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LAXISME. SYSTÈME DE MORALE


dans sa cause ; si l’on y est arrivé, si l’on s’est empoisonné, c’est qu’on l’a voulu, si l’on ne voit plus, c’est qu’on s’est crevé les yeux, on vit dans l’état habituel du péché grave. Au commencement du xixe siècle, saint Alphonse de Liguori paraissait trop bénin, aujourd’hui on le trouve quelquefois trop sévère, on cherche des accommodements à tout : « L’Église finira, dit-on, par s’adapter à la loi du divorce, » etc.

Le laxisme se résout donc habituellement en une ignorance (voir ce mot) plus ou moins vincible. Si elle est vincible et qu’on s’en rende compte, il y a obligation de s’instruire et de ne pas agir tant que la conscience ne sera pas redressée. Si elle est invincible et c’est, d’après l’énoncé des causes, le cas le plus habituel, le mal paraît irrémédiable, il est du moins très grave. L’agent n’est peut-être pas ou n’est peut être plus coupable dans l’acte même, il le reste dans la cause, plus souvent sans doute qu’on ne croit.

IV. Conséquences.

En tout cas, que l’on soit ou non coupable en agissant, les conséquences sont redoutables pour la famille, la société, l’Église entière. C’est que d’abord il y a : 1° Mal matériel, or le péché matériel est un mal véritable, un outrage à Dieu et à sa Providence, un profond désordre introduit dans le monde par la créature, à rencontre de la sagesse que le Créateur a voulu mettre dans ses œuvres. Une bête déchaînée dans un beau jardin qu’elle dévaste, un feu mis par imprudence qui dévore tout, un malencontreux restaurateur qui gâte un édifice sous prétexte d’embellir ne sont pas coupables personnellement, le mal est cependant commis. Il a pour conséquence : 2° Un scandale souvent très grand. Combien sont impuissants à se diriger par eux-mêmes et ne peuvent avoir d’autre règle que l’exemple qu’ils ont sous les yeux : les enfants, ceux qui n’ont pas suffisamment étudié, en sont là. Qui peut alors mesurer les conséquences qu’entraînent les maximes relâchées répandues dans notre société ? Nous touchons ici à un des maux les plus profonds de notre époque en ce qui concerne le mariage, la justice, la charité, etc. Sans compter que le péché matériel peut fort bien ; 3° se transformer en péché formel. Quand il s’agit du droit naturel, on n’est sans doute jamais tout à fait sûr de ne pas pécher, la bonne foi complète doit être bien rare sauf chez le vulgaire complètement ignorant. Un jour ou l’autre, une circonstance imprévue, une lecture, un sermon, une réponse inattendue à une question posée éclairent la conscience malgré elle. Mais l’habitude mauvaise est prise, il faudrait pour y résister plus de force qu’on n’est capable d’en déployer, et l’on pèche formellement.

V. Remèdes.

Sans doute, il y a des remèdes que tout le monde connaît : la prière, la réflexion avant d’agir, l’examen de conscience, un bon directeur, la maîtrise des passions, la communion, etc. Ces remèdes en eux-mêmes sont tout ce qu’il y a de plus efficace, mais la conscience relâchée est tout ce qu’il y a de plus incapable d’en faire son profit. On a besoin d’une forte nourriture, elle ne manque pas, mais on n’a point d’estomac pour la prendre. Aussi, pour l’empêcher d’exister faut-il dire comme saint Paul : « Prêche la parole, insiste à temps et à contre-temps, reprends, menace, exhorte, avec une entière patience et toujours en instruisant. » II Tim., iv, 2.

II. LE LAXISME, SYSTÈME DE MORALE. —

Cet état de conscience pratique est aussi ancien que le monde et durera sans doute autant que lui. Au xviie siècle, l’Église eut à réagir contre certaines tendances théoriques et dut condamner des propositions erronées qu’elle releva dans les ouvrages de nombreux théologiens. Nous étudierons d’abord très brièvement : les circonstances qui expli quent l’apparition du laxisme. — Avec de ; détails plus abondants l’histoire de la querelle du laxisme (col. 41).

I. Circonstances qui expliquent l’apparition du LAXISME. — Nous n’avons pas à exposer ici les systèmes imaginés depuis le xvie siècle pour résoudre le problème de la conscience douteuse, pour transformer le doute théorique sur l’obligation morale de faire ou d’éviter quelque chose en certitude pratique pour agir sans crainte de péché. Voir Probabilisme. Qu’il suffise de dire que, s’ils doutaient de la certitude d’une obligation, les Pères conseillaient de résoudre le cas avec humanité : « Quand on ne sait pas si une viande a été immolée aux idoles, dit saint Augustin, on peut la manger sans scrupule. » Episl., xlvii, ad Publicolam, n. 6, P. L., t. xxxiii, col. 1X7. I ! aurait été, et avec lui la plupart des autres, probabiliste avant la lettre.

Saint Thomas et les docteurs du Moyen Age auraient incliné plutôt vers le probabiliorisme. Au xvie siècle, les principes réflexes restés jusque-là à l’état latent dans les différents auteurs ont commencé d’être formulés dans un système théologique. En 1577, Médina, O. P., résume ainsi sa pensée : Si est opinio probabilis, licitum est eam sequi, licel opposita probabilior sil. Il entend par là que, si une opinion a pour elle de bonnes raisons, on peut la suivre, même quand l’opinion contraire a pour elle de meilleures raisons. C’est, exprimé en quelques mots, le probabilisme sage auquel, après de très longues discussions qui ont occupé le xviie et le xviiie siècle, on aboutit de nos jours. Selon la tournure d’esprit des théologiens qui suivront, ce probabilisme revêtira trois formes principales : 1. Les uns, comme Suarez, Amort, Sylvius, etc., diront : on ne peut suivre l’opinion qui favorise la liberté si elle n’est pas clairement probable, si elle l’est vraiment moins que celle qui oblige à suivre la loi : c’est presque du probabiliorisme. — 2. D’autres,

Lugo, les docteurs de Salamanque, diront :

quand l’opinion qui favorise la liberté a pour elle de sérieuses raisons, on peut la suivre, quand même l’opinion qui plaide pour la loi serait mieux appuyée. On reconnaît le système de Médina qui prévaudra au xix c siècle. — 3. Quelques-uns se contenteront pour exempter de la loi d’une raison, quelque faible qu’elle fût, ou bien appliqueront leur système à l’un des trois cas dans lesquels l’Église a déclaré qu’il fallait toujours être tutioriste : choses nécessaires de nécessité de moyen, validité des sacrements, danger d’ordre temporel ou spirituel que l’on est tenu d’éviter en justice ou en charité. On peut citer Sanchez († 1624), Baunv S. J. († 1649), Leander, O. SS. Trin. († 1663), Diana, théatin († 1663), Tamburini, S. J. († 1675), Moya, S. J., († 1684), Jean Caramuel, cistercien († 1682), le plus relâché de tous, selon le sentiment de saint Alphonse de Liguori. Voir ces mots et t. viii, col. 1079 sq.

Vers 1640, la casuistique se trouvait en présence de problèmes très graves, et infiniment délicats ; il s’agissait de concilier les exigences de la vie moderne avec les prescriptions de la morale chrétienne : ainsi, la théologie avait jusque-là condamné non seulement l’usure, mais le prêt à intérêt ; et voici que le crédit est né, les banques voht s’ouvrir… Les catholiques seront-ils condamnés à rester hors de la richesse qui se crée ? Le but des casuistes, en cherchant une conciliation entre la loi religieuse d’hier et la nécessité économique d’aujourd’hui, n’était pas du tout d’énerver la morale, de « tout permettre aux chrétiens », mais de leur permettre de n’être plus les hommes d’une civilisation disparue, de les empêcher de devenir des êtres d’exception. Pour ménager la transition entre le passé et l’avenir, ils ont introduit la probabilité qui, bien comprise, est acceptable.