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    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LAMENNAIS ET L’AVENIR

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catholiques ; ceux-ci ne croiront plus avoir besoin du pouvoir « pour échapper à la domination de la philosophie sous le nom de libéralisme ». Beaucoup de catholiques, en France, aiment la liberté. Que les vrais libéraux s’entendent donc avec eux pour réclamer « la liberté entière, absolue, d’opinion, de doctrine, de conscience et de culte » et toutes les libertés civiles… sans privilège, sans restriction… D’un autre côté, que les catholiques le comprennent aussi, la religion « n’a besoin que d’une seule chose, la liberté. Mais il faut pour cela que les catholiques entrent, en gens de cœur et de résolution, dans la liberté : à cette condition ils y seront invincibles ». Or, « la liberté doit être pour tous et entière pour chacun… » Ainsi se formera le parti qui marchera à la conquête de l’avenir, ou plutôt il existe déjà. Le prospectus se terminait par cette annonce : « M. l’abbé F. de Lamennais concourra à la rédaction de l’Avenir. »

2. Les idées directrices de V « Avenir ». — Voici les idées générales qui serviront de point de départ au programme détaillé qu’élabore l’Avenir.

a) Comment la révolution de 1830 ouvre l’ère de Dieu et de la liberté. — Pour son point de départ, l’Avenir a cette idée de progrès que le xviiie siècle a tournée contre le christianisme ; mais il la comprend à la manière de Vico, et il la pénètre de l’idée chrétienne qu’exalte le Discours sur l’histoire universelle, de l’idée de Providence. L’humanité est comme l’individu, elle tend à se dégager progressivement des liens de l’enfance, à mesure que l’intelligence, affranchie par le christianisme, croissant et se développant, les peuples atteignent, pour ainsi dire, l’âge d’homme. Ce progrès, sans doute, n’est pas uniforme partout, quoique partout il existe. « Il y a des aînés dans la grande famille des nations » et la France est incontestablement cette aînée. « C’est donc en elle que, nous pouvons le mieux observer la loi de développement à laquelle la Providence a soumis l’humanité et qui règle l’ensemble de ses destinées. » Or, manifestement, la France est arrivée à l’âge de la liberté ; l’ordre social voulu va s’y établir « plus ou moins prochainement » et « pénétrera aussi peu à peu… dans le reste de l’Europe, et au delà, proportionnellement aux progrès futurs du christianisme dans le monde ». Articles, t. v, p. 162, 163 ; t. ii, p. 340-346. Mais si Dieu « a voulu que l’humanité avançât perpétuellement », cette marche en avant n’a rien de régulier et d’uniforme. Il y a, dans la vie de l’humanité, des périodes de calme, mais aussi des crises violentes, qui sont les périodes de transformation. Un ordre social providentiellement « frappé d’une sentence de réprobation expire après d’incroyables douleurs… » L’humanité s’inquiète ; rien n’est perdu cependant. « Alors, mais alors seulement, apparaît la pensée régénératrice que l’Éternel a déjà couronnée reine d’un nouvel univers. D’abord elle se montre vague et incertaine ; bientôt une lumière plus vive l’environne, … le découragement fait place à l’espérance…. Une autre ère sociale commence et le monde est sauvé. » T. ii, p. 83. Les révolutions « ces secousses violentes » qui peuvent n’être que « de sanglantes folies », peuvent donc être également les moyens du progrès : ainsi s’explique la crise des cinquante dernières années. Le progrès de l’humanité voulait que disparût « le système politique des Bourbons, cette tyrannie sans échafauds, cet absolutisme sans volonté, ce misérable compromis entre la puissance matérielle et la justice ». Mais, « de l’œuvre de destruction », la Providence fait en ce moment sortir « l’œuvre de régénération ». 1830 a apporté « le mot de l’énigme terrible que nos pères ont vainement cherché à résoudre. Le cri parti de la noble Irlande a été entendu ; les échos de la France et de la Belgique l’ont répété et le monde chrétien a répondu : Dieu et la liberté. » Ibid., p. 84.

b) Ce que l' « Avenir » entend par « l’ère de Dieu ». Catholicisme social et théocratie. Ultramonlanisme. -Voltaire avait béni le petit-fils de Franklin « au nom de Dieu et de la liberté » ; ce n’est pas évidemment au même sens que l’Avenir emploie la même formule. Ses rédacteurs se placent surtout au point de vue de l’organisation sociale. Dieu a fixé de toute éternité et révélé à l’humanité la loi de vérité et de justice, du respect de laquelle dépend, en tous temps et en tous lieux, l’ordre social, « l’ordre légitime », qu’il ne faut pas confondre avec a l’ordre légal » toujours variable. Ibid., t. i, p. 49. Mais, dans le monde chrétien, Dieu est Celui « à qui les nations ont été données en héritage —, disait Lamennais, « Celui qui a reçu de son Père toute puissance au ciel et sur la terre » ; Celui, écrivait Lacordaire, « que l’on cessera de haïr, quand on verra combien il fut libéral, ami du progrès, Celui que les nations cherchent sans le savoir, qui sera la liberté et le frein de la liberté. » T. v, p. 177 ; l. 1, p. 242. Or, « l’Église, épouse du Christ, Roi universel de l’ordre spirituel et corporel, partage avec lui la souveraineté du monde ; elle est reine de droit et de fait dans les empires catholiques, … souveraine de droit de tous les peuples qui n’ont pas reconnu ou qui repoussent sa juridiction. » Mais « Dieu, dont l’essence est unité, a constitué son Église par l’unité du Christ et du souverain pontife, qui continue sa mission sur la terre ; le pape est le chef, le docteur de l’Église ; il est l’âme de l’Église, et l’Église est l’âme de la chrétienté et la chrétienté l’âme de l’univers ; il s’ensuit que le pape est l’âme de la société humaine. » T. ii, p. 195, 196. Ainsi :

a. Il y a un ordre social. — Cet ordre a été fixé par la loi divine de justice universelle et éternelle. Le respect de cette loi assure aux sociétés ces deux biens suprêmes : l’ordre et la liberté. Où cette loi donc n’est plus connue ni observée, il n’y a que despotisme et anarchie. Dieu, qui a fait l’homme « être social », a d’abord préposé une autorité à la direction de toute société. Toute puissance sociale légitime vient donc de Dieu ; « c’est de Dieu que les souverains reçoivent leur autorité ; et, en ce sens, ils sont de droit di’u/n. Mais Dieu ne leur communique pas sa puissance immédiatement ; il n’y a pas de droit divin des rois, au sens historique du mot : « Dieu communique la souveraineté immédiatement au peuple et par le moyen du peuple à la personne ou à la communauté gouvernante. » Toute autorité monarchique, aristocratique, démocratique, est de droit divin, c’est-à-dire, est une autorité légitime « envers laquelle l’obéissance est un devoir moral » quand cette autorité se conforme à la loi de justice. T. i, p. 73-80, 423-430. En second lieu, selon cette loi de justice, « la conscience et la pensée ont ce droit inaliénable de ne rendre compte d’elles-mêmes à aucun homme et de ne dépendre que de Dieu. » La puissance politique n’a donc aucune autorité sur elles : « elle ne saurait sans extravagance, et quelquefois sans crime, s’établir juge du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de l’injuste…, tout ce qui constitue l’ordre spirituel est de droit indépendant d’elle. » Selon la loi de justice enfin, et en dehors même de la conscience et de la pensée, il est, dans les individus et dans les nations, des droits antérieurs et supérieurs à tout pouvoir politique, et que par conséquent ce pouvoir a le devoir de respecter. Cet ensemble de droits, dont le respect s’impose au souverain, et qui ont Dieu pour origine, constitue « le droit divin des peuples à la liberté ». T. v, p. 164, 165 ; t. ii, p. 464, 465.

b. Il y a un ordre social catholique. La théocratie de l' « Avenir ». — Pour les nations catholiques, il y a un ordre social propre, « perfectionnement de l’ordre social primitif ». Ce système « est tout le catholicisme ». Il faut le remarquer, en effet, ce n’est ni le dogme, ni la