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    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LAMENNAIS ET L’AVENIR

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colonne et soutien de l’éternelle vérité, patrie commune des intelligences, asile inviolable des élus, dépositaire fidèle’de l’avenir de la terre comme des espérances du ciel. » Une telle Église « se suffit à elle-même ». Elle n’a besoin que de sa liberté. T. i, p. 107, 109. La protection des rois, c’est toujours pour elle la servitude, c’est « la religion administrée comme les douanes et l’octroi, le sacerdoce dégradé, la discipline ruinée, l’enseignement opprimé, l’Église… communiquant chaque jour plus difficilement avec son chef, et chaque jour aussi plus durement soumise aux caprices du pouvoir temporel, façonnée par lui à tous les usages, recevant tout de lui, ses pasteurs, ses lois, sa doctrine même. » Ibid., p. 27.

I D’ailleurs, l’intérêt immédiat du catholicisme est d’être séparé du pouvoir, pleinement indépendant. « Le passé à cet égard nous instruit de l’avenir. » Que l’Église paraisse l’alliée du pouvoir, ou sa protégée, « on verra ce qu’on a vu : le prêtre, avili dans l’opinion. .., sera représenté comme l’instrument vénal de l’administration, comme le fauteur du despotisme et l’appui naturel de la tyrannie ; on l’accusera de servilité, d’intrigue, d’avarice. » C’est pourquoi Dieu est intervenu, lui offrant la liberté : « Dieu même, préparant son affranchissement par des voies merveilleuses…, frappe à coups redoublés et brise les portes du cachot où l’Église gémissait depuis des siècles, … tout ce que nous voyons a, dans les desseins d’en-haut, pour but principal, de lui rendre, avec son indépendance, l’action qu’elle a perdue et qui sauvera le monde. » Ibid., p. 25. Jamais, depuis son origine, l’Église de France ne s’était encore trouvée dans une position semblable à celle où l’a placée la dernière révolution. Son avenir ne peut demeurer longtemps indécis ; il faut qu’elle choisisse entre une ruine entière et une magnifique régénération. Dieu l’a remise, en quelque façon, dans les mains de son conseil ; à elle de choisir entre ces deux partis : « renaître plus belle et plus forte par la liberté ou expirer dans la honte d’une servitude irrémédiable. » T. ii, p. 147. Que l’Église ait confiance ! « L’Église des États-Unis est une merveille qui ne s’était jamais vue ; » si « l’Église n’a rien à démêler avec le pouvoir, elle choisit ses évêques ; elle communique directement avec Rome, elle fonde des monastères et des écoles, ., elle existe selon les lois communes… » en un mot, elle est libre. Ibid., p. 163, 164. D’ailleurs, « le développement des lumières modernes amènera un jour, non seulement la France mais l’Europe entière… et, par un progrès successif, le reste du genre humain » à l’Église ainsi dégagée de ses liens et renouvelée par la liberté. T. i, p. 25.

La certitude que la séparation seule assurera la liberté de l’Église amènera l’auteur de VEssai sur l’indifférence et ses disciples à l’idée de la liberté de conscience et de culte. Le meilleur moyen de garantir la liberté de l’Église leur paraissait être, d’après l’exemple des États-Unis, de faire rentrer cette liberté dans le droit commun. « Nous demandons, dit l’article déjà cité, Des doctrines de l’Avenir, p. 304, la liberté de conscience ou liberté de religion, pleine, universelle, sans restriction ni privilège et par conséquent, en ce qui nous touche, nous catholiques, la totale séparation. … » Us n’entendent pas évidemment reconnaître à toutes les croyances une valeur égale de vérité, d’utilité et de salut, ni un droit théorique égal au respect du pouvoir et à la soumission des consciences, mais, se plaçant en face du pouvoir civil, ils proclament la liberté de conscience un droit naturel, sacré, et, vu l’état présent du monde, ils considèrent que l’Église doit renoncer à l’appui des sanctions humaines, à Vappel au bras séculier, et que les pouvoirs civils n’ont plus ni le droit, ni le devoir de lui prêter leur appui matériel.

Il s’agit donc de la tolérance civile qu’ils veulent entière. Les idées de l’Avenir sur ce point sont exposées dans un article du 2 juillet 1831, Éclaircissement sur lu liberté de conscience, t. v, p. 205-212. « L’idée d’une loi divine prescrivant des croyances, est radicalement indépendante de toute sanction civile. » Et « la tolérance civile n’est nullement l’indifférence religieuse > ; en laissant à un homme la liberté de dire des absurdités, on n’en juge pas moins qu’il « dégrade son intelligence ». D’autre part, « si l’intolérance dogmatique et la contrainte étaient essentiellement liées, leur union sérail une loi aussi inflexible que la profession de la foi. L’Église l’a-t-elle jamais entendu ainsi ? Donc le titre sur lequel pourrait se fonder l’intolérance civile, ne saurait être l’obligation de croire, considérée en elle-même, mais bien quelque chose d’extérieur Et, pour mieux préciser, Gerbet continue : Pour promouvoir la profession’de la vraie religion, l’Église possède sur ceux qui sont soumis de droit à sa juridiction un pouvoir « à la fois externe et spirituel », une « force coactive, mais qui n’exerce qu’une contrainte morale ». Elle peut donc imposer des peines spirituelles, comme l’excommunication mais non des peines civiles, ce point est « de doctrine catholique ». — « Un pouvoir civil, une fois séparé de la religion, ne saurait en aucun sens intervenir dans le domaine des croyances » et, dans un état constitutionnel et divisé de croyances comme la France, où la loi est censément l’œuvre de tous, la loi doit être « égale pour tous ». Mais « en supposant que, par la liberté même, l’unité de croyances se rétablisse chez un peuple », comme « le pouvoir civil, pris à part, ne peut se mêler du spirituel », l’État, sollicité par l’Église, aurait-il le devoir d’accorder son appui matériel ? autrement dit, « l’ordre social du Moyen Age, devrait-il renaître » ? Il y a là une contradiction : i si la foi renaît par la liberté, » la liberté maintiendra ses droits, ce serait un crime d’y renoncer, puisque ce serait détruire la cause même qui a provoqué le triomphe de la religion, le libre exercice des facultés humaines ! Si, dans des siècles passés, au Moyen Age, l’Église a fait appel au bras séculier, elle a fait usage d’un pouvoir « qui ne cessera jamais de lui appartenir radicalement », mais les circonstances étaient autres et « la puissance spirituelle, invariable dans son essence, se déploie à des degrés variables, selon les diverses phases que présente l’état du monde >. Au Moyen Age. les peuples étaient « sous les rapports intellectuel, moral et politique, dans l’enfance », et il dut y avoir pour eux, sous la direction de l’Église, le régime de la paternité royale qui doit cesser lorsque les peuples arrivent à la majorité, c’est-à-dire à l’âge de se conduire eux-mêmes. — En fin « on se persuade que le régime de contrainte est utile à la cause de la vérité ». C’est ici « un ordre dechoses relatif et variable », et. dans ce monde divisé de croyances, la contrainte serait plus nuisible qu’utile. Le pays où le mouvement d’ascension du catholicisme a été le plus rapide est précisément celui où la liberté générale de conscience est affranchie de toute entrave, les États-Unis. Comparer R. P. Vermeersch, Imbart de la Tour, de La Brière. dans les ouvrages cités col. 510.

e. Les conditions de la séparation. — x) La rupture du concordat et la nomination des éveques. — > La Charte étant la première loi et la liberté de conscience le premier droit de tous les Français, nous tenons pour abolie et nulle de fait toute loi particulière en contradiction avec la Charte et incompatible avec les droits et les libertés qu’elle proclame : et dès lors, nous croyons qu’il est du devoir du gouvernement de s’entendre avec le pape, et cela sans aucun retard, pour résilier de concert le concordat, devenu légalement inexécutable, depuis que la religion catholique a cessé d’être la religion d’État. » Ainsi s’exprimait Lamennais dans