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    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LE LIBÉRALISME MODÉRÉ

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naissait à ce personnage. Les résultats ne furent pas heureux. Cf. A. Garnicr, Frayssinous, son rôle dans l’université (1822-1828), Paris-Rodez, 1925. Les catholiques ne cessent de réclamer l’abolition du monopole ; en revanche, les libéraux, plus pressants à mesure que grandit leur influence, obligent Frayssi-nous à abandonner la direction de l’instruction publique (1828), puis des affaires ecclésiastiques et le ministère Martignac à rendre les fameuses ordonnances de 1828, celle du 21 avril concernant les écoles primaires et les deux du 16 juin concernant l’enseignement secondaire. Celles-ci déchaînent une véritable lempête à la Chambre ; dans l’épiscopat au nom de qui l’archevêque de Toulouse, Clermont-Tonnerre, rédige un mémoire de protestation, sur quoi intervention du pape qui conseille aux évêques de céderet refus de Clermont-Tonnerre ; dans le pays : agitation des ultras, fondation d’une Association pour la défense des intérêts catholiques, publication par Lamennais du livre Des progrès de la Révolution. L’article 69 de la nouvelle charte promet enfin « dans le plus bref délai » la liberté de l’enseignement, mais quand paraît l’Avenir, 16 octobre 1830, la promesse semblait oubliée.

Les 17, 18 et 25 octobre, l’Avenir publiait trois articles sur la question. Il y accumulait les arguments en faveur de la liberté de l’enseignement. C’est un droit que « Dieu, la nature et la charte » assurent aux catholiques. La liberté et le progrès dans tous les ordres ont besoin de l’enseignement ; et par conséquent de la liberté de l’enseignement. « Vouloir la libellé sociale et le progrès de l’humanité sar.s liberté d’enseignement, c’est vouloir un phénomène sans cause », car le monopole c’est l’esclavage des intelligences, l’immobilité, l’absence de concurrence. Puis, » presque toute liberté est une liberté d’enseignement, et c’est une énorme contradiction dans les termes et dans les choses, un pays où la chaire et la tribune sont ouvertes, mais où l’école est fermée. » Articles de l’Avenir, t. i, p. 33, 34. Enfin, tout spécialement, la liberté d’enseignement est un corollaire de la liberté d’opinions si hautement proclamée par la charte. « Toute la civilisation moderne serait changée, si les lois déterminaient une époque de la vie, avant laquelle la liberté d’opinions n’existerait pas. Dès lors reviendrait le principe des républiques anciennes, que l’esprit de l’enfant appartient à l’État, … principe exécrable pour les chrétiens qui ne peuvent accorder le droit exclusif d’enseignement à une autorité humaine ; exécrable pour des libéraux qui ne reconnaissent à aucune autorité le droit de courber les intelligences sous le jovg. La Charte a émancipé l’enfance. » Et qu’on n’objecte pas : « L’enfance est-elle capable d’avoir ses opinions à elle ? » Si l’État ne les lui forme pas, c’est le père qui lui imposera les siennes. Mais il n’y a pas à hésiter : « Aimezvous l’enfant plus que son père ? La nature vous a-t-elle imposé les obligations sacrées qui dépendent de la transmission du sang et du nom’? Si la Charte interdit au père de toucher à l’esprit de ses enfants, Dieu lui en fait un devoir, Dieu lui rend ses droits ; montrez-nous le même titre. » Ibid., p. 112-116. Le 7 mars, le journal publiera un article d’Ault-Dumesnil Sur la liberté de l’enseitnerr.ent, comme droit naturel, droit de famille et premier élément de la société, où les mêmes idées seront reprises encore et accentuées. Voilà pour la théorie.

Pratiquement, l’Avenir ne cessera de dénoncer les mesures gouvernementales contraires à la liberté de l’enseignement ; il attaquera le projet du ministre Barthe, destiné, disait son auteur, « à consacrer la liberté de l’enseignement primaire » et y opposera celui-ci : « Art. 1 er. Tout Français est libre d’être maître d’école, à la seule condition d’avoir des élèves.

Art. 2. Les pères de famille sont chargés, chacun en ce qui le concerne, d’aviser à l’exécution de la présente loi. » N. 98, 22 janvier 1831, Projet de loi sur l’enseignement primaire, t. ii, p. 279, 280 ; il dénonce enfin toutes lescirconstances où, dans [’Université, se passe quelque scandale religieux et moral. D’autre part, l’Agence générale à peine fondée lançait une pétition pour la liberté d’enseignement que publiait l’Avenir du 18 janvier 1831, n. 94, ibid.. t. ii, p. 241, 242 et qui recueillait 15 000 signatures. Enfin, le Il avril 1831, l’Avenir annonçait : « L’Agence générale travaillera à la ruine du monopole. Elle a l’honneur de prévenir que, d’après les arrangements qu’elle a pris, elle sera en mesure d’ouvrir une école, sans autorisation de l’Université, du 25 au 30 du présent mois. Elle n’y recevra d’abord que des externes, auxquels seront enseignés, par des maîtres sans diplôme universitaire, le catéchisme, l’arithmétique et les éléments des langues grecque et latine. » N. 187, Ordor.r. ar.ce contre la soi-disant Université, ibid., t. iii, p. 461.

Le 29 avril, le même journal publiait le prospectus de l’école, n. 205, École gratuite, ibid., t. IV, p. 111113. Ce prospectus, daté du 28 avril 1831 et signé de Lamennais, Bailly de Surcy, de Coux, Gerbet, Lacordaire et Montalembert, autrement dit des membres du conseil de l’Agence, disait le but des fondateurs : La liberté ne se donne pas, elle se prend. La France a pris la liberté de l’enseignement, car c’est elle qui a dicté l’article 69 de la Charte. Mais l’Université s’oppose à l’exercice de cette conquête ; elle vient encore de dissoudre des écoles gratuites d’enfants de choeur : eh bien ! ils veulent la mettre aux prises avec des hommes. L’école est gratuite ; c’est plus chrétien et « l’enseignement, pour devenir universel, doit tendre à être gratuit ». Elle s’ouvrira le lundi 10 mai. En terminant, les signataires appelaient, comme couronnement de la liberté conquise, la fondation à Paris, « d’après les grands types d’Allemagne, de la première Université libre et catholique du XIXe siècle ». L’école s’ouvrit au jour annoncé ; le lendemain mardi, la police la fermait « au nom de la loi ». Les maîtres l’ouvrirent de nouveau le mercredi matin ; le soir, nouvelle intervention de la police ; et les trois maîtres étaient cités pour le 20 devant le tribunal correctionnel. Le procès, remis au 3 juin, fournit à Lacordaire l’occasion d’une éloquente déclaration. Les prévenus, disait-il, voulaient être jugés par le jury : « La cause que nous avons à défendre est la cause de tous les pères de famille, la cause des pauvres, la cause des hommes qui gémissent de n’avoir reçu qu’une incomplète éducation. D’où vient que nous ne souhaiterions pas que les pères de famille, les pauvres, le peuple en un mot la jugeât ? » Le tribunal se déclara incompétent. 4 juin 1831, Affaire de l’école libre, ibid., t. iv, p. 431-443. Le procès, après avoir passé devant la cour d’appel, aboutit les 19 et 20 septembre à la Cour des Pairs où Montalembert venait d’entrer, par hérédité. Les trois accusés invoquèrent tous les arguments qu’un catholique libéral peut invoquer en faveur de la liberté, surtout Montalembert. « Je me suis élevé contre l’Université, dit celui-ci, comme jeune homme et comme étudiant », connaissant par moi-même « les effroyables dangers » de l’éducation légale : « comme Français », c’est-à-dire, comme homme libre avant et plus encore après la Charte de 1830 ; « comme chrétien et catholique car je vis avec l’intime conviction que ce que j’ai au monde de plus cher et de plus sacré, ma foi, est opprimé, est outragé, par l’existence du monopole de l’Université. » T. vi, p. 256, 257, 263, 330. Les accusés furent condamnés à 100 francs d’amende ; leur école fermée ; mais leur cause était gagnée devant le pays.