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LEON (LOUIS DE’364

le Christ à son apôtre, ils commencent un dialogue, d’une forme très platonicienne sur les divers noms que la sainte Écriture attribue à Jésus-Christ. Ces derniers sont nombreux, mais dans la première édition, Fr. Louis les réduit à dix : Rejeton, Miroir, Chemin, Pasteur, Montagne, Père du siècle à venir, Bras, Roi, Prince de la paix et Époux. Il est digne de remarque que sur ces noms et dans l’ordre indiqué l’auteur déroule tout un plan théologique Création, Incarnation, Péché originel et Grâce. Bien que pour expliquer le Bras de Dieu, il semble oublier ce plan, en réalité il s’en sert pour tracer un éloquent chapitre sur la philosophie de l’histoire : celle-ci s’étend en premier lieu de Moïse à Jésus-Christ, et ensuite de la prédication de l’Évangile à la découverte de l’Amérique. De là, il reprend le fil du discours pour raconter les merveilles que Dieu a opérées par son Bras, puis comme Roi, Prince de la paix, et Époux des âmes ; ce qui l’amène à traiter dans son troisième livre les noms de Fils de Dieu, Bien-Aimé, Agneau et Jésus, où resplendit plutôt la divinité que l’humanité du Sauveur ! A l’opposé du système dionysien dans le De divinis nominibus, Fr. Louis commence son œuvre théologique par le côté humain pour arriver ensuite à la contemplation du divin. Tout ceci constitue un harmonieux ensemble de l’union hypostatique du Verbe où viennent se fondre les choses visibles et invisibles, dont parle saint Paul.

Dans cet ouvrage, il soutient entre autres, avec saint Bernard, In cant., serm., xvii, n. 5, que la rébellion angélique fut causée par le refus de la part de Lucifer de reconnaître dans le Verbe qui se ferait homme l’hégémonie ou principauté de toutes choses ; que de toutes façons le Verbe se serait incarné, même si Adam n’eût pas péché, mais que dans ce dernier cas, au lieu de paraître en Rédempteur, il serait venu en gloriflcateur de la nature humaine unie au Verbe. Opéra latina, t. iv, p. 35 sq., t. vii, p. 185. L’auteur est également d’avis que la réprobation du peuple juif fut causée originairement par leur adoration du veau d’or au pied du Mont Sinaï : Dieu permit cet aveuglement afin que le règne du Christ passât aux gentils jusqu’à la fin du monde, lorsque les Juifs reviendront en masse vers le véritable Messie…

2° Œuvres latines. — Pour se faire une idée complète de la pensée théologique de Fr. Louis, souvent esquissée un peu vaguement dans ses ouvrages espagnols, il convient de se reporter à ses œuvres latines et principalement aux traités De prædestinatione, De creatione rerum, De incarnatione, De fîde, qui n’ont été édités qu’en 1895.

F. Louis de Léon fut toujours un grand amateur d’études bibliques, auxquelles il consacra sa profonde connaissance de l’hébreu, du chaldéen, du grec et du latin. Ses idées personnelles, avant et après son procès inquisitorial, peuvent se ramener aux suivantes : le texte hébreu n’a jamais été altéré par les Juifs, ni avant ni après Jésus-Christ ; la version des Septante n’a pas été inspirée par l’Esprit-Saint et les interprètes grecs n’ont pas toujours bien traduit l’hébreu ; la Vulgate, en dehors des points concernant la foi et les bonnes mœurs, peut et doit être améliorée ; le canon du concile de Trente sur l’authenticité de la Vulgate doit s’entendre en ce sens que l’Église donne ses préférences à cette version en vue de l’unité dans les citations et les commentaires dogmatiques, mais qu’elle laisse néanmoins une certaine liberté scientifique aux exégètes qui peuvent donner un meilleur sens à de nombreux passages secondaires ; quelque nombreuses que soient les versions faites sur l’original il restera toujours assez de paroles obscures, soumises à diverses interprétations, à cause du caractère même de la langue hébraïque. Cf. op.

inedila, t. x, p. 97 ;

Vida de Fray Luis de

lat., t. v, p. 280-338 ; Doc.

t. xi, p. 55-120, P. Blanco,

Léon, c. vi, xvi.

D’après ces mêmes principes, il exposa le cantique de Moïse : Audile, cœli, quæ loquor, etc. Deut. xxxii, en suivant la version chaldéenne, comparée à la grecque, la latine et l’original hébreu. Il y enseigne que dans ce cantique, que Dieu ordonna au peuple juif d’écrire, d’apprendre par cœur et de chanter, on annonce clairement la réprobation de ce dernier en tant que race perverse, infidèle à Dieu et négatrice du Messie. Et il est bon de remarquer que l’auteur, si enthousiaste du texte hébreu, se sert de sontémoignage pour réfuter les Juifs avec leurs propres armes, sans leur laisser une seule échappatoire. Cf. op. lat., t. i. Dans le même volume se trouve l’exposition de différents psaumes, dédiée au cardinal Quiroga, ainsi que le commentaire de l’Ecclésiaste, dont l’édition est fondée sur les copies, pas toujours fidèles, de quelques disciples de Fr. Louis.

Son commentaire du prophète Abdias, que saint Jérôme reconnaissait si difficile à interpréter, est plus intéressant par la nouveauté de l’argument. Il y est question de l’appel à la foi d’un peuple que l’on décrit sans le nommer et qui habite une région située aux antipodes de la Palestine. Fr. Louis applique cette prophétie à la découverte et à la conversion de l’Amérique. Il suppose en effet qu’un événement de cette sorte, le plus grand après la rédemption du genre humain, devait nécessairement être annoncé de quelque manière, dans la sainte Écriture. Le prophète Abdias parle d’une émigration juive qui viendrait habiter le littoral du Bosphore : Transmiyratio Jérusalem quæ est in Bosphoro, possidebit civitates Auslri, Abd., 13. Comparant cette prophétie à celle d’Isaïe, c. lxvi, sur la vocation des gentils à la foi, notre auteur en déduit, avec preuves géographiques et historiques, que les descendants des juifs convertis qui vinrent en Espagne au temps de l’empereur Adrien, sont ceux qui doivent annoncer l’Évangile au Nouveau Monde. Puis suivant le contexte des mêmes prophéties, le Fr. Louis, décrit les souffrances que doivent endurer les apôtres de l’Amérique, jusqu’à être chassés de leur propres domaines : Abscindendi sunt, Op. lat., t. iii, p. 5 sq.

III. Influence et renommée posthume.

Ses cours à l’université et les quelques livres qu’il publia durant sa vie firent considérer Fr. Louis de Léon comme l’oracle de Salamanque. Pierre d’Aragon, Basile Ponce, Antoine de Molina et le grand Suarez se glorifient de l’avoir eu comme professeur : ce dernier l’appelle sapientissimus magister meus. L’évêque de Taragona, Diego de Yépes le nomme : « lumière et gloire d’Espagne » ; Louis Mufioz dit « que de son temps il ne fut égalé par personne et que l’avenir le regardera comme un sujet d’étonnement » ; François Pacheco ajoute « qu’il fut le plus grand génie de son époque pour les sciences et les arts. » Lope de Vega, Cervantes et Quevedo lui adressèrent de magnifiques éloges jusqu’à le traiter de génie divin. A l’étranger il fut connu surtout pour son exposition du Cantique des cantiques : l’historien J. A. de Thou le cite avec éloge, Historia mei temporis, 1. XCIX ; de même Ghisleri, Commentaria in Canticum, Paris, 1613, etBossuet, Préface sur It Cantique, n. 4. Gabriel Daniel, l’antagoniste de Descartes et de Pascal, traduisit en français l’ouvrage de Fr. Louis : De utriusque Agni typici et v ; ri immolatione, sous ce titre : Traduction du système d’un docteur espagnol sur la dernière Pâque de N.-S. avec des réflexions sur ce système, Paris, 1695.

De toutes façons l’on est en droit de conclure que notre auteur plus encore que de poète et de littérateur, mérite le nom d’éminent théologien : c’est une lacune