Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/365

Cette page n’a pas encore été corrigée
715
716
LIEUX THÉOLOGIQUES. DÉFINITION DES LIEUX


magister hujus operis componcndi. De lotis th., t. XII, c. m. Cano n’eut peut-être pas eu l’idée de fondre les lieux dialectiques du De inuentione dialectica d’Agricola avec les principes de la théologie scolastique, s’il n’y avait été engagé par la lecture de Y Ad secundum célèbre de l’a. 8 de la première question de la Somme théologique. Là, déclare-t-il lui-même, saint Thomas a indiqué la plupart des lieux théologiques, restricle breuiterque ut solel : non enim dilatât argumentum, sed quasi punclis, quod proponit, efficit. De lotis th., I. XII, c. III.

Dans ce maître passage de saint Thomas, en effet, nous rencontrons d’abord le terme : locus, employé pour désigner les sources de l’argumentation théologique. Saint Thomas vient d’énoncer qu’argumenter à partir de l’autorité est le propre de la théologie, et il poursuit : Nec hoc derogat dignitati hujus doctrinæ, nam, licet locus ab auctoritale quæ fundatur super ratione humana sit infirmissimus, locus tamen ab auctoritate quæ fundatur super revelatione divina est efjïcacissimus.

Ce n’est pas seulement le mot : lieu, entendu au sens de lieu théologique, qui se rencontre dans ce passage, c’est encore l’analogie du lieu théologique et des lieux topiques de la logique rationnelle, qui est l’une des idées génératrices du De lotis de Cano. Cꝟ. t. I, c. ni, § Quemadmodum Aristoteles ; c’est aussi la supériorité en théologie de l’argument d’autorité sur l’argument de raison, autre idée mère de Cano, et la clé de la classification de ses lieux théologiques. De lotis, t. I, c. il et m in fine.

Cette classification elle-même est d’ailleurs es, quissée, par saint Thomas dans la suite du passage en question. La raison naturelle, sous le nom d’autorité des philosophes, s’y entend qualifier d’argument extrinsèque et probable. L’autorité divine, au contraire, y est considérée comme l’argument propre à la théologie, sous deux de ses modalités : l’Écriture canonique, apte à fournir des arguments nécessitants ; les docteurs de l’Église, argument probable. C’est le partage fondamental des lieux de Cano.

Sans doute, comme celui-ci l’a noté, la question de l’utilisation des lieux théologiques, qui constitue la seconde partie de son traité De lotis theologicis, }. XII et, demeurés à l’état de projet, 1. XIII et XIV, n’est pas abordée par saint Thomas, pas plus d’ailleurs, estime faussement notre auteur, trompé par Agricola, A. Lang, op. cit., p. 59, que l’usage des lieux dialectiques ne l’a été par Aristote. Cano voit dans cette prétention une attention de la Providence qui lui a laissé à dire quelque chose de nouveau, ut priores aliquid posterioribus relinquerent in quo… exercere utiliter non solum memoriam sed etiam ingenium possent. De lotis, t. XII, c. m. Mais, toujours au jugement de Cano, saint Thomas nous a laissé mieux qu’une théorie de l’invention ou utilisation des lieux théologiques, il a pratiqué cette utilisation avec une maîtrise incomparable, et que met encore davantage en évidence l’état primitif de la théologie du Maître des Sentences, et de ses commentateurs. Ibid., § Divum Thomam semper excipio. Un modèle d’utilisation des lieux théologiques est à sa manière une méthode, et Cano le professe lorsqu’il recourt aux grands modèles pour montrer la manière dont il faut procéder pour mettre une question théologique en relation avec les lieux de solution qui la concernent : Theologos sane, quod ad invenlionem pertinel, magis veterum exempta juvabunt, quam præcepta, non dico nostra, sed ne cujuscumque quidem alterius artificis. Cf. De lotis, t. XII, c. xi, 2° præceptio.

Il est donc acquis, de l’aveu de Cano lui-même, que saint Thomas a fourni au fondateur de la méthode théologique, l’idée mère de son œuvre, les divisions essentielles des lieux theologiques, enfin, à défaut de

théorie, la pratique exemplaire de la méthode d’invention de ces mêmes lieux, c’est-à-dire de leur utilisation en regard des questions théologiques.

III. DÉ1TNITION DES LIEUX THÉOLOGIQUES. — Mel chior Cano, pour définir les lieux théologiques, s’autorise des Topiques d’Aristote : « Ue même qu’Aristote, dans ses Topiques, a proposé des lieux communs, communes, qui sont comme des sièges et signalisations, sedes et notas, d’arguments, d’où l’on peut tirer toutes argumentations, pour toutes discussions, de même nous proposons certains lieux spéciaux, peculiares, qui sont comme les domiciles de tous les arguments théologiques, où les théologiens trouveront de quoi alimenter toutes leurs argumentations, soit pour prouver, soit pour réfuter. » Cano, De lotis theol., t. I, c. ni.

Si, cependant, l’on compare, comme Cano nous y invite, sa définition. des lieux à la définition du lieu dialectique, telle qu’elle ressort des Topiques d’Aristote et a été formulée tant dans la Rhétorique que par les commentateurs les plus autorisés, on remarque une sensible divergence. Pour Aristote, les lieux sont des propositions universelles qui, en vertu de leur généralité, et du fait qu’elles ne requièrent pour être acceptées par le dialecticien que le consentement général, peuvent s’adapter aux argumentations de sciences diverses, et même d’arts comme la rhétorique. Cette intervention de la dialectique dans les sciences ne regarde d’ailleurs pas les sciences faites, sinon et à titre auxiliaire certaines d’entre elles, comme les sciences physiques et.morales : elle se produit dans les sciences en train de se l’aire, dans leur phase d’invention où la probabilité a ses entrées. Or, aux lieu et place de cette notion précise de logique scientifique, Cano ne nous oftre qu’une description imagée et quelque peu superficielle des lieux dialectiques : sedes, notas, domicilia argumentorum.

Il n’est pas difficile de restituer la définition de Cano à son véritable auteur. C’est d’abord Agricola, qu’il transcrit ; et c’est aussi Cicéron. Cicéron, parlant des lieux communs oratoires dit textuellement : Sic enim appellatæ ab Aristotele sunt hæ quasi sedes quibus argumenta promuntur. Itaque licet deftnire locum esse argumenti sedem. Topicorum, c. n. Et ailleurs : Aristoteles. .. locos sic enim appellat, quasi argumentorum notas tradidit, unde omnis, in utramque partem, traheretur oratio. Orator, c. xiv. Les définitions aristotélicienne et cicéronienne, d’ailleurs, ne se contredisent point, mais la première seule relève expressément de la logique proprement dite ; la seconde, plus large, est davantage adaptée aux commodités de l’art oratoire. Cf. San Severino, Philosophia christiana cum antiqua et nova comparata, Logica, part. II, a. 9, édit. de Naples, 1866, p. 286-307.

Cano avait lu certainement les Topiques d’Aristote, auxquels, à plusieurs reprises, il déclare faire des emprunts. C’est donc volontairement qu’il a préféré à leur définition, la définition de Cicéron. Pour quelle raison’? La vogue extraordinaire du De inventione dialectica d’Agricola à son époque, cf. A. Lang, op. cit., p. 61, ne suffirait pas à expliquer l’adhésion d’un esprit aussi indépendant. J’estime que Cano, ayant constaté la différence entre les principes de la théologie, qui sont des propositions spéciales, et les principes de la topique d’Aristote, qui sont des propositions générales, aura renoncé à les identifier. Mais, ce qu’un seul principe de la théologie, une vérité particulière de foi, ne pouvait faire, à savoir servir de point de départ à plusieurs argumentations, un ensemble apparenté de ces mêmes principes, affecté d’une marque distinctive commune et unique pour toutes les propositions qu’il contiendrait, pouvait le réaliser. Cette marque distinctive, nota, par le grand nombre de principes qu’elle