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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE


allait s’éteignent ? Disons tout de suite d’ailleurs que l’écrit avait été d’abord publié hors de France, à Bamberg, puis à Païenne (pas de date pour les 1°"> édit.), à Valence en 1661, etc. Voir Sommervogel, Bibliolh. de la Comp. de Jésus, t. v, col. 1349-1350.

1. La censure de Sorbonne.

L’Opusculum passa inaperçu en France jusqu’à ce qu’il eût été imprimé à Lyon en 1664. A peine connu, il souleva une nouvelle tempête. Dès septembre, il était déféré à la Faculté de théologie de Paris par le syndic, Antoine Bréda, et une commission était nommée pour l’examiner. Bossuet, qui n’était pas encore évêque, en faisait partie. Le 3 février 1665, la Faculté rendait un décret condamnant une centaine de propositions extraites de l’ouvrage et l’ouvrage tout entier.

Le prologue de la censure commence par rappeler la condamnation portée par le pape Alexandre VII et par tant d’évêques de France contre l’Apologie du P. Pirot, cette sentence aurait dû inviter tout le monde au silence, et « arrêter la prodigieuse démangeaison que les faux théologiens de ce temps ont d’écrire sur la morale… ; la Faculté a été bien surprise de voir que tout d’un coup un ennemi mortel du repos de l’Église et un défenseur de toutes sortes de crimes et. d’abominations, plutôt que des casuistes, est venu à sortir du fond de ses malheureuses ténèbres… Cet auteur a produit un libelle entièrement contraire à l’Évangile, où par une curiosité et subtilité infâme, il traite des choses les plus honteuses d’une manière qui fait horreur. .. Mais il ne s’est pas contenté de publier ses propres erreurs, il a tâché d’infester le cœur des fidèles de toutes les ordures des autres écrivains de son espèce, en se servant pour cela de je ne sais quelle probabilité que l’on appelle probabilité extrinsèque… La Faculté a donc décidé que les propositions extraites de cet ouvrage d’Amadée seraient imprimées, et elle a cru qu’il les fallait examiner, parce que, soit qu’il les défende ou qu’il ne les défende pas, par la malheureuse adresse qu’il a trouvée de les extraire de divers auteurs, quelquefois en les condamnant, et quelquefois en les approuvant, elles ne laissent pas d’être en effet établies et appuyées sur les fondements de la probabilité extrinsèque qu’il défend. La Faculté a cru être obligée d’en user ainsi, afin que, du même trait de censure, elle ne punît pas un écrivain seulement, mais aussi tous les autres trompeurs quels qu’ils soient qui n’enseignent qu’une théologie enfumée et relâchée. » Tout spécialement la Faculté s’élevait contre cette assertion d’Amadée qui semblait à celui-ci une arme victorieuse : On voit, disait Amadée, avec quelle vérité l’Anonyme H’auteur de la Théologie morale) se vante dans son libelle que les propositions dont il s’agit sont fausses, improbables, scandaleuses, téméraires et erronées, que l’Église ne corrige point dans un si grand nombre de si célèbres docteurs, et donc en nulle de ces propositions il n’y a scandale ni erreur. » A quoi la Faculté répliquait : « Il est aisé par là de reconnaître que le principal dessein d’Amadeus, daiia son libelle, a été de défendre toutes ces propositions comme exemptes de censures, et de les mettre en toute sûreté par le moyen de la probabilité extrinsèque. » Il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que cette censure ait été rédigée par Bossuet lui-même. On y trouve quelques-unes des expressions et la plupart des pensées qui reparaîtront sous la plume de Bossuet en 1700.

Suivait la liste des propositions condamnées : elles sont relatives à l’ivrognerie, à l’injure (contumelia), à l’homicide, au duel, à la probabilité, à la charité (le précepte de la charité n’obligeant de soi qu’à l’article de la mort), à la correction fraternelle, à la messe et à la communion (honoraires de messe partiellement retenus), à la simonie, aux élections, à l’usure, au lar cin, à la restitution, à l’acceptation de présents parles juges, au mensonge, aux heures canoniques, aux impôts (les sujets peuvent ne pas payer les justes tributs), au jeûne, à la pénitence (surtout secret de la confession), à la defloralio virginis, au péché de la chair commis avec une femme fibre (qui habuil copulam cum soluia satisfaxit conjessionis præcepto dicens : commis i cum soluta grave peccalum contra castitalem non explicando copulam), la quantité du larcin (si le confesseur demande la quantité du larcin, le pénitent peut dire : je ne suis pas obligé de vous confesser cela), aux signes de douleur dans les mourants (on peut donner l’absolution à un pécheur subitement privé de tous ses sens dans l’action même de son péché), à la possibilité de communier en état de péché mortel sans confession (j’avoue, dit Amédée, que cette opinion est douce, mais je ne sais si celle-ci ne l’est point davantage, qui permet à un homme non seulement qui doute, mais qui sait très certainement qu’il est en péché mortel, de recevoir l’eucharistie sans aller à confesse, quoiqu’il ait là présent un confesseur capable, si d’ailleurs il espère en avoir un plus capable, auquel il se puisse confesser plus dévotement et plus sûrement). Les dernières portent sur la confession sans douleur, l’approbation nécessaire pour confesser validement, les censures, les vœux, l’impureté (furlum triginta regalium majus peccatum est quam sodomia ; licel locare domos meretricibus non intentione ut peccent sed ut ibi inhabitenl). Enfin la Faculté, prise d’une pudeur extraordinaire, signalait seulement par leurs premiers mots une série de propositions relatives à la luxure, de peur d’offenser la modestie des oreilles chastes ; elle les déclarait honteuses, scandaleuses, impudentes et détestables dignes d’être abolies entièrement de l’Église et de la mémoire des hommes.

Elle terminait par cette remarque que nous avons déjà vue énoncée : « Encore que la Faculté ait choisi et condamné plusieurs choses de ce livre, il en reste néanmoins beaucoup d’autres qui auraient pu en particulier être justement notées de censures, parce qu’elles sont contraires à la vérité, à l’intégrité des mœurs, à la chasteté et à l’honnêteté publique. Mais la Faculté, effrayée des ordures dont ce livre est rempli a bien voulu s’en abstenir, étant malséant à des théologiens d’exercer inutilement leur curiosité sur ces sortes de choses. C’est pourquoi la Faculté n’entend point approuver les choses qu’elle a laissées en ce livre, sans y toucher. Au contraire elle condamne et réprouve cet infâme ouvrage tout entier et le juge digne d’être enseveli dans un silence éternel. » Texte latin de la censure dans Duplessis d’Argentré, t. ma, p. 106-115 ; texte français dans Censures… de Paris, p. 339-368.

2. L’émotion à Rome.

Quant à passer sous silence quelque proposition d’Amadée, la Faculté eût bien fait de se taire sur l’une d’elles, qui n’avait avec la théologie morale, qu’un rapport lointain, et dont l’insertion dans la censure allait amener avec Rome un très vif incident diplomatique. Amadée avait laissé passer dans son texte une affirmation, très correcte d’ailleurs, de l’infaillibilité personnelle du pape, en ce qui concerne les doctrines relatives à la foi et les mœurs. De plus en plus ancrée sur ses principes gallicans, la Sorbonne qualifiait la doctrine de ces propositions « comme fausse, téméraire, contraire aux libertés de l’Église gallicane et injurieuse aux universités, aux facultés de théologie et aux docteurs orthodoxes. » Ce n’était pas le moyen d’obtenir l’appui du Saint-Siège dans la lutte contre la morale relâchée ; on était en effet au lendemain du sérieux différend entre Louis XIV et le pape Alexandre VII à propos de l’affaire de la garde corse, et la curie montrait quelque humeur de l’attitude qu’avait prise la Sorbonne dans