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LAVEMENT DES PIEDS. FAITS LITURGIQUES

Ascendisti de fonte, quid seculum est ? Audisti lectionem. Subcinctus summus sacerdos… pedes tibi lavit. De sacr., l. III, c. i, n. 4, P. L., t. xvi, col. 432. Ces termes sont plus nets que ceux du De mysteriis, en ce qu’ils isolent mieux le simple fait liturgique du commentaire doctrinal qui suit. Les mots : Audisti lectionem, permettent de supposer qu’après l’ablution baptismale on lisait tout au long le récit de saint Jean et éclairent dans ce sens les termes beaucoup moins clairs du De mysteriis : Ascendisti de fonte, memento evangelicæ lectionis. C’est évidemment le même usage, mais il est ici plus clairement décrit.

Ce qu’il y a de particulièrement intéressant pour nous dans le De sacramentis, c’est la petite dissertation polémique qui suit et qui nous fait connaître les motifs de la diversité d’usages qui séparait Rome de Milan et que signalait déjà saint Augustin. « Nous n’ignorons pas, dit l’auteur, que l’Église romaine n’a pas cet usage, alors qu’en toute chose nous suivons ses exemples et sa pratique : elle n’a pas cette coutume du lavement des pieds. Peut-être bien est-ce à cause du grand nombre (des catéchumènes) qu’elle y a renoncé. Vide ergo, forte propter multitudinem declinavit. Il y a cependant des gens qui cherchent une excuse. Ce n’est pas, disent-ils, à titre de rite symbolique, in mysterio, qu’il faut pratiquer le lavement des pieds, ce n’est pas dans le baptême, dans la régénération, c’est aux hôtes qu’il faut laver les pieds, sed quasi hospiti pedes lavandi sint. Autre est la pratique de l’humilité, autre le rite qui sanctifie. Mais écoutez pourquoi ce doit être aussi un rite symbolique et sanctificateur, audi quia mysterium est et sanctificatio. » Et, ayant cité les paroles du Christ : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n’auras pas de part avec moi, » l’auteur continue :

« Je dis cela, non pour blâmer les autres, mais pour

recommander mes propres usages, sed mea officia ipse commendem. En toutes choses, je désire suivre l’Église romaine. Mais cependant nous aussi nous sommes hommes et nous avons l’intelligence, sed tamen et nos homines sensum habemus. C’est pourquoi ce qui ailleurs se fait mieux, nous aussi nous l’observons comme meilleur, quod alibi rectius servatur et nos rectius custodimus. C’est l’apôtre Pierre que nous suivons, c’est à sa dévotion que nous nous attachons. »

« A cela que répond l’Église romaine ? » « Oui, c’est

l’apôtre Pierre qui fut évêque, sacerdos, de l’Église romaine, c’est lui-même qui est pour nous le garant de cette doctrine, auctor hujus assertionis. C’est lui qui a dit : « Seigneur, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête. » Voyez sa foi. Auparavant il s’excusait, et c’était humilité ; maintenant, il s’offre, et c’est l’effet de sa dévotion et de sa foi. Le Seigneur lui répond, parce qu’il a parlé des mains et de la tête :

« Celui qui s’est déjà baigné n’a pas besoin de se laver

de nouveau, il n’a besoin que de se laver les pieds. » Pourquoi cela ? Parce que dans le baptême toute faute est effacée. La faute donc s’en va, recedit ergo culpa. Mais Adam ayant été « supplanté » par le diable, le venin a été répandu sur ses pieds. Et c’est pourquoi tu laves tes pieds pour que cette partie attaquée par le serpent reçoive un plus grand secours de sanctification qui rende ensuite la « supplantation » impossible. Tu laves donc tes pieds pour effacer le venin du serpent. Et l’humilité aussi trouve son profit à ce que nous ne rougissions pas de faire symboliquement, in mysterio, ce qui nous répugne comme service. » Ibid., n. 5-7, col. 433.

On a reconnu dans ces dernières phrases la raison symbolique déjà donnée par saint Ambroise et on a mieux compris sans doute comment elle se rattachait dans l’esprit du temps à une exégèse allégorique de l’Évangile. Nous devrons plus loin essayer de fixer l’exacte portée doctrinale de ces passages. Pour le moment, ce qui nous intéresse, c’est la diversité des usages baptismaux de l’Occident au ve siècle et la polémique qu’elle soulevait entre les tenants de l’usage milanais et ceux de l’usage romain.

On voudrait être mieux renseigné sur l’exacte délimitation des deux usages. Mais il ne faut pas s’attendre pour cette époque relativement reculée à posséder des informations liturgiques très complètes. Que l’on songe à l’obscurité qui pèse encore aujourd’hui sur des questions aussi importantes que la préhistoire du canon de la messe. En liturgie, il n’y a que préhistoire jusqu’à l’apparition des livres liturgiques proprement dits. Or, on sait combien ceux-ci sont rares avant l’époque de Charlemagne. Cf. L. Duchesne, Origines du culte chrétien, 5e édit., p. 124 : « Il n’y a rien à demander en ce genre aux provinces du Danube et de l’Illyricum latin… Ils ont sans doute leur histoire liturgique, mais elle commence très tard, au ixe siècle. L’Afrique non plus n’a rien à nous donner… L’ancienne liturgie espagnole n’a été connue jusqu’à ces derniers temps que par le missel mozarabe (du xvie siècle). »

3. Gaule. — a) Textes liturgiques. — Le lavement des pieds des nouveaux baptisés a sa place dans les trois plus anciens textes conservés de la liturgie gallicane. Ces trois textes sont connus sous les noms très inexacts de Missale gothicum, Missale gallicanum vetus et Sacramentarium gallicanum (celui-ci plus souvent désigné aujourd’hui sous le nom plus exact de Missel de Bobbio). Les deux premiers, en effet, ne sont pas des missels, mais des sacramentaires ; le troisième au contraire, n’est pas un sacramentaire, mais un missel. Tous trois ont été publiés par Mabillon (les deux premiers d’après Tommasi, leur premier éditeur) et réimprimés par Migne, P. L., t. lxxii, où le troisième texte est faussement attribué à Muratori.

Sur ces trois textes, on trouvera une notice sommaire, mais suffisante, dans L. Duchesne, Origines du culte chrétien, c. v (5e édit., p. 159, 160, 166), qui date les deux premiers, d’après L. Delisle, des environs de l’an 700 et le troisième du viie siècle, sans autre précision. Pour le Missel de Bobbio, compléter par l’étude de dom Wilmart, qui le date du viiie siècle, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. ii, col. 939-962. Dom Wilmart a modifié quelques-unes de ses vues en 1912 dans la Revue Charlemagne, t. ii, p. 1-16. Cf. G. Morin, Revue bénédictine, 1914-1919, t. xxxi, p. 326-332 ; Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, t. ii, p. 285. Les mss. sont : pour le Missale gothicum au Vatican, fonds de la Reine, n. 317 ; pour le Missale gallicanum au Vatican, fonds palatin, n. 493 ; pour le Missel de Bobbio à la Bibliothèque nationale de Paris, lat. n. 13 246.

Voici les trois textes fournis par nos documents. On peut se reporter, pour les lire d’un seul coup d’œil et en même temps constater l’absence du rite dans les documents parallèles des autres liturgies, au tableau inséré par le R. P. Galtier dans l’article Imposition des mains de ce Dictionnaire, t. vii, col. 1351-1354.

a. Missale gothicum, P. L., t. lxxii, col. 275. Aussitôt après le : Baptizo te et l’onction du chrême, suit l’indication :

DUM PEDES EJUS LAVAS, DICIS : Ego tibi lavo pedes. Sicut Dominus noster Jesus Christus fecit discipulis suis, tu facias hospitibus et peregrinis ut habeas vitam æternam. Suit l’imposition des vêtements blancs, et enfin deux « collectio » pour la persévérance des néophytes.

b. Missale gallicanum vetus, P. L., t. lxxii, col. 370. Au même moment, mais après une formule d’onction toute différente : AD PEDES LAVANDOS : Dominus et Salvator noster Jesus Christus apostolis suis pedes lavit : ego tibi pedes lavo, ut et tu facias hospitibus et