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599 LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LUTTES D’IDÉES SOUS PIE IX 600

p. 430, 431 Dupanloup, dans la Lettre pastorale qui annonce à son diocèse le futur concile, s’exprime plus sagement : « Dissiper les erreurs contemporaines, jeter sur les grandes questions que tant de ténèbres obscurcissent aujourd’hui le vif éclat de la tradition chrétienne… Qui donc pourrait ne pas applaudir à un tel effort de l’Église catholique ? » Lagrange, op. cit., t. iii, p. 78.

Mais cette sérénité ne dura pas. Des nuages s’amoncelèrent de tous côtés et, finalement, les libéraux catholiques feront figure d’opposants.

2. La question de l’infaillibilité pontificale. Les libéraux dans l’opposition. — Le 29 juin 1868, Pie IX convoquait officiellement l’épiscopat au concile qui s’ouvrirait à Rome, le 8 décembre 1869. Invités à favoriser cette réunion, les princes ne l’étaient pas, contrairement à l’antique usage, à s’y faire représenter. L’on vit en cela une menace d’impérialisme. Le pape ne se préparait-il pas à faire proclamer par le concile un accroissement de sa puissance spirituelle et une restauration de sa puissance politique, de manière à ramener un ordre de choses périmé et hostile aux institutions modernes ? N’était-il pas dans le sens de la proclamation de l’Immaculée Conception en 1854, du Syllabus dix ans plus tard ? Ne parlait-on pas de proclamer l’infaillibilité personnelle du pape ? Cela fut dit au Corps législatif français, le 10 juillet 1868, ou plutôt insinué par Emile Ollivier, en attendant que cela fût dit ouvertement dans les chancelleries par le Bavarois Hohenlohe. Cf. É. Ollivier, L’Église et l’État au concile du Vatican, 1. 1, p. 400-536 ; Goyau, loc. cit.,

t. IV, c. VII.

Le Il juillet, VUnivers semble prendre plaisir à confirmer les craintes. En écartant les princes, dit Veuillot, le pape ne fait que sanctionner un fait que l’Église n’a pas voulu, celui-ci : « l’État est hors de l’Église ; cette rupture lui donne le monde à reconstruire, elle s’y met. » Sur les ruines de l’état de choses actuel, « on entrevoit dans l’avenir une confédération générale des peuples présidée par le pape ; un peuple saint comme il y eut un Saint-Empire ; et cette démocratie fera ce que les monarchies n’ont pas voulu faire. » Lamennais avait eu déjà la même vision grandiose d’hégémonie pontificale. Mais les libéraux de 1868 n’étaient plus les ultramontains de 1830 : Dupanloup, craignant à la fois’que les gouvernements fussent irrités et l’opinion inquiète, se hâta de publier une nouvelle Lettre pastorale sur le concile, où il rassurait les princes et les peuples. Le concile, comme l’Église l’a toujours fait, s’inspirant des principes de l’Évangile, ne poursuivra que l’erreur et l’injustice, il ne menace rien de ce que les hommes ont le droit d’aimer. L’Église a toutes les ressources voulues dans les profondeurs de son dogme pour ne se laisser dépasser jamais par aucun progrès, pour s’adapter à tous les régimes politiques, à toutes les transformations sociales. La brochure fut traduite dans toutes les langues et, le 25 novembre, Pie IX écrivait à l’auteur : « Votre écrit, c’est notre espérance comme notre désir, dissipera les ombrages. » Lagrange, loc. cit., p. 88-91.

Les libéraux catholiques, visiblement, cherchaient à se persuader à eux-mêmes et à faire croire aux autres que leurs doctrines n’avaient rien à craindre du futur concile. Mais, bon gré, mal gré, ils allaient être amenés à une opposition stérile puis vaincue. La question de l’infaillibilité était au fond de tous ces débats ; elle n’était pas encore posée officiellement, mais elle l’était devant le public. Et les libéraux, prêts à accepter le dogme s’il était proclamé, étaient opposés à cette proclamation. Les uns, comme Dupanloup, y croyaient sincèrement, mais ils jugeaient inopportune la proclamation officielle du dogme. Voyant le monde catholique à travers le monde politique, ils

s’imaginaient que l’Église, en s’affirmant concentrée, pour ainsi dire, en un seul homme, révolterait l’âme moderne ennemie de tout absolutisme. D’autres, comme Montalembert, tout en se défendant d’être devenus gallicans, rejoignaient cependant sur ce point le gallicanisme, par attachement aux formes de la liberté.

Or, le 6 février, la Civiltà cattolica, qui recevait ses inspirations du Vatican, publiait une longue correspondance française. Opposant aux catholiques libéraux les catholiques tout court, il y était dit que ces catholiques, les vrais, attendaient un concile rapidement mené, qui ne laisserait pas à l’opposition le temps de se manifester, qui transformerait en dogmes positifs les négations du Syllabus et qui voterait par acclamation l’infaillibilité du pape. L’Univers, le Monde, YUnitù de Turin se hâtèrent de reproduire cet article et de le commenter avec éloges. Ce fut un beau tapage chez les libéraux et les opposants. Ainsi, les discussions seraient étouffées et un nouveau programme devait être substitué au programme officiel, très général, il est vrai ! et si c’était là le programme des commissions préparatoires, ce programme étant secret, comment la Civiltà le connaissait-elle ? Cf. Lettre du P. Victor de Buck à Mgr Dupanloup, du 9 mars 1869, Archives du séminaire de Saint-Sulpice. citée par F. Mourret. Histoire, t. viii, p. 53° Les 18 et 19 mars, le Français, journal fondé l’année précédente par Mgr Dupanloup, protestait qu’ainsi ne pouvaient se passer les choses. U Allgemeine Zeitung, au même moment, mettait en cause le pape lui-même. Vainement, la Civiltà protesta qu’il s’agissait d’une correspondance privée, qui n’était même pas destinée à la publicité ; et cela était vrai ; on ne la crut point.

Nous n’entrerons pas ici dans le détail des polémiques ainsi déchaînées. Très violentes en Allemagne, elles le furent presque autant en France. Dans l’ensemble, les catholiques libéraux y apparurent en adversaires de la définition. Or, dans les derniers jours de septembre, se produisait la défection du P. Hyacinthe, connu pour ses opinions et ses attaches libérales. Bien que l’ex-religieux l’expliquât par des motifs plus protestants que libéraux, les journaux et les prélats hostiles en rendirent le libéralisme responsable. Le Correspondant crut alors devoir sortir du silence prudent où il s’était enfermé. Le 10 octobre, il publiait un manifeste où il exposait ses vues sur le concile. L’inspirateur en était Dupanloup, bien que de Broglie eût tenu cette fois encore la plume. Mémoires, Rev. des Deux-Mondes, 15 nov. 1925, p. 423. Après un magnifique éloge de l’Église, l’article abordait la question du concile. Il veut, disait-il, dissiper les inquiétudes qui troublent même beaucoup de nobles esprits.

Il s’efforce donc de montrer que le programme du concile n’est et ne peut être le programme des catholiques intransigeants. Deux craintes surtout se sont manifestées. Elles concernent « les rapports du pape avec l’Église et de l’Église avec la société civile ». Mais « aucune mention n’est faite, même par l’allusion la plus indirecte, dans la bulle qui a convoqué le concile », de l’une ou l’autre de ces deux questions. Et leur discussion par le concile paraît peu vraisemblable. Le Correspondant n’entend pas dicter des leçons « à ceux de qui l’on attend la lumière », mais il ne peut se dérober à son « métier » de périodique. On craint donc de voir « le concile concentrer toute l’autorité de l’Église sur la tête du souverain pontife. Mais « les États généraux de l’Église peuvent-ils créer dans son sein une monarchie despotique qui n’a jamais existé » ? Précisons. S’il s’agit de l’autorité dogmatique, « s’attend-on que le concile, tranchant la question si vivement débattue entre l’ancienne