Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
24
LAVEMENT DES PIEDS. FAITS LITURGIQUES

zig, 1896, p. 21. La dernière ligne a été parfois lue : sed clericis. Il ne paraît pas qu’il faille accepter cette lecture, qui donnerait un sens tout différent à notre canon. Quant à la date du concile d’Elvire, ordinairement placé en 306, elle a été controversée. Mais les limites extrêmes du doute ne dépassent pas le ive siècle. Notre présente enquête ne requiert pas une plus grande précision. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. ia, p. 249. En tout cas on ne s’étonnera pas de ne pas trouver de trace du rite postbaptismal du lavement des pieds dans les textes qui nous sont conservés de la liturgie wisigothique. Cf. M. Férotin, Le Liber ordinum en usage dans l’Église wisigothique et mozarabe d’Espagne du ve au xie siècle, dans les Monumenta Ecclesiæ liturgica, publiés sous la direction de dom Cabrol et dom Leclercq, Paris, 1904, t. v, col. 34.

Les quatre textes que nous avons rapportés, à savoir les trois documents gallicans et le Missel de Stowe sont, à notre connaissance, les seuls livres liturgiques complets qui contiennent le rite baptismal du lavement des pieds. Le fait n’a rien d’étonnant, si l’on se rappelle qu’il n’existe aucun livre liturgique gallican, pur de toute infiltration romaine. Ceux-là mêmes que nous venons d’étudier témoignent de ce mélange de rites qui ira croissant à partir de Charlemagne.

Il faut notamment remarquer que les livres milanais, dits ambrosiens, sont tous de basse époque : aucun n’est antérieur au xe siècle. Cf. P. Lejay, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie art. Ambrosien (rite), t. i, col. 1375. Le rite milanais n’apparaît dans l’histoire, en tant que rite local, qu’à l’occasion des crises que lui a fait subir la concurrence du romain. Et de ces crises, — dont la plus ancienne, attestée d’ailleurs par des souvenirs en partie légendaires, se rattache à une tentative de Charlemagne, — le rite n’est jamais sorti indemne, si bien qu’il n’est, dans son état historique, qu’un mélange de romain et de gallican, témoin la présence du canon romain de la messe. Rien d’étonnant dès lors si le rituel baptismal, moins résistant que la messe, a perdu les particularités jadis attestées par saint Ambroise et que le De sacramentis nous montrait déjà fortement battues en brèche par la concurrence de l’usage romain.

Il y aurait évidemment lieu de se demander si les usages gallicans (au sens large du mot qui s’applique à la Gaule Cisalpine ou Haute-Italie aussi bien qu’à notre Gaule Transalpine, aujourd’hui la France), usages que nous voyons s’opposer au rite romain du ive et du ve siècle (cf. la lettre du pape saint Innocent à Décentius, P. L., t. xx, col. 554), ne témoigneraient pas eux-mêmes d’un usage romain ancien, qui serait la source commune de tous les rites occidentaux. La question a été posée, on le sait, mais elle déborde de beaucoup le cadre de notre étude et elle paraît bien, dans l’état actuel des documents, insoluble.

Conclusion. — A quelle époque a disparu le lavement des pieds postbaptismal dans les régions où il a été en usage ? Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre. On a déjà dit qu’à Milan il a dû disparaître entre le ve et le xe siècle. Ce sont des limites bien larges. En Espagne, on n’en trouve pas de trace après le concile d’Elvire au début du ive siècle. En Gaule, Alcuin, au ixe siècle, n’en fait pas la moindre mention là où il énumère en détail les rites du baptême. Epist., xc et cxiii, P. L., t. c, col. 292. Rien non plus dans Amalaire, De cæremoniis baptismi, P. L., t. xcix, col. 899.

Il suffit d’ailleurs de réfléchir un instant pour se rendre compte que le lavement des pieds, rite touchant et instructif dans les baptêmes d’adultes, ne pouvait guère s’appliquer aux enfants. Le baptême des enfants devenant le cas général, le rite devait tomber de lui-même. Et peut-être ne faut-il pas chercher d’autre cause pour expliquer la disparition de cet usage. Qui sait même si à Rome, où il n’est pas attesté, il n’avait pas pour ce motif disparu depuis longtemps à l’époque de nos plus anciens documents ? On s’explique en tout cas que les seuls textes qui nous le montrent encore en vigueur viennent des régions qui, en bordure de l’Empire, ont vu longtemps encore des baptêmes d’adultes.

Mentionnons cependant pour mémoire une survivance du rite à Milan. Voici ce que nous lisons dans un cérémonial du xiie siècle, édité par Muratori, t. iv, p. 898, et réédité par Magistretti, Beroldus sive Ecclesiæ ambrosianæ Mediolanensis kalendarium et ordines sæc. XII ex codice ambrosiano, Milan, 1894, p. 112. Après l’exposé des rites de la bénédiction des fonts et du baptême solennel du samedi saint, immédiatement après l’onction du saint chrême, accompagnée de la prière Deus Pater omnipotens… qui vos regeneravit ex aqua et Spiritu Sancto, on lit la rubrique suivante : Prædicti custodes debent suscipere prædictos pueros baptizatos de manibus patrum suorum qui eos traxerunt de fonte ; et duo custodes majores de octo minoribus debent esse præparati, unus cum vase aquæ, alter cum manutergio sumpto de camera archiepiscopi. Et tunc archiepiscopus lavat pedes pueris tribus prædictis et extergit eos cum manutergio et osculatur, et tunc imponit calcaneos uniuscujusque super caput suum.

Cette dernière rubrique ne nous était pas encore connue. Qui sait s’il ne faut pas y voir une allusion tardive aux spéculations de saint Ambroise sur l’iniquitas calcanei ? Magistretti, dans sa note à cet endroit (238), nous renvoie à J. Vicecomès, De antiquis baptismi ritibus et cæremoniis, l. II, c. xvii et xx ; Joan. Steph. Durandus, l. I, c. xix, n. 44.

Le lavement des pieds comme cérémonie spéciale du jeudi saint. — Il était naturel qu’au jour anniversaire de la dernière Cène on voulût reproduire le geste touchant du Sauveur. L’idée a dû en venir de bonne heure et en divers lieux. Mais elle n’a inspiré dans la plupart des cas que des actes purement privés, tout au plus, dans les familles monastiques, des actes de la vie conventuelle. A ce titre, l’histoire de la liturgie et, à plus forte raison, de la théologie, n’a pas à s’en occuper. Comme usage liturgique, nous ne trouvons aucune mention du lavement des pieds dans les plus anciennes descriptions que nous ayons des rites de la semaine sainte, notamment dans cette Peregrinatio Silviæ ou Etheriæ qui ne nous a rien laissé ignorer de ce qui se pratiquait en ces jours à Jérusalem au cours du ive ou du ve siècle. Nous avons montré plus haut, col. 18 qu’il n’y a rien à tirer à cet égard de la lettre de saint Augustin ad Januarium.

1. Les plus anciennes traces en Espagne. — La plus ancienne mention que nous ayons d’un rit du lavement des pieds pratiqué le jeudi saint est cette prescription d’un concile de Tolède en 694 :

… Si Dominus Redemptorque noster discipulorum non dedignatus est ablutione aquæ pedes ablui, protestante evangelista (suit la citation de Joa., xiii, 3-14), cur non piæ actionis exhibitione imbuti, exemplorum ejus non simus devotissimi sectatores ? Denique coruscante sanctæ operationis exemplo, partim desidia, partim consuetudine, in quibusdam ecclesiis in cœna Domini ablutione pedes fratrum a sacerdotibus non lavantur, nihil aliud obtendentes nisi solam traditionis consuetudinem, cum veritas objurgans dicat : Quare vos transgredimini mandatum Dei propter traditionem vestram ? Itemque precellentissimus martyr prosequens ait : Frustra qui ratione vincuntur consuetudinem nobis opponunt, quasi consuetudo…

Nam licet eadem ablutio pedum omni tempore ut fiat expedibile habeatur, necesse est ut specialius in eodem die quo a Christo gestum est omnimode observetur. Proinde hæc sancta synodus dicernit atque instituit ut deinceps non aliter per totius Hispaniæ et Galliarum Eeclesias eadem solemnitas celebretur, nisi pedes unusquisque pontificum