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LIBERTÉ PHYSIQUE OU NATURELLE : LIBRE ARBITRE

un acte l’homme pourrait eu faire un autre ; là serait la contradiction. Ils disent qu’au lieu de l’acte qu’il fait, l’homme aurait pu en faire un autre sans que les influences qu’il subit fussent changées. — Mais le motif du moins serait changé ? — A coup sûr. — Donc une des influences, et précisément celle qui décide de tout, serait différente. — C’est ici l’erreur. On se représente la volonté comme purement réceptive ; on dirait que les motifs sont des forces et que la volonté n’est qu’une masse inerte à laquelle ils communiquent le mouvement. On abuse de la comparaison de la balance : les poids, ce sont les motifs ; la balance, dit-on, c’est la volonté. — Mais non, la volonté n’est pas passive ; elle ne réagit pas seulement, elle agit. C’est une balance qui meut elle-même ses plateaux. Quand les motifs changent, elle est pour quelque chose dans le changement. Les motifs se présentaient avec la variété de leurs attraits : la volonté en choisit un, elle le préfère, elle tire d’elle-même cette préférence. » Conf. de Noire-Dame, Carême de 1891, 3e conf.

Il n’est donc pas vrai de dire que tout désir, s’il est violent, emporte fatalement l’action ; ce n’est pas le désir qui décide, c’est le vouloir : là se place la liberté. Et si, au lieu de refouler le désir, je l’accueille et lui livre ma conduite, c’est encore parce que je l’ai voulu ; quelque chose crie en moi que je pouvais et devais vouloir en sens contraire, vouloir contre moi-même, sacrifier tout mon être sensible à l’austère exigence du devoir.

Au reste, qu’entend-t-on au juste par motif le plus fort ? »… Ceux qui présentent cette objection, fait judicieusement remarquer M. de Margerie, op. cit., p. 98, ne s’entendent pas eux-mêmes, et, à la lettre, ce qu’ils disent ne veut rien dire. De quoi s’agit-il, en effet, dans la vie morale ? Du conflit de la passion et du devoir. S’il en est ainsi, l’expression motif le plus fort n’a pas de sens et n’en peut avoir. Je comprends ce que c’est qu’un devoir plus fort qu’un devoir, une passion plus forte qu’une passion. Voici, par exemple, deux préceptes moraux dont chacun, pris à part, oblige la volonté, mais entre lesquels il faut choisir parce qu’on ne peut pas les accomplir tous les deux. La conscience dira lequel impose l’obligation la plus étroite, la plus haute, la plus urgente. Celui-là pourra être dit le plus fort des deux, et nous nous déciderions certainement d’après lui s’il n’y avait en nous d’autres principes d’action que le principe moral. Voici deux passions dont l’une nous sollicite avec véhémence et dont l’autre ne nous incline que plus faiblement dans le sens opposé. La première est assurément plus forte que la seconde et nous entraînerait nécessairement s’il n’y avait en nous que des impulsions passionnées. Mais voici un devoir qui me commande une action, et une passion qui m’en détourne. Où prendrez-vous la commune mesure, l’unité de poids qui, multipliée un certain nombre de fois par elle-même, changera les deux plateaux de votre balance ? Pèserez-vous au poids du devoir ? La plus mince obligation morale pèsera plus que le plus violent attrait, et l’empire du monde, comparé au devoir de la sincérité, ne vaudra pas le plus petit mensonge. Au poids de l’intérêt vérirable, c’est-à-dire du bonheur ? Si vous connaissez l’intérêt véritable qui est d’assurer le bonheur par la vertu, le plaisir le plus enivrant sera un motif d’une faiblesse ridicule au prix des biens éternels promis au renoncement. Au poids de la passion ? La plus fugitive jouissance comparée au plus grave et évident devoir emportera la balance. Il me faudrait donc un poids qui fût tout à la fois mesure du devoir et mesure de la passion opposée au devoir. Mais ce poids, vous ne pouvez pas l’avoir parce qu’il est une contradiction. Sur cette contradiction repose l’objection tout entière. »

Enfin, insistent les déterministes, avant que d’agir l’homme délibère, et il délibère parce que des motifs hétérogènes le sollicitent. Or vous reconnaissez vous-même que c’est une appréciation qui détermine finalement sa volonté hésitante. Donc elle n’est pas libre.

Cela prouve simplement que la volonté n’est pas aveugle. Si la volonté suit toujours le dernier jugement pratique, ce jugement est tel que je le tire de moi-même ; il ne m’est pas donné d’avance. Ni mon état physique, ni mon état mental ne me l’imposent. Il sort de moi à l’instant décisif, conférant au plaisir, à l’intérêt ou au devoir telle priorité qui lui plaît. Cela est possible, parce que je suis à la fois sensible et raisonnable. Cela est réel, puisque je l’expérimente. « Le règne de la nécessité est aboli, dit Mgr d’HuIst, loc. cit. L’être, en gravissant les échelons qui s’étagent depuis l’atome jusqu’à moi, a successivement élargi le cercle de son action ; en entrant dans le domaine de l’intelligence, il a conquis la liberté. « 

5° Le dogme ecclésiastique et le problème du libre arbitre. —

Bien qu’elles ne visent pas directement le déterminisme philosophique moderne, certaines définitions ecclésiastiques, relatives au déterminisme théologique doivent être rappelées ici ; elles précisent la position que l’Église a prise de tout temps en regard du problème de la liberté, et elles indiquent les directives suivant lesquelles doit évoluer le philosophe chrétien quand il discute cette question.

Tout d’abord les expressions employées par l’Église lors des controverses semi-pélagiennes marquent la croyance au libre arbitre. On déclare sans doute que le libre arbitre a été diminué par le péché originel, mais qui dit diminué ne veut pas dire supprimé. Cf. surtout Concil. Araus. II : Debemus credere quod per peccatum primi hominis ita inclinatum et attenuatum fuerit liberum arbitrium ut nullus poslea aut diligere Deum sicuti oportuit, aut credere in Deum, aut operari propler Deum quod bonum est, possit, nisi eum gratia misericordiee divinse prævenerit. Denzinger-Bannwart, n. 199. A l’époque des controverses prédestinatiennes de la renaissance carolingienne, on retrouve le même son dans les décisions du concile de Quierzꝟ. 853, contre Gotescale, voir, t. vi, col. 1500 : Libertatem arbitrii in primo homine perdidimus, quam per Christum Dominum nostrum recepimus, et habemus liberum arbitrium ad bonum, prseventum et adjulum gratia et habemus liberum arbitrum ad malum, desertum gratia. Liberum autem habemus arbitrium, quia gratia liberatum et gratia de corrupto sanatum. Denz., n. 317. Même indication encore dans la condamnation par le concile de Sens en 1141 de cette proposition d’Abélard : Quod liberum arbitrium per se sufficit ad aliquod bonum. Denz., n.373

Ces diverses affirmations témoignent surtout du désir de mettre en sûreté le dogme de l’absolue nécessité de la grâce ; mais du jour ou l’hérésie protestante menacera directement le libre arbitre, l’Église affirmera avec non moins de force sa croyance au dogme de la liberté humaine.

Déjà Léon X, en 1520, dans la bulle Exsurge Domine, condamne cette proposition de Luther, n. 36 : Liberum arbitrium posl peccatumest res de solo titulo. et dumfacit quod in se est peccat mortaliler. Denz., n. 776. Le concile de Trente, après avoir dans la v « session maintenu avec fermeté le dogme du péché originel et de la déchéance qui en est la suite, ne laisse pas d’affirmer avec une égale énergie, dans la sess. vie, can. 5. l’existence du libre arbitre : Si quis liberum hominis arbitrium post Adæ peccatum amissum et exstinctum esse dixerit. aut rem esse de solo titulo, imo titulum sine re, figmentum denique a Salana invectum in Ecclesia, a. s. Denz.. n. 815.

Les difficultés soulevées autour de l’insoluble question des rapports entre liberté et grâce amèneront de nouvelles précisions. C’est d’abord le rejet de cer-