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LAVEMENT DES PIEDS. EST-IL UN SACREMENT ?


même, en effet, que dans les choses extérieures il y a des signes différents… et, par exemple, l’investiture des chanoines à l’aide d’un livre, des abbés à l’aide de la crosse, des évêques par la crosse et l’anneau tout ensemble, ainsi il y a une diversité de grâces attachées à différents sacramenta. « Mais cependant, que faisons-nous, alors que dans ce corps de péché et dans ce temps mauvais nous ne pouvons être sans péché ? Faudra-t-il désespérer ? Loin de làl Si nous nous disons sans péché, dit saint Jean, nous nous trompons et la vérité n’est pas en nous. Mais si nous avouons nos péchés, Dieu est fidèle, qui les remet et nous purifie de toute iniquité. I Joa., i, 8-9. Et, en effet, pour que nous ne doutions pas de la rémission des péchés quotidiens, nous en avons la figure dans le lavement des pieds, sacramentum ejus habemus, pedum ablulionem. « On me demandera peut-être comment je sais que c’en est bien la figure, le sacramentum. Surtout étant donné que le Seigneur lui-même a, fait à saint Pierre cette promesse : « Ce que je fais, tu ne le comprends « pas encore, tu le sauras plus tard. » Il n’a rien dit du sacramentum, il a seulement parlé d’exemple donné. Mais c’est qu’il avait beaucoup de choses à leur dire qu’ils ne pouvaient encore porter. Et c’est pourquoi, ne voulant pas les laisser totalement anxieux et en suspens, il ne leur a pas dit non plus ce qu’ils n’auraient pu comprendre. Mais voulez-vous savoir que c’est comme une figure, et non un simple exemple ? dis autem nosse quia pro sacramento illud est, non pro solo exemplo jaclum ? Faites attention à ce qui est dit à Pierre : Si non lavero te, non habebis partem mecum. Il y a donc là quelque chose de caché, nécessaire au salut, puisque sans cela Pierre lui-même ne peut avoir de part au royaume du Christ et de Dieu. Voyez, en effet, comme Pierre prend peur à cette menace : n’y reconnaît-il pas un mystère de salut, quand il répond : Domine, non tantum pedes meos, sed et manus et caput ? « Et comment savons-nous que le lavement des pieds a rapport à la purification de ces péchés qui ne sont pas ad mortem et que nous ne pouvons complètement éviter avant la mort ? C’est par ce fait qu’à Pierre offrant à l’ablution ses mains et sa tête il est répondu : Qui lotus est non indiget nisi ut pedes lavet. Celui-là est lavé qui n’a pas de péchés graves, dont la tête, c’est-à-dire l’intention, et les mains, c’est-à-dire l’opération et la conversation, sont pures. Mais les pieds, qui sont les affections de l’âme, ne peuvent être tout à fait purs tant que nous marchons dans la poussière ; il ne se peut pas que nous ne cédions, ne fût-ce qu’un moment, à la vanité, à la volupté, à la curiosité au delà de ce qu’il faudrait : In mullis offendimtis omnts, Jac, iii, 2. » Sermo in Cœna Domini, P. L., t. i r.xxxiu, col. 271 sq.

Ce sermon de saint Bernard que nous avons tenu à ( iter presque en entier a reçu du côté catholique deux interprétations différentes. Charles du Plessis d’Xrgentré, dans ses notes additionnelles aux dissertations de Martin Grandin, proposait de voir dans le lavement des pieds la confession des péchés véniels. Il était dominé par la préoccupation d’expliquer au strict et moderne la qualification de sacramentum attribuée par saint Bernard au rite qui nous occupe. Le cardinal Franzelln, Tr-i<t<iius, /, sacramentU in t, 2’édit., Rome, 1873, p. 287 sq., réfute cette Interprétation et en propose une autre, qui semble Olr rallier tout le monde. Le mot sacramrntnm, < i le sens rle rite producteur de la grâce, maia uniquement de tgmbole. Le lavement des pieds, tel qu’il ; i été pratiqué par Jésus-Christ (car il uniquement dans le sermon de -uni Bernard du fait ie et nullement du rite que nou

i. » i nu.i r i hoL,

le jeudi saint), a été une figure, un symbole éloquent de la purification de nos moindres fautes (Qui lotus est, non indiget nisi ut pedes lavet). De là vient la préoccupation du saint docteur d’expliquer que nous devons mettre nos efforts à nous purifier de nos fautes légères, sans que rien trahisse en lui cette idée que la reproduction matérielle du geste du Sauveur puisse le moins du monde contribuer à cette purification.

S’il pouvait y avoir quelque doute sur la vraie pensée de saint Bernard, il semble qu’il suffirait de la comparer avec la doctrine un peu plus explicite, mais au fond identique, d’un contemporain, Ernauld, abbé de Bonneval (1156). Dans un livre De cardinalibus operibus Christi, attribué jadis à saint Cyprien et édité à ce titre par Nicolas Rigault, Paris, 1648, reproduit par Migne, P. L., t. clxxxix, col. 1610-1678, il commente le lavement des pieds après les autres « mystères » ou sacramenta de la vie du Christ. « Déjà le Seigneur avait distribué aux apôtres les sacramenta de son corps, déjà Judas était sorti (ce détail paraît contraire au texte de saint Jean) quand tout à coup, se levant de table il se ceint d’un linge et, s’agenouillant devant Pierre, il rendit, lui, Maître, au ser/iteur le service d’une parfaite humilité. Et pour que rien ne manquât à la perfection de son enseignement, entre les préceptes fixes et immuables et ceux que l’on peut changer et modifier, il établit une distinction : de la sorte, les uns étant établis pour toujours, en dernier lieu une sorte de bain est offert aux fidèles pour leurs expiations quotidiennes. « Voilà pourquoi, Seigneur très bon, vous lavez les pieds de vos disciples : c’est qu’après le baptême, que le respect défend de réitérer, vous nous avez ménagé un autre bain qui ne connaît pas d’intermittence, aliud lavacrum procurasti quod nunquam debeat intermilli. Mais, ce que vous enseignez, vous commencez par le faire, afin que nous apprenions de votre bonté quel avantage il y a dans cette œuvre, quanti quæslus hoc opus sit. « Le Seigneur lui dit : Nisi lavero le, non habebis partem mecum. Peu à peu il déclare la nécessité de ce mystère, déjà établie par la condition posée. Si nous ne pouvons avoir de part avec le Christ qu’à la condition que lui-même nous lave les pieds, nous voilà forcés à consentir. Qu’il nous les lave donc, qu’il les essuie et nou. expose les virtualités de ce mystère, sacramenti hujus nobis virtutem exponat. Nous avons dit plus haut que ceux qui sont une fois lavés par le baptême n’ont plus besoin d’un autre bain. Mais celui-ci a été institué en vue de nos fautes quotidiennes, sed hoc lavacrum quotidianis est excessibus inslilulum. Notre examen attentif, jugis retraclalio, doit aller jusqu’au bout, scruter la moindre de nos œuvres et de nos pensées, corriger et laver l’âme mobile et instable dont les passions se donnent libre cours jusqu’au vice. Nous ne devons rien laisser dans notre vie qui ne soit soumis à l’examen, qui ne soit expié par nos gémissements et nos soupirs. » P. L., t. clxxxix, col. 1050 sq.

On le voit clairement par ces derniers mots, il s’agit ici beaucoup plus d’examen de conscience que de sacrement, au sens moderne du mot.

Ces textes de saint Bernard et d’Arnauld de Bonneval (sous le nom de saint Cyprien), avec celui de saint Ambroise cité plus haut (col. 1 S) forment une des difficultés les plus ressassées contre la doctrine du septénaire. Il y a longtemps d’ailleurs que cette discussion. après BVOlr été un des lieux communs de la polémique protestante an xvi » siècle, n’est plus qu’une tradition d’école que les auteurs se transmettent pieusement sans qu’elle passionne les esprits.

A l’argument patristique on ajoute ordinairement une raison théologique tl i définition générale

du sacrement. Signe sensible de la grâce institué par

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