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LEON IX


à Michel Gérulaire ait été expédié à Constantinople, car peu après arrivait au pape un témoignage de déférence de la part du patriarche. Pour des raisons politiques, le basileus Constantin Monomaque s’était interposé entre les deux chefs ecclésiastiques. Léon, de son côté, empêtré dans l’affaire normande, avait un besoin urgent des bons offices de Byzance. L’ambassade qui partit en janvier 1054, et qui avait à sa tête le cardinal Humbert, était chargée, en somme, d’aplanir le différend par des voies de douceur, mais surtout de procurer au pape un secours militaire dont le besoin se faisait vivement sentir. Elle emportait deux lettres pontificales, l’une pour le basileus, louant ses bons désirs de conserver la paix ecclésiastique, l’autre pour le patriarche, qui rééditait, mais sous une forme plus courte et plus modérée, les arguments du mémoire ci-dessus analysé. Nous ne suivrons pas ici les destinées de l’ambassade dont le cardinal Humbert était l’âme. La légation eut exactement le résultat opposé à celui que recherchait saint Léon, puisque, le 15 juillet, les envoyés pontificaux déposaient sur l’autel de Sainte-Sophie la bulle d’excommunication contre le patriarche et tous ses adhérents. Mais de cette démarche si grosse de conséquences, Léon IX n’est aucunement responsable ; il était mort le 19 avril dans les circonstances qu’il nous reste maintenant à rapporter.

Les derniers jours de Léon avaient été bien tristes. A plusieurs reprises nous l’avons vu diriger ses pas vers l’Italie du Sud où de graves événements politiques le préoccupaient. Depuis un quart de siècle, des chevaliers normands, au retour d’un pèlerinage en Terre sainte, s’étaient fixés à Palerme et avaient offert leurs services aux petits dynastes de la région. Bientôt les fils de Tancrède de Hautteville étaient venus les rejoindre : Guillaume Bras de fer, Drogon, Humfried, Robert Guiscard ; tout ce personnel d’aventuriers cherchait à s’établir et à évincer les anciens occupants. Bientôt il ne fut plus question dans toute l’Italie du Sud que de leurs tristes exploits. Léon IX conçut le projet de mettre à la raison ce monde remuant. S’étant acquis des droits sur Bénévent, il se croyait obligé de protéger cette nouvelle acquisition de l’État pontifical contre les nouveaux Agareni. Son troisième voyage à la cour impériale (peut-être déjà son deuxième) avait eu pour objet d’obtenir de l’empereur un secours important contre les Normands. Après divers atermoiements, Henri III autorise la levée d’un contingent de Souabes qui permettrait au pape d’engager l’expédition. Au mois de mai 1053, Léon se mettait en campagne, prenant lui- ; même la direction suprême des opérations. Il comptait opérer sa jonction avec les Grecs de l’Apulie du Nord et par le fait encercler les Normands, dont Amalfi était le point d’appui principal. En route il rencontre leur armée : on essaye de négocier, finalei ment on en vient aux mains aux abords de Civitella, le 18 juin 1053. Les contingents italiens au service du pape lâchèrent pied au premier choc ; formées en carré, les troupes allemandes résistèrent courageu- ! sèment ; leur dévouement fut inutile. Le pape qui ! avait assisté au combat du haut des remparts de Civitella tomba au pouvoir des vainqueurs qui le i conduisirent à Bénévent. Quelques marques de respect qu’ils lui aient d’ailleurs prodiguées, Léon n’en était pas moins leur prisonnier.

Ce fut dans la chrétienté, une véritable consternation. On plaignit le pape, sans doute, mais plusieurs ne se firent pas faute d’ajouter qu’il fallait voir en tout ceci une leçon de la Providence. La place d’un pape était-elle à la tête d’une armée et fallait-il voir « l’apostole », pour arrondir son domaine temporel ou même pour le défendre, recourir aux

expédients de la politique et de l’art militaire. Ainsi s’expriment les chroniqueurs Hermann de Reichenau, Romuald de Salerne, la Chronique d’Amalfi ; ainsi encore de saintes gens comme Brunon de Segni et Pierre Damien, dont l’amertume a scandalisé le sage Baronius, Annales, an. 1053, n. 10-17. Le texte de Pierre Damien dans Epist, , iv, 9, P. L., t. cxiiv, col. 316 C-D.

Quelles qu’aient été les intentions de la Providence, il est incontestable que le désastre de Civitella fut pour la papauté une grave humiliation, un coup bien dur porté à la cause de la réforme. Pour se libérer, le pape dut absoudre ses vainqueurs de toutes les censures, qu’il ne leur avait pas ménagées, et leur abandonner par un traité en bonne forme les terres qu’ils venaient de conquérir sur lui. C’est à Bénévent qu’il passa les derniers mois de sa vie, dans une liberté relative ; c’est de là qu’il négocia, comme nous l’avons dit, avec Constantinople. Enfin, le 12 mars 1054, ayant sans doute donné toutes les satisfactions qu’on réclamait de lui, il pouvait reprendre le chemin de Rome. Il était bien malade dès ce moment et le voyage dut se faire en litière. Le 3 avril Léon rentrait dans sa capitale ; vers le 15 avril, abandonnant le Latran, il se faisait transporter dans la modeste demeure épiscopale bâtie à côté de Saint-Pierre. C’est là qu’il reçut, tout près du tombeau de l’apôtre, les derniers sacrements. Sur ses lèvres mourantes revenait maintenant le dialecte national qui avait résonné auprès de son berceau. Comme saint Martin, Léon IX demandait à la Providence de le laisser encore sur cette terre, s’il pouvait y être de quelque utilité à la cause. Le 19 avril 1054, il rendait sa belle âme à Dieu. C’est la date où il figure au Martyrologe romain et au calendrier des Églises de Strasbourg, de Metz et de Toul.

Ce fut un très grand pape ; ayant du rôle de la papauté une conception très haute, il a commencé avec une rare énergie et un remarquable esprit de suite cette réforme de l’Église que Grégoire VII continuera avec le succès que l’on sait. De tous les « prégrégoriens » il est, à coup sûr, le plus représentatif. Une seule chose lui a manqué pour faire franchir à l’idée réformatrice le pas décisif : c’est de comprendre que le lamentable état de l’Église n’était que la résultante d’une cause plus profonde, à savoir l’intervention abusive du pouvoir temporel dans la désignation des titulaires du pouvoir ecclésiastique. Mais cela Hildebrand non plus ne l’a pas saisi dès le début ; à lui aussi il a fallu plus d’une expérience pour se rendre compte du point exact où il fallait frapper. Plus personnel qu’on ne le croyait jusqu’ici, où il disparaissait un peu dans l’éclat d’Hildebrand, Léon IX a du moins le mérite d’avoir compris que c’était au chef de l’Église qu’il convenait de promouvoir la réforme de l’Église. C’est le plus beau titre de gloire du grand pape alsacien.

I. Sources.

Documents officiels.

Ils sont décrits

et analysés dans Jafïé, Regesta Pontif. roman., 2° édit., t. i, p. 529-539 ; les textes se trouvent, pour la plupart, dans P. L., t. cxi-m, col. 583-794 ; les textes conciliaires dans Mansi, Concil., t. xix. — Il n’y a pas lieu de faire état d’un opuscule De conflictu vitiorum alque virtutum que l’Histoire littéraire de la France, t. vii, p. 470, veut attribuer à Léon IX, et qui n’ajouterait rien à sa gloire. — 2° Sources générales. — Parmi les chroniques contemporaines il faut signaler celles d’Hermann de Reichenau, dans Monum. Germ. hist., Scriptores, t. v, p. 128-133 ; de Lambert de Hersfeld, ibid., p. 154-156 ; celle d’Altaich, t. xx p. 804-807 ; les Annales romani, l’Ysloire de li Xormant d’Aimé du Mont Cassin. Les passages essentiels sont dans I. M. Watterich, Pontificum romanorum vitse, t. i, p. 93-177, 731-738. — 3° Biographies anciennes. — La première en date est celle de Guibert (Wiberlus) archidiacre de Toul,