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le fond, c’est-à-dire, ne pas modifier en elle-même la pensée révélée. Mais la mesure était plus difficile encore à trouver ici que sur le terrain de l’action et le libéralisme catholique pourrait être facilement compromis par des nouveautés doctrinales émises sous le couvert de l’esprit moderne.

Ce fut justement un allié des libéraux français, dans la question de l’infaillibilité, Dœllinger, qui donna, à propos de cette question même, la première formule du modernisme. Il prétendit que l’enseignement de l’Église devait se subordonner à la science théologique, c’est-à-dire, en fait, à ses spéculations critiques et historiques. En Allemagne, en Italie, en France, en Angleterre, la pensée fut reprise. Des catholiques y revendiqueront l’indépendance absolue de la critique, de la philosophie, de l’exégèse, de l’histoire des religions et ils prétendront que l’Église doit conformer ses dogmes aux affirmations successives de la philosophie et de la science purement humaine. Des condamnations séparées frappèrent divers tenants de ces idées, puis une condamnation générale intervenait en 1907. Le décret Lamentabili, du 3 juillet, et l’encyclique Pascendi, du 7 septembre, signifiaient aux erreurs modernistes un congé définitif.

b) Condamnation des démocrates chrétiens, du socialisme chrétien et du Sillon. — La proposition 60e du Syllabus condamnait le principe de la souveraineté absolue du nombre. Léon XIII, qui avait reconnu la démocratie comme une des formes de gouvernement que l’Église peut accepter, n’en avait pas moins maintenu la doctrine du Syllabus. Cf. encyclique Diulurnum du 29 juin 1881. Dans l’encyclique Lonainquo Oceani, du 6 janvier 1895, aux évêques d’Amériques, il rappelait que la démocratie, maîtresse du pouvoir, a besoin d’une éducation morale pénétrée de religion. Le 18 octobre 1898, inquiet des exagérations de deux démocrates chrétiens les abbés Dæns et Murri, l’un Belge, l’autre Italien, il rappelle à un pèlerinage ouvrier français conduit par L. Harmel, que les droits de la démocratie ont leurs limites et qu’il y a un ordre social indestructible. Le 18 janvier 1901, dans l’encyclique Graves de communi, il rejetait les conclusions excessives que les démocrates chrétiens d’Italie tiraient de l’encyclique Rerum novarum.

Cette dernière condamnation, Pie X la renouvela dès le début de son pontificat dans le Motu proprio du 18 décembre 1903 et dans l’encyclique Pieni l’animo, en même temps qu’il précisait la tradition de l’Église sur la constitution sociale. Les inégalités sociales, disait le Motu proprio sont de droit divin, et les écrivains catholiques doivent se garder « d’inspirer au peuple de l’aversion pour les classes supérieures et de parler de justice où il ne s’agit que de charité ».

Mais les chefs de la démocratie chrétienne ne tinrent pas compte des limites fixées. En France, en Italie, ils semblèrent reconnaître à la démocratie des droits sans bornes dans l’Église comme dans l’État. Rome alors menaça, frappa. Successivement disparurent les organes de la démocratie chrétienne : la Quinzaine, Demain, La vie catholique, la Justice sociale 1905-1908. Enfin le Sillon, devenu le plus grand Sillon, s’ouvrant à toutes les confessions, à toutes les bonnes volontés, entendant travailler pour l’humanité plus que pour l’Église, avait pris, malgré les croyances personnelles de ses chefs, les apparences de l’indiffércntisme. Puis il prétendait travailler à la totale émancipation politique, économique et intellectuelle du peuple, de telle façon que fût réalisé le nivellement complet des classes et que le peuple, formé, il est vrai, à une pleine conscience de sa responsabilité, fût le maître réel et toujours immédiat du pouvoir : c’était là. d’après le Sillon, l’idéal social

que l’Église elle-même devait reconnaître au nom de la justice. Pie IX condamna cette conception de la démocratie dans une lettre du 25 août 1910 à l’épiscopat français.

c) Le libéralisme catholique est atteint par ces condamnations. — Certains catholiques libéraux s’étaient aventurés dans le modernisme et tout un groupe s’était orienté vers la démocratie. Avec eux-mêmes ils compromirent tout leur parti. Des adversaires attentifs les poursuivirent sur tous les terrains et trè^ habilement soutinrent cette thèse que « le lamennaisianisme, le libéralisme catholique, le socialisme catholique, l’américanisme » étaient les formes solidaires d’une erreur générale, « des épisodes du mouvement intellectuel.et religieux de notre époque », qui attaque en même temps « le dogme, l’Écriture, la tradition, la discipline de l’Église », en d’autres termes des manifestations du modernisme au sens large. Maignien, Nouveau catholicisme et nouveau clergé, 1902. passim. Avec l’abbé Maignien, le chanoine Delassus et le P. Fontaine se signalèrent dans cette poursuite du libéralisme sous toutes ses formes. Leur organe fut la Vérité française, fondée en 1893 par des rédacteurs de l’Univers qui le désertaient parce que coupable de ralliement. Ils multiplient les livres, les brochures. Ils ne tiennent aucun compte des nuances ; ils sont souvent violents, parfois injustes. C’est l’abbé Maignien qui dénonce l’américanisme et en provoque la condamnation par son livre, Le Père Hecker est-il un saint ? Puis, il reproche aux libéraux d’accepter la République et les institutions nées dé la Déclaration des droits, « l’acte de révolte le plus direct, le plus radical, le plus audacieux par lequel l’homme ait jamais attenté au souverain domaine de Dieu sur sa créature ». Les libéraux ont trahi l’Église. « C’est un douloureux spectacle et une énigme pour le philosophe, le chrétien, le moraliste d’entendre des théologiens dire hautement que l’Église ne demande et ne demandera plus à la société rien que la liberté et le droit commun. Nationalisme, catholicisme, révolution, 1901, p. 65, 203. Cf. du même, Nouveau catholicisme et Nouveau clergé, 2e édit., 1902, Delassus, L’américanisme, 1899, Le problème de l’heure présente, 1904, et articles de la Semaine religieuse de Cambrai ; le P. Fontaine qui s’attache davantage à rechercher l’influence protestante dans les erreurs modernes, Les infiltrations protestantes, 1901. Plus récemment, de 1905 à 1908, l’abbé Emmanuel Barbier a poursuivi toutes les nuances du libéralisme : Les idées du Sillon ; le Sillon ; Qu’a-t-il répondu ? Les erreurs du Sillon ? La décadence du Sillon ; Cas de conscience : Les catholiques français et la République ; Rome et l’Action libérale populaire ; Le progrès du libéralisme catholique en France sous la pape Léon XIII (livre qui reproche à Léon XIII le libéralisme de sa politique et qui fut condamné par l’Index) ; Les démocrates chrétiens et le modernisme. En 1908, il commença même la publication d’une revue intitulée, La critique du libéralisme. Ces catholiques intransigeants eurent pour auxiliaires les royalistes de Y Action française.

Vainement, les libéraux catholiques se défendirent, en particulier dans la Quinzaine, que dirigeait M. Fonsegrive : même les modérés de Y Action libérale populaire voient l’opinion catholique se détacher d’eux plus que jamais

Étroitement enserré entre les décisions pontificales, suspect à la masse des croyants, le libéralisme catholique n’est pas mort. De temps à autre ses formules, avec toutes les réserves voulues par l’orthodoxie évidemment, reparaissent ; ainsi, dans les articles cités de M. Imbart de la Tour, L’emploi de la force au service de la vraie religion ou de M. Goyau, L’Église libre dans l’Europe libre. Les circonstances amènent laréa-