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LÉON XIII. SON ŒUVRE DOCTRINALE


tenter de les désarmer par de pacifiants pourparlers, telle devait être la tactique favorite de ce pontificat. La première allocution consistoriale de Léon XIII, le 28 mars, déplora hautement que le Siège apostolique, dépouillé de son principat civil par la force, en fût réduit à ne pouvoir absolument jouir de l’usage plein, libre et indépendant de la puissance qui lui est propre. La première encyclique (encyclique Inscrutabili) recherchait les maux dont souffrait la société humaine et en signalait les principaux remèdes : ainsi l’Église s’affirmait-clle, dès le début de ce règne, comme préoccupée de se pencher sur toutes les détresses morales de la famille humaine, pour les soigner et les guérir. Elle dira sans cesse à l’humanité, par la bouche de Léon XIII : Vous avez besoin de moi ; et sans cesse, en ses documents successifs, elle travaillera à susciter, dans l’âme moderne, la conscience de ce besoin. Les prophètes superficiels qui, se grisant de formules sommaires, avaient rêvé d’un pape « libéral » succédant à un pape « intransigeant » furent déçus ; on retrouvait dans les documents de Léon XIII toute la substance doctrinale des encycliques de Pie IX, avec je ne sais quelle nouveauté d’accent, qui mettait la mère Église, ses lumières, ses grâces, son dévouement, à la disposition du genre humain, et qui d’ailleurs proclamait avec instance (lettre du 27 août au cardinal Nina) qu’en l’Église seule résidait la vertu suffisante pour restaurer les ruines de la société. Ce fut pour les imprudents prophètes une déception nouvelle, que cette lettre au cardinal Nina, qui venait de succéder, comme secrétaire d’État, au défunt cardinal Franchi : le pape y énumérait les griefs du Siège apostolique contre le gouvernement italien, sans en omettre aucun. Mais tout en même temps son esprit de paix s’attestait dans la phrase où il se réjouissait des « négociations amicales » entamées avec l’Allemagne du Culturkampf ; et les beaux songes d’apôtre qui seront l’honneur de son pontificat commençaient de se laisser entrevoir lorsque Léon XIII parlait du réveil religieux des Églises d’Orient. « Toujours disposé, dirat-il au Sacré Collège le 31 janvier 1879, à tendre une main amie à quiconque, revenant avec bonne volonté et repentir au sein de l’Église, cesse de l’attaquer, nous continuerons à combattre contre ceux qui lui font la guerre, et nous persévérerons avec fermeté et constance dans la défense de ses droits, de son indépendance et de sa liberté. » Ainsi s’attestait, dès la première année du pontificat, l’esprit qui toujours l’animera.

Dès le printemps de 1879, Léon XIII aura la joie de recevoir la soumission de Mgr Kupelian, chef du schisme arménien qui avait succédé à la proclamation de l’infaillibilité. « Ohl combien nous sont chères les Églises d’Orient ! s’écriera le pape. Combien nous admirons leurs antiques gloires. Combien nous serions heureux de les voir resplendir dans leur grandenr première ! »

Des attentats en Allemagne, en Espagne, en Italie, avaient ému partout l’opinion publique. Léon XIII, dès le 28 décembre 1878, dirigea contre la fausse philosophie des apôtres socialistes l’encyclique Quod apostolici. En face de l’esprit d’égalité qui refuse l’obéissance à l’autorité, il montre ce qu’est l’égalité chrétienne, égalité de nature et de fin, qui n’exclut pas l’inégalité de droits et de puissance. Il signifie à la famille humaine qu’en s’écartant de la doctrine chrétienne sur le respect et sur l’exercice du droit de propriété, elle retourne à l’esclavage ou se condamne à de perpétuelles révolutions.

On voit sur quelle largeur d’horizons s’étend, dès le lendemain de son avènement, le regard de Léon XIII. Parce que la presse laïque insistera surtout sur ses rapports avec les chefs d’État et sur le rôle qu’il

jouera dans la politique générale, des formules sommaires feront de lui un pape politique, un pape diplomate. Prendre ces formules pour des définitions adéquates de la personnalité de Léon XIII, pour des résumés exacts de son action, ce serait oublier ou méconnaître son rôle de docteur religieux et social, ses besognes de restauration philosophique, ses actives et ardentes ambitions de souverain spirituel, désireux d’unifier toutes les Églises dans l’Église même dont il est le chef.

Les enseignements doctrinaux de Léon XIII.


On peut tirer, du recueil des encycliques de Léon XIII, une doctrine de la vie chrétienne. Elle s’énonce, le 25 décembre 1888, dans l’encyclique Exeunte anno, où Léon XIII déclare que « le moyen de guérir les plaies dont le monde souffre, c’est de revenir, dans la vie publique comme dans la vie privée, à Jésus-Christ et à la loi chrétienne de la vie. »

Sœur Marie du divin Cœur, née Marie de Droste-Vischering, petite-nièce du célèbre archevêque de Cologne, religieuse du Bon Pasteur d’Angers, et supérieure du couvent de Porto en Portugal, fit savoir à Léon XIII, en 1898 et 1899, qu’elle avait reçu du Christ une mission surnaturelle : le Christ voulait qu’elle suggérât au pape l’idée de consacrer au Sacré-Cœur le monde entier, et non seulement les baptisés, mais tous les autres êtres humains, « pour lesquels le Christ a donné aussi sa vie et son sang. » Les informations prises sur sœur Marie du divin Cœur et les avis recueillis par Léon XIII auprès de certains théologiens éminents, spécialement auprès du cardinal Mazzella, sur le caractère universel de l’œuvre rédemptrice, amenèrent Léon XIII, le 25 mai 1899, à consacrer l’humanité tout entière au Sacré-Cœur par l’encyclique Annum Sacrum.

Cette encyclique Annum sacrum, les encycliques Tametsi (1900) sur le Christ rédempteur, Miræ caritatis (1902) sur l’Eucharistie, précisèrent les avances du Christ au chrétien, et les méthodes d’union de l’âme avec le Christ. Les encycliques Provida malris (1895) sur la Pentecôte et Divinum illud (1897) sur le Saint-Esprit rappelèrent à l’attention des fidèles le rôle de la grâce dans la vie chrétienne. Léon XIII insista, dans neuf encycliques successives, sur la dévotion à la Vierge et sur la pratique du rosaire ; son encyclique Quanquam pluries (1889) recommanda la dévotion à saint Joseph. Le renouveau de l’esprit fransciscain fut puissamment favorisé par son encyclique Auspicato, du 17 septembre 1882, sur le Tiers Ordre de saint François ; les nouvelles constitutions données au Tiers Ordre, le 5 juin 1883, en adoucirent les règles, pour qu’il s’adaptât mieux aux nécessités présentes ; et les congrès du Tiers Ordre qui succédèrent à ces actes pontificaux favorisèrent l’épanouissement, sous les auspices de la règle franciscaine, du mouvement catholique social. La vie congréganiste, sous Léon XIII, fut encouragée par d’importants documents : tel le bref du 12 juillet 1892, qui décida que toutes les congrégations bénédictines seraient désormais placées sous la juridiction suprême d’un abbé primat, qui résiderait à Rome, à Saint-Anselme ; telle la constitution apostolique du 4 octobre 1897, qui unifia en un seul corps les diverses branches de l’Observance franciscaine.

Il n’est aucune question intéressant la vie familiale, civique, sociale, qui n’ait attiré le regard de Léon XIII. L’encyclique Arcanum (14 février 1880) sur l’organisation de la famille rappela la doctrine de l’Église sur le mariage chrétien, et tenta d’opposer une digue aux campagnes qui, dans divers pays, s’ébauchaient en faveur du divorce.

L’encyclique Diuturniim (29 juin 1881), trois mois après l’assassinat du tsar Alexandre II, rappela les