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LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LE LIBÉRALISME MODÉRÉ

posé à la Chênaie d’abord, puis à Paris, au jour le jour, dans les dispositions troubles des derniers mois et où s’affirmaient su révolte politique et à la fois la révolte religieuse à laquelle la révolte politique l’avait conduit. Comme il s’était obstiné à publier, il maintint son point et l’encyclique Singulari nos, datée du 25 juin 1834, condamna bientôt les Paroles d’un croyant et aussi la philosophie menaisienne.

Lamennais n’entraîna pas son école avec lui. Depuis plusieurs mois elle était en train de se dissoudre. A son retour de Munich, il s’était installé à La Chênaie où Lacordaire, Gerbet et quelques autres disciples le rejoignirent. Le 11 décembre 1832, Lacordaire, sûr de la chute prochaine, s’est enfui ; en juillet 1833, après la publication par l’archevêque de Toulouse du bref du 8 mai, Lamennais doit abandonner la direction de la congrégation de Saint-Pierre et dissoudre l’école de La Chênaie. Puis, Gerbet disparaît en silence. Montalembert, qu’avait nettement désigné et même blâmé le bref du 5 octobre 1833 à l’archevêque de Rennes, après avoir longtemps essayé de calmer Lamennais, fait publiquement, le 8 décembre 1834, acte de soumission aux deux encycliques. Sur tous ces points, cf. Lettres inédites de Lamennais à Montalembert, publiées par Eug. Forgues, Paris, 1898, L’Ami de la religion ; La Revue européenne qui a remplacé le Correspondant, 1831-1834 ; Lamennais, Affaires de Rome, Paris, 1836-1837 ; Lecanuet, Montalembert, t. ii, 1895 ; Boutard, Lamennais, t. il, 1908 ; Dudon, Lamennais et le Saint-Siège, 1911.

Il fallait s’arrêter à cette période. Jamais le libéralisme catholique ne retrouvera cette ampleur ; jamais il ne sera exposé avec plus de sincérité et les questions ne seront plus profondément étudiées. Les articles de l’Avenir resteront la source où les libéraux catholiques qui suivront trouveront leurs principaux arguments. Cet exposé permet encore de comprendre pourquoi le libéralisme menaisien fut arrêté par Rome dans son développement ; ce qu’il contenait d’une part d’illusoire, de risqué, de dangereux, pour le moment où il paraissait ; combien il se heurtait, d’autre part, aux principes qui avaient régi la vie de l’Église. Emporté par son rêve d’une Église, émancipatriee des peuples, puis volontairement acceptée par eux comme une souveraine, il risquait de la jeter dans une aventure et de faire reposer son autorité sur le suffrage des peuples et non plus sur l’institution divine. Rien de plus dangereux ne se pouvait imaginer.

deuxième période (1834-1850).

Le libéralisme catholique survécut à la défection de Lamennais ; assagi par l’expérience précédente, il va mitiger son programme et son action et aboutir dans l’ordre de la politique religieuse à de réels succès.

Le libéralisme catholique survit à l’encyclique « Miruri vos ». La conciliation.

L’encyclique Singulari nos frappait plutôt une œuvre et la philosophie personnelle de Lamennais que le libéralisme catholique ; ce libéralisme, l’encyclique Mirari l’avait atteint.

« Rome a parlé, la cause est finie, » s’écrièrent aussitôt

les légitimistes gallicans. Des libéraux pensaient de même, mais pour inviter Lamennais à sortir de l’Église puisqu’elle ne voulait pas de la liberté, tel Lerminier : Lettres philosophiques adressées à un Berlinois, viii, De l’Église et de la philosophie catholique, M. de Lamennais, Paris, 1832.

Mais l’impulsion avait été trop forte, elle répondait trop à certaines tendances, et même, en Belgique, en Irlande, à d’incontestables nécessités, pour que le mouvement cessât brusquement. Et puis, sûrs de leur droite intention, les libéraux catholiques avaient conscience d’avoir manqué surtout de mesure et d’à-propos. Ils tentèrent donc une conciliation entre leurs théories et l’encyclique. Les catholiques belges, qui entendaient l’encyclique condamner les principes dont ils avaient fait le fondement de la charte belge, ne voyant que là le salut de leur pays, s’étaient émus : l’épiscopat les rassura. Ils pouvaient continuer d’appliquer ces mêmes principes sans cesser d’être libéraux. Leur mot d’ordre continua donc d’être : La liberté pour tous, sans que Grégoire XVI les blâmât. Cf. Les deux Lettres pastorales du cardinal Stercks, archevêque de Malines, sur La constitution belge et l’enseignement de Grégoire XVI, Malines, 1864. En France, la Revue européenne, par la plume de Cazalès, t. iv, p. 330-334, suggéra une solution analogue, mais rendue plus diflicile par les conditions générales « Le pape, dit cette Revue. n’a pas condamné, dans le sens rigoureux du mot, les doctrines de l’Avenir. Vit-on jamais dans l’Église une condamnation par allusion ? Il a seulement désapprouvé en général la ligne politique de l’Avenir », donc

« la partie transitoire, circonstancielle de ses doctrines ».

Il s’agit ainsi non de dogme mais de gouvernement, de tactique, « choses qui varient avec les temps et les faits ». Sur ce point, quelle fut la faute de l’Avenir ? L’encyclique condamne « ceux qui prêchent les libertés de la conscience, des opinions de la presse », mais en tant qu’ils les font découler de la source empoisonnée de l’indifférentisme. L’Avenir n’est pas de ceux-là. Son tort fut de n’avoir pas compris que « les conditions » n’étaient pas assez changées pour que « la politique de l’Église dût aussi changer », et d’avoir manqué « de précision et de mesure ». Après l’encyclique, un catholique ne peut plus s’allier à la révolution contre les pouvoirs établis et, en France, parler de la séparation de l’Église et de l’État. Quant aux libertés inscrites dans la charte, liberté politique, liberté des opinions, liberté de la presse, un catholique peut, « sans rien préjuger pour d’autres temps et d’autres pays, les défendre et les réclamer », à la condition, toutefois, de ne pas les considérer, soit comme un droit de l’homme, abstrait et métaphysique, soit comme le meilleur moyen de conquérir le monde au catholicisme, à la condition aussi de s’abstenir de toute théorie générale et absolue, de ne pas représenter comme une société modèle celle où l’anarchie intellectuelle est consacrée par les lois, à la condition surtout de ne pas la recommander aux catholiques de tous les pays. Lacordaire, dans la lettre, dont il a déjà été question, du 27 juillet 1850, au comte de Falloux. distinguait plus simplement le sens absolu, absurde et condamné, du sens relatif, celui de l’Avenir, toujours permis : « Rome a pu nous condamner à cause des exagérations et en prenant dans un sens absolu soit la séparation de l’Église et de l’État, soit la liberté de la presse, soit la liberté religieuse. Il est certain que la séparation de l’Église et de l’État, prise dans un sens absolu, est absurde. Il n’en est pas de même dans le sens relatif. Par exemple, on peut très légitimement soutenir que, dans une société comme la nôtre, il vaut mieux que le pouvoir civil ne nomme pas les évêques… La liberté de la presse immodérée et effrénée, comme le dit l’Encyclique, est absurde…, mais sagement délimitée, principalement dans l’ordre politique, elle fait une partie essentielle des gouvernements qui ne sont pas absolus, » que le Saint-Siège ne voulait et ne pouvait condamner. Et si « la liberté religieuse prise dans un sens absolu, est absurde », elle ne l’est pas dans le sens de la tolérance civile. « bien différente de la tolérance et de l’indifférence dogmatiques ». Et il ajoute : « Si l’encyclique… avait condamné dans l’Avenir le sens relatif, c’est-à-dire le sens du concordat de 1801 et de la Charte de 1814, il n’y a pas un de mes écrits qui n’eût mérité les censures de Rome ; car depuis, comme auparavant, je n’ai cessé de soutenir le sens relatif de l’Avenir et qui