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LÉVITIQUE (LIVRE DU). DOCTRINE

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place de l’àme », ocvtî tîjç pux^ç, et par cette âme il faut entendre l’âme humaine dont il vient d’être parlé ; ainsi l’expiation s’opère par la substitution du sang de la victime à celui de l’offrant, et sanyuis pro animée piaculo sit, dit la Vulgate. Cf. Médebielle, op. cit., p. 132-136. Cette conception de la substitution par le sang était d’ailleurs très répandue chez les Sémites dont les sacrifices donnent le rôle principal au sang, avec cette signification, dit le P. Lagrange, que c’est « pour s’unir à la divinité par le lien du sang qu’on le verse au pied de son autel ou qu’on en oint les pierres sacrées qui la représentent ou lui servent de demeure. Mais qui ne voit qu’ici le sang de la victime est tout au plus un moyen terme pour remplacer le sang de l’homme et le sang de Dieu ? Quand il s’agit d’actes extérieurs pour s’unir à Dieu, l’effort humain est en quelque manière toujours unilatéral. C’est l’expression d’un désir, un élan vers l’impartialité, et en somme, selon la belle pensée de Wellhausen, c’est toujours une prière. » Op. cit., p. 260. N’est-ce pas encore cette même idée de substitution qui cimentait dans le sang d’une victime les alliances et faisait des contractants comme des frères d’un même sang ?

Cette substitution est encore signifiée par l’imposition des mains qui a toujours lieu dans les sacrifices pour le péché. Lev., iv, 4, 15, 24, 29 ; viii, 14, 18, 22. Ce rite de l’imposition des mains, se mîkâh, sans parler de son emploi et de sa signification en dehors des sacrifices, peut signifier bien des choses : ou bien par ce geste l’offrant affirme que la victime est son bien propre dont il se dessaisit ; ou inversement il exprime par là sa renonciation à son droit de possession ; ou bien encore ce serait le signe de la solidarité existant entre la victime et celui qui l’offre ; si Dieu agrée l’offrande, n’est-ce pas précisément à cause de cette solidarité ? « fl posera sa main sur la tête de la victime et celle-ci deviendra agréable au Seigneur pour lui servir d’expiation. » Bertholet, Hermann, Cremer, Lesêtre. Cette idée de solidarité nous amène tout naturellement à celle de substitution, clairement exprimée dans le rite du Jour de l’Expiation : « Ayant posé ses deux mains sur la tête du bouc vivant, Aaron confessera sur lui toutes les iniquités des enfants d’Israël et toutes leurs transgressions, selon qu’ils ont péché ; et il les mettra sur la tête du bouc et il l’enverra ensuite au désert par un homme tout prêt. Le bouc emportera sur lui toutes leurs iniquités dans une terre inhabitée. » Lev., xvi, 21. La victime ainsi chargée des fautes de celui qui lui impose les mains expie pour lui, c’est le sens du rite non seulement au Jour de l’Expiation mais encore dans tous les sacrifices expiatoires : même signe en effet et mêmes circonstances impliquent signification identique ; sans doute le bouc émissaire n’est pas immolé comme les victimes de ces sacrifices, mais il fait partie d’un sacrifice unique d’expiation. Cf. Médebielle, op. cit., p. 151-153.

Cette idée de la substitution en vue de l’expiation pour le péché se retrouve à l’origine de certains rites babyloniens, dans lesquels une victime est immolée à la place du pécheur. Cf. Dhorme, La religion assyrobabylonienne, Paris, 1910, p. 272-275. En Egypte, bien des sacrifices s’inspirent également de l’idée de substitution ; dans ces cultes idolâtres, la magie, qui y joue un si grand rôle, n’en laisse guère paraître le véritable sens, qui s’obscurcit chez les Juifs eux-mêmes, trop souvent plus préoccupés d’accomplir exactement les prescriptions rituelles que d’en dégager la leçon morale et religieuse qu’elles comportent.

b) Efficacité. — Le sacrifice expiatoire conférait d’abord la justice ou pureté légale, en enlevant, même à des objets matériels, les souillures qui interdisaient la participation au culte divin, mais il n’était pas que

cela. Son efficacité n’atteignait pas non plus les seules fautes d’erreur ou d’inadvertance où il n’y avait place pour aucune faute morale. En dehors des péchés commis « à main levée », qui encouraient la peine de mort, il y avait « le vaste champ des fautes plus ou moins graves, plus ou moins volontaires, qui ont leur source dans la fragilité humaine. Ce champ ne se restreint pas, comme on l’a quelquefois prétendu, aux fautes de pure inadvertance : entre la malice audacieuse qui lève la main contre Dieu, et l’inconscience absolue, il y a d’innombrables degrés de culpabilité… Les vols, fraudes et faux serments prévus, Lev., vi, 1-7, supposent nécessairement advertance, sinon préméditation : cependant le sacrifice les expie. On aurait tort également de limiter l’expiation aux seules fautes cultuelles. » Médebielle, op. cit., p. 85. C’est encore la notion que suggère le terme hébreu qui sert à désigner l’expiation, kippér, Lev., iv, 16, 21 ; v, 6, 10, 13. 16… La question est très discutée, qu’il s’agisse de déterminer le sens étymologique ou le sens usuel. Des nombreux travaux parus à ce sujet, il résulte que c’est le sens d’effacer, laver, purifier qui s’impose ; l’étude comparée des textes assyriens permet de conclure de même. Cf. Deissmann, ’lXaaTr)ptoç und’IXaa-rrçptov. eine lexikalische Studie, dans Zeilsth. jùr die N. T. Wiss., 1903, p. 193-212 ; J. Hermann, Die Idée der SiXhne im Allen Testament, eine L’ntersuchung ùber Gebrauch und Bedeutung des Wortes kipper, Leipzig, 1905 ; Driver, art. Propitiation dans Hastings. Dictionary of the Bible, t. iv, p. 128-132 ; Médebielle. op. cit., p. 69-83 ; W. Schrank, Babylonische Sùhneriten besonders mit Rùcksicht auf Priester und Bùsser, Leipzig, 1908. Un mot d’ailleurs qui accompagne souvent le verbe kippér et qui achève d’en préciser le sens est celui qui exprime le pardon divin, conséquence de l’expiation et gage de réconciliation. Lev., iv, 20, 26, 31, 35 ; v, 10, 13, 16, 18 ; vi, 7 ; xix, 22.

Ainsi donc le sacrifice expiatoire rappelait à l’Israélite la nécessité d’un corps et d’une âme sans souillure, et même, lorsqu’il ne visait que les péchés d’erreur ou d’impureté corporelle, il ne perdait pas pour autant toute portée morale ; car tout ce qui intéressait le culte avait sa signification morale et religieuse, et d’autre part, le souci d’effacer l’impureté, même simplement légale, entretenait dans l’âme le sentiment de la culpabilité et de la crainte d’un juge sévère. Cf. Smend, Lehrbuch der Alttestamentlichen Religiongeschichte, Fribourg-en-B., 1899, p. 327.

De ces remarques se dégage cette conclusion que le sacrifice ne réalisait toute sa valeur qu’autant qu’il était l’expression véridique des sentiments de piété, de contrition, de soumission, de la part de l’offrant. Car ce n’était certes pas l’immolation d’un animal selon les rites prescrits qui pouvait par elle-même réellement expier pour l’homme coupable : « Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs enlève les péchés. » Hebr., x, 4 ; « Si Dieu agrée cependant ces victimes inconscientes, s’il se contente de ce semblant de punition et d’oblation, c’est en considération d’une autre victime, infiniment noble, infiniment sainte, consciente, volontaire, bien supérieure à l’humanité coupable dont elle prendra la place et qui, portant par sa mort la peine de nos fautes, versera d’un cœur brûlant le sang vraiment rédempteur. » Médebielle, op. cit., p. 165.

Faut-il au sujet de l’origine et de l’efficacité des sacrifices lévitiques rappeler les théories modernes qui donnent de l’une et de l’autre des notions toutes différentes ? Pour les uns, les victimes offertes étaient destinées à être la nourriture de la divinité ; et si l’on veut bien reconnaître que sur ce point les idées avaient progressé, que la « haute théologie » du Lévitique a transformé les antiques manières de voir, on relève