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    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LAMENNAIS ET L’AVENIR

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situation était loin d’être égale entre « les marchands de travail », comme s’exprime [’Avenir, et les ouvriers. La Restaurationn’avait rien modifié. Or, en même temps, naissaient la grande industrie avec ses conséquences, le machinisme avec ses premiers chômages. L’on vit alors se constituer une classe nouvelle, la classe des ouvriers que l’on commence à appeler des prolétaires, n’ayant pour vivre que leur salaire, désarmés en face de patrons qui réduisent ce salaire au minimum, et condamnés à la misère pendant les crises industrielles tandis que, pour de multiples causes, l’âme de beaucoup se détache des croyances traditionnelles.

A la suite d’Adam Smith, des économistes comme J.-B. Say, qu’on appellera l’école libérale, affirmaient que le libre jeu de la loi de l’offre et de la demande, de la libre concurrence et du libre échange assurerait, à lui seul, la prospérité économique et l’harmonie sociale. Par contre, des philanthropes, plus ou moins idéologues, Owen en Angleterre, Saint-Simon puis Bazard en France, faisaient la critique de l’organisation économique, parlaient d’une refonte de la société pour le bonheur des ouvriers et appelaient ceux-ci à une organisation coopérative du travail. Le Globe, devenu après le Producteur l’organe des saint-simoniens, prenait pour devise : « Toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration des conditions morales, matérielles et intellectuelles de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse ; tous les privilèges de naissance sans exception doivent être abolis. A chacun suivant sa capacité, à chaque capacité suivant ses œuvres. » Enfin les ouvriers se groupaient et, comme, en France, toute association leur était interdite, ils formaient des sociétés secrètes, toujours menaçantes pour l’ordre social.’L’Avenir ne dissimule aucune des misères, aucun des abus, aucun des périls de la situation. Il insiste surtout sur le péril social : « Il n’y a plus en présence, depuis la dernière révolution, dit-il le 19 octobre 1830, que la bourgeoisie et le peuple, la classe qui achète le travail et la classe qui le vend » ; il faut craindre « la ruine des uns ou l’asservissement des autres ». Il faut redouter les sociétés secrètes d’ouvriers. T. i, p. 35-38. Plus tard, parlant de l’Angleterre, il montre les industriels qui, « à force d’inventer des machines et de diminuer les salaires, ayant réduit les ouvriers à une condition qui se rapproche de celle de l’esclave », sentent « une haine implacable au-dessous d’eux… qui n’attend pour éclater que le moment où elle trouvera leur vigilance en défaut ». T. i, p. 247. Le mal vient du système économique qu’ont préconisé Smith, Say, Sismondi : « Une seule question les occupa, celle de déterminer les lois les plus favorables à la production des richesses matérielles, » écrit de Coux. Ils ne se demandèrent pas « si la répartition de la fortune publique n’avait pas autant d’importance que son accroissement. Ils ne songèrent qu’à augmenter la puissance productrice des nations et subordonnèrent dès lors le bonheur des individus, l’aisance du prolétaire à la splendeur des favoris de la fortune ». Loin de s’inspirer du catholicisme, ils dénoncèrent même ses institutions et ses croyances comme des obstacles au développement de la richesse. T. ii, p. 180-184 ; t. v, p. 189.

Le remède ? h’Avenir n’apporta pas un système économique tout fait ; le temps lui manqua. Il s’en tient aux données de l’école libérale, mais en les corrigeant puissamment. Après avoir posé ces principes : « Personne ne peut intervenir sans injustice dans la fixation du prix des salaires, » « Après la liberté de conscience la plus inviolable est la liberté du travail », il demande pour les ouvriers le droit d’association, parce que, vraiment, entre le capitaliste et l’ouvrier

isolé, il y a trop d’inégalité. La société trouvera là son profit : au lieu d’associations secrètes, on aura des associations publiques et l’industrie n’aura rien à craindre : « Du droit accordé aux ouvriers mécontents de se coaliser naîtra, pour les autres, le droit de se séparer d’eux. » Des associations des ouvriers, t. i, p. 35-^8. L’Avenir demandera aussi pour l’ouvrier le droit de suffrage. Ce droit sera une puissance utile entre ses mains. « Reconnaissez à l’ouvrier le droit de suffrage, et cet guerre sourde qui épuise notre commerce finira d’ellemême. Le prolétaire aura quelque chose à donner au fabricant en échange des bienfaits qu’il en recevra, son vote. Alors la charité aura un motif permanent et, comme ce motif agira d’une manière universelle, ce surcroît de dépense… apaisera toutes les irritations, sans causer de véritable perte au capitaliste. » T. m. p. 425-429.

Surtout l’Avenir, qui parle, comme le Globe, delà classe la plus nombreuse et la plus pauvre, entend bien que le catholicisme interviendra, non seulement avec l’esprit de charité mais avec l’esprit de justice et de prudence qu’il avait dans la suppression de l’esclavage. Entre « le riche qui fournit la terre et l’argent, et le pauvre qui ne peut mettre que son travail dans le fonds commun », le prêtre interviendra « comme tiers désintéressé », après être intervenu par ses bienfaits. Plus encore : le catholicisme « donnera aux mesures prises l’esprit moral qui assurera l’efficacité des mesures par l’accord des âmes… » loc. cit.

b) Libertés qui intéressent plus particulièrement la religion. — a. La liberté de la presse. — « Nous voulons la liberté de la presse, comme garantie nécessaire de tous nos autres droits et, en particulier, de nos droits religieux, » dit la Déclaration présentée au Saint-Siège, ibid., t. ii, p. 478. La presse n’est pour l’Avenir « qu’une extension de la parole…, comme un bienfait divin, un moyen puissant, universel, de communication entre les hommes et l’instrument le plus actif qui lui ait été donné pour hâter les progrès de l’intelligence générale ». T. i, p. 386. Il demande donc pour la presse une liberté légale entière, pas de censure légale, pas de restrictions fiscales, pas de sanctions arbitraires du pouvoir. Ibid., p. 97-104, 226-228. « Dans un état de choses où le pouvoir varie continuellement. .., tous les partis doivent se réunir pour protéger la complète indépendance de la presse, premier moyen de défense contre tous les genres d’oppression, sa liberté seule est l’intérêt universel. » Prospectus. 1. 1, p. i, v. Puis, toutes les libertés sont solidaires, t. iii, p. 160-162 ; mais celle de la presse est la garantie nécessaire des autres et particulièrement de la liberté religieuse. « Nous ne pourrions, dit la Déclaration… au Saint-Siège, loc. cit., lier cette liberté (de la presse) au gouvernement, politiquement séparé de toute croyance, sans lui donner le pouvoir d’empêcher à son gré toute la religion. » Parce qu’elle est cette garantie, et aussi parce qu’elle est « le principal… et presque unique moyen de propagation des idées », qu’elle seule peut former « l’esprit public des provinces, si nécessaire pour balancer, souvent même pour neutraliser l’influence funeste de la capitale », et aboutir à une salutaire décentralisation, la presse libre « est une nécessité des temps, une condition de la régénération sociale, le moyen le plus efficace pour la vérité de se produire au grand jour ». T. v, p. 146-152.

Sans doute, la liberté de la presse, c’est la liberté de l’erreur, et il y a « les ravages, les abus, les scandales de la presse ». L’Avenir n’ignore pas l’objection. « Une seule chose fait peur à beaucoup de catholiques dans le régime libéral, écrit Lacordaire, c’est la liberté de la presse. Ils ne peuvent comprendre qu’on laisse à l’erreur le faculté illimitée de se produire. » T. iv, p. 505. Et il répond : les catholiques ne peuvent espérer