception, si l’on regarde les c. i-xx, comme décrivant l’Invention, et les c. xxi-xxvi, le Jugement te] quel de rhéteurs attentifs à la seule forme de l’argumentation.

Agricola, au contraire, nous a livré l’idée de la tâche précise qui incombe, selon lui, tant à l’Invention qu’au Jugement. Voici sa définition de l’Invention. Si qua’duo itaque conveniant inter se neene… (c’est la question dialectique), necesse est ut terlium aliquod inventas quod alteri horum consentaneum esse certum sit… Id tertium médium argumentât ion is dicitur, quoniam proposita velut extrema duo conjungit : fumquia probabiliter (c’est-à-dire d’une manière qui appelle l’approbation) propositis jungitur, instrumentumque est faciendæ de Mis fidei, vocatur argumentum. Flanc partem excogitandi vel medii vel argumenti, vocant dialectici inventionem. De inventione dialectica, t. I, c. ii, édit. Paris, 1529, p. 7. Ce passage est très utile pour l’intelligence de Cano, en ce qu’il détermine le sens de cet argumentum, qui, pour Cano comme pour Agricola, est l’objectif propre de l’Invention. C’est bien, comme nous l’avions dit, le moyen terme d’un raisonnement, lequel se diffuse de soi dans les deux propositions qu’il unit, majeure et mineure. Cf. A. Gardeil, La notion du lieu théologique, Revue des Sciences phil. et ihéol., 190 « , p. 495. La méthode d’Agricola, comme dit A. Lang, op. cit., p. 61, constitue « une recette pour trouver rapidement un moyen terme », et par suite, ajouterai-je, les deux propositions que ce moyen terme relie.

Le Jugement, à entendre Agricola, a pour tâche de vérifier le côté formel de l’argumentation par laquelle la conclusion est ramenée à ses principes. C’est le sens du mot jugement dans les Premier* Analytiques d’Aristote. Ut ergo aliquid certum sit atque liquidum, id quod in argumentum assumimus, non farie, sed rêvera, unum esse (c’est-à-dire que le moyen terme est pris dans le même sens dans la majeure et la mineure) adhibila est inventioni hœc judicii pars, cui omnis de modis figurisque sijllogismorum præceptio, et cautio omnis captiosarum argumentationum quas fallacias diximus. Ibid., Agricola ne signale pas d’autre usage du jugement dialectique que d’assurer la correction formelle de l’argumentation. Cf. De inv. dial., t. II, c. i. Dès là que les arguments sont tirés d’un lieu dialectique classé et que la forme de l’argumentation est correcte, la conclusion possède la certitude suffisante pour obtenir le genre de conviction que visent à produire les rhéteurs.

3° Il n’en est pas de même pour Cano qui entend que le théologien juge, c’est-à-dire détermine et conclue en connaissance de cause, comme le parfait dialecticien, et cela de manière à confirmer efficacement les dogmes et a réfuter les erreurs contraires. Sa méthode devra donc apprendre non seulement 1. à trouver des arguments, mais 2. à les juger et à juger en conséquence les conclusions qu’ils prouvent.

1. Méthode de l’Invention théologique.

Cano a pourvu àl’Invention des arguments d’abord par l’élaboration des dix lieux théologiques qu’il opère du 1. I au 1. XI de son œuvre, ensuite par la détermination des différents genres de questions théologiques, t. XII, c. v, enfin par les préceptes qu’il donne pour trouver dans les lieux théologiques des arguments théologiques appropriés, t. XII, c. xi, Primum præceptum et, p ir les trois modèles d’argumentation qui terminent son œuvre, ibid. c. xii-xiy.

a) L’élaboration des dix lieux theologiques constitue une sorte d’Invention préalable, in actu primo, des arguments théologiques, qui permet au théologien, aux prises avec une question, d’extraire de ces lieux des principes différenciés, tout prêts à amorcer l’argumentation spéciale que requiert chaque question spéciale. C’est le pendant des catalogues de lieux propres des Topiques d’Aristote ou, si l’on veut, du premier livre du De inventione d’Agricola, cf. c. IV.

Cette invention, théorique et générale ne dispense donc pas de l’invention pratique, in actu secundo, des arguments appropriés à chaque question, qui est la véritable invention du théologien en exercice, mais elle la prépare en lui fournissant, aux lieu et place de cette masse amorphe que constituent les lieux, des arguments inventoriés, spéciaux, bons pour amorcer une argumentation spéciale, notos et tractatos locos, disait déjà Cicéron, Orator, c. xxxiii ; locos… paratos, exercitos, et velut in conspectu et ad manum posilos, dit Agricola, op. cit., t. II, c. xix ; notos et tractatos locos, paratos et exercitos, dit enfin Cano, De locis, t. XII, c. xi, § Omnium autem.

b) La détermination des genres des questions théologiques n’est pas moins utile à l’invention des arguments. Nous en retrouverons plus loin, section vii, la preuve détaillée. Mais la chose va de soi. Si le théologien, dit Cano, ne comprend pas la nature de la question, il ne verra pas facilement… en quels lieux il trouvera ses arguments : si, par exemple, la question est surnaturelle, il faut la projeter dans ces lieux qui s’appuient sur l’autorité divine. De locis, t. XII, c. xv, prsecept. 3 a.

c) Une fois déterminés, tant les genres des questions théologiques que le détail des arguments contenus dans les lieux, il ne reste plus au théologien qu’à trouver les arguments qui correspondent à telle question posée et sont de nature à la résoudre. C’est l’invention pratique et effective des arguments théologiques, avec lesquels se construisent la théologie et ses discussions. Pour la mener à bien, Cano lui trace ses règles propres, t. XII, c. xi, lum Præceptum, dont il éclaire la mise en œuvre par des exemples.

Nous ne donnons pour le moment qu’une vue générale des moments successifs de la méthode d’invention des lieux théologiques afin d’en faire saisir l’enchaînement et d’indiquer les chapitres où Cano traite le sujet. Nous y reviendrons tout à l’heure, après avoir donné une vue générale de ce que contiennent les lieux théologiques pour la formation du Jugement.

2. Méthode pour former le Jugement théologique. — Cano ne donne aucune place au jugement formel, qui est la principale préoccupation du rhéteur, entait de jugement dialectique. C’est de la logique générale. 11 se propose simplement d’enseigner au théologien sur quels critères il doit se régler pour se prononcer, avec