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LIBERTÉ PHYSIQUE OU NATURELLE : LIBRE ARBITRE

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vient que l’homme est d’autant plus libre qu’il suit davantage sa raison, parce qu’il agit d’après son principe spécifique, comme il est d’autant plus esclave qu’il se laisse dominer davantage par ses sens. La vraie liberté ne peut exister qu’avec la raison et la vérité ; ce qui est contre la raison et la vérité est contre la liberté et engendre la servitude. « C’est la vraie liberté, et la plus parfaite, dit Leibniz, de pouvoir user le mieux de son franc arbitre et d’exercer toujours ce pouvoir sans en êU’e détourné par la force externe ni par les passions internes, dont l’une fait l’esclavage des corps et les autres font celui des âmes. Il n’y a rien de moins servile que d’être toujours mené au bien, et toujours par sa propre inclination, sans aucune contrainte et sans aucun déplaisir. » Essais de théodicée. « Lors donc que nous faisons le mal, dit le P. Monsabré, commentant ce philosophe, ce n’est point en vertu d’un perfectionnement de notre liberté, mais bien plutôt par sa défection. Il n’est pas plus parfait dans l’ordre moral de pouvoir renverser l’harmonie des fins, qu’il n’est parfait dans l’ordre intellectuel de pouvoir renverser l’harmonie des principes. Si nous voyions clairement le bien dans sa ravissante splendeur, le mal dans sa hideuse difformité, soyez bien persuadés que nous ne balancerions pas un instant ; sans lutte, sans efforts, nous nous déciderions pour le bien. Mais Dieu a permis, pour notre épreuve, que l’ignorance et les passions jetassent un voile sur notre esprit et que de coupables erreurs déshonorassent notre liberté. Sans doute, nous ne voulons pas le mal pour le mal ; cependant, victimes des ténèbres que nous n’avons pas su dissiper, des appétits que nous n’avons pas eu le courage de dompter, nous mettons le bien là où il n’est pas, ou plutôt nous le détournons de sa véritable et éternelle destination. » Exposition du Dogme catholique, carême de 1874, Paris, 1883, p. 107-109.

II. Liberté physique ou naturelle : Libre arbitre. —

Le problème.


La liberté physique, avons-nous dit, trouve sa plus parfaite expression dans la liberté de nécessité qui repose tout entière sur l’immunité de tout principe intrinsèque à l’agent et le déterminant, par une sorte de fatalité, à agir toujours en dehors de son choix. Cette dernière réside à son tour dans la liberté de contradiction, qui fait de l’être intelligent l’arbitre de ses actes de telle sorte qu’il puisse, de son plein gré, agir ou ne pas agir, vouloir une chose ou ne la vouloir pas. Elle n’est autre que ce que nous appelons le libre arbitre.

On agit fatalement ou librement. Tous les êtres inférieurs à l’homme agissent fatalement, en ce sens qu’il leur serait impossible d’agir autrement qu’ils ne font dans des circonstances données. L’homme est soumis à cette détermination nécessitante dans un grand nombre de ses actions ; d’abord, dans toutes celles qui relèvent de la vie végétative ; puis, dans celles qui appartiennent à la vie de relation mais qui échappent, soit au regard de la conscience, soit au pouvoir de la volonté. L’action humaine est donc très souvent nécessitée ; l’est-elle toujours ? L’est-elle même quand la conscience crie au dedans qu’elle ne l’est pas ? En d’autres termes, avons-nous la liberté physique ou naturelle, appelée le libre arbitre ? Nous verrons plus tard dans quelle mesure nous jouissons de la liberté morale. Ici nous entendons parler seulement de la première.

A la question posée nous répondons parVa/firmalivc, sauf à l’endroit du bonheur que nous poursuivons nécessairement, souvent à notre insu, dans tous et chacun de nos actes.

2° Détermination de la volonté par rapport au bien en général. —

Il n’y a. à bien prendre, que le corps qui puisse être esclave de la violence ; l’Ame s’y soustrait par sa nature propre et ses courageux efforts. Il n’en est pas de même de la nécessité. Issue de lois sur lesquelles repose l’ordre universel, elle commande, elle s’impose, elle imprime un mouvement qu’il faut suivre, sous peine de ne plus être dans sa propre nature. C’est la nécessité qui préside à la gravitation des corps vers les corps, des instincts vers les biens sensibles, des volontés vers la béatitude. « Raidissez-vous contre l’attrait magique de la félicité, dit le P. Monsabré, essayez de protester contre la voix impérieuse qui ébranle tout votre être et chante nuit et jour l’hymne de vos destinées en ces trois mots : il faut être heureux, vous ne le pourrez pas ; votre esprit, votre cœur, votre corps lui-même se laissent prendre et ravir ; vous voulez être heureux. A chacun des objets qui se rencontrent sur le passage de votre vie anxieuse et tourmentée vous demandez : N’es-tu pas le bonheur que je cherche ? Souvent arrêtés, presque toujours déçus, vous ne quittez une étape inhospitalière que dans l’espoir d’en trouver une autre où vos fiévreux désirs pourront se reposer. Tout va bien si, désabusés des mensonges de ce monde, vous savez espérer en paix les jours meilleurs d’une meilleure patrie. Mais enfin, désabusés ou non, il est certain que vous subissez l’empire de la nécessité. La loi qui régit l’irrésistible tendance de votre volonté ne vous fait pas violence ; mais vous lui répondez spontanément et inévitablement par des désirs en attendant la jouissance et le repos. »

Nul de nous ne songe à s’en plaindre, ni ne se croit amoindri ou déshonoré par cette nécessité. Pourquoi cela ? « C’est, répond l’illustre orateur, qu’elle nous vient de Dieu, qui la subit lui-même sans que sa perfection en souffre. Soleil sans déclin, océan de vie, nature pleine et parfaite, douée de tous les charmes, bonté infinie, Dieu ne peut pas ne pas se vouloir et s’aimer tel qu’il est ; se vouloir et s’aimer, c’est son bonheur. Rien de violent, rien d’aveugle, rien de déraisonnable* dans l’attrait qui le tourne vers lui-même et le retient en son essence. Tout y est douceur, lumière, raison infinie, et cet attrait, loin de nuire à l’universelle puissance de sa volonté, lui donne la plénitude même de l’être divin. » P. Monsabré, op. cit., p. 97-99.

Suivant la doctrine de saint Thomas, tous les êtres, quels qu’ils soient, procèdent de la volonté même de Dieu, comme de leur première cause. Il faudra donc trouver en tous son empreinte, ce qui en constitue comme le caractère distinctif. Or, le caractère distinctif de la volonté de Dieu, c’est de ne tendre qu’au bien, lequel bien, d’ailleurs, n’est, pour elle, que la bonté divine elle-même. C’est donc à cette bonté qu’elle ordonne tous les êtres. Il s’ensuit qu’en vertu de la volonté même de Dieu, tous les êtres doivent tendre au bien, c’est-à-dire àlaparticipation en eux. suivant leurs moyens, de la bonté même de Dieu. Cette tendance, en tous, sera proportionnée à leur nature propre. Ceux qui n’ont aucune connaissance tendront au bien, en vertu même de leur nature ; ils ne le feront que dans la mesure où cette nature le réclame. D’autres, qui ont la connaissance sensible, y tendront selon tout l’étendue comprise dans le’rayon de leur connaissance. D’autres enfin y tendront sans qu’aucune limite puisse leur être assignée : parce que, doués d’intelligence, ils perçoivent la raison même du bien universel. Cette dernière tendance au bien, de toutes la plus parfaite, s’appelle la volonté : Qua’dam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem, quod est proprium intellectus. Et hœc perfeedssime inclinantur in bonum : non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum, sicut ea quæ cognitione carent : neque in bonum particulare tantum. sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio. sed quasi inclinata in ipsum