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LÉON IX


anciens biographes jusqu’aux érudits modernes, ont voulu faire d’Hildebrand l'âme même du mouvement réformateur qui débute avec le pontificat de Léon IX. A les croire, c’est depuis 1048 que l’influence du grand moine est devenue prépondérante ; en définitive, Léon IX et ses successeurs n’auraient été que des prête-noms derrière lesquels on retrouve toujours Hildebrand. M. A Fliche, loc. cit., nous semble bien avoir montré que cette vue est inexacte. Il est remarquable que le plus ancien biographe de Léon IX, Guibert ne cite même pas le nom du futur Grégoire VIL A coup sûr, Hildebrand a fait partie de ce personnel réformateur amené à Rome par Léon IX. Mais on voit les affaires dirigées beaucoup plus par le cardinal Humbert, venu de Moyenmoutier, nommé évêque de Silva-Candida, puis archevêque de Sicile, par Hugues Candide, de Remiremont, nommé cardinal-prêtre, par Udon de Toul, devenu chancelier, par Frédéric de Lorraine, frère du duc Godefroy. Bref, ce sont des Lorrains qui forment l'état-major du nouveau pape et la seule mission que l’on voie attribuer à Hildebrand, c’est celle d’aller enquêter en France sur l’hérésie bérengarienne. Hildebrand ne tardera pas sans doute, à jouer un rôle de premier plan, mais c’est un peu plus tard et sous les pontificats. suivants.

Quelles qu’aient été, d’ailleurs, les influences de son entourage, il est incontestable que la pensée de la réforme vient de Léon IX lui-même et qu’il a choisi les auxiliaires que nous avons énumérés, parce qu’il les sait acquis aux idées qui sont les siennes. Il se met à l'œuvre dès son arrivée à Rome. Dans la semaine après Quasimodo un concile est célébré au Latran qui s’en prend à la simonie et renouvelle le décret porté contre les coupables par Clément II en 1047. C'était d’ailleurs, une solution miséricordieuse que l’on prenait là ; car si on anathématisait ceux qui avaient réellement vendu les dons de Dieu ou les avaient achetés, on n’osait pas sévir d’une manière aussi sévère contre ceux qui avaient reçu, mais gratuitement, l’ordination d’un simoniaque notoire ; moyennant quarante jours de pénitence, ces derniers seraient réintégrés dans leur office. Si l’on eût suivi complètement Léon IX, on eût été plus sévère ; à l’en croire, il aurait fallu proclamer la nullité de toutes les ordinations simoniaques. Sur ce point, l'école lorraine avait des idées très arrêtées et qui ne concordaient pas avec les vues actuelles sur la réitération de l’ordre. Il semble bien que Léon IX ait eu beaucoup de mal à se départir de ces errements. Voir art. Réordination, et consulter L. Saltet, Les Réordinations, étude sur le sacrement de l’ordre, Paris, 1907, p. 185 sq., et note p. 408.

Mais il ne suffisait pas de légiférer à Rome ; c’est sur place, aux diverses capitales de la chrétienté, que Léon voulait agir. Et voici le « pape justicier » qui va se mettre en campagne pour tenir aux endroits jugés convenables les grandes assises qui doivent restaurer la discipline et les mœurs de l'Église. La plus grande partie du pontificat se passera en voyages de ce genre. Rien de plus nouveau dans les fastes pontificaux, rien non plus qui ait davantage frappé l’imagination populaire.

A la Pentecôte de 1049, Léon IX est à Pavie ; puis traversant les Alpes, il passe dans la vallée du Rhin, qu’il descend jusqu'à Aix-la-Chapelle ; le 14 septembre, il est à Toul, c’est de là qu’il convoque les évêques et abbés du royaume de France à un grand concile qui doit se tenir à Reims. Sur cette réunion, on est abondamment renseigné par la relation du moine Anselme, encore qu’il ne faille pas considérer ce texte, rédigé assez longtemps après les événements, comme ayant la valeur d’un procès-verbal. Cf. A. Fliche,

La réforme grégorienne, t. i, p. 140 sq. Du moins le récit du moine de Saint-1'.émi permet de se faire une idée de la physionomie de cette assemblée et par là même des autres synodes tenus par Léon IX dans des circonstances analogues. Suivant Anselme, le roi de France, Henri I" (1031-1060) avait fait tout le possible pour empêcher les dignitaires ecclésiastiques ses vassaux immédiats, de se rendre à la convocation pontificale ; plusieurs prélats qui ne se sentaient pas la conscience tranquille furent trop heureux de saisir ce prétexte de se soustraire aux dangers qu’ils prévoyaient. Il vint néanmoins assez d'évêques et d’abbés pour que le pape pût tenir le synode annoncé. A tous les dignitaires ecclésiastiques suspects d’avoir acquis leur charge par des moyens simoniaques, le pape demande des comptes. Les uns établissent facilement leur innocence ; d’autres réclament des délais pour discuter les accusations qui pèsent sur eux ; d’autres sont convaincus, soit par leurs aveux, soit par d’accablantes dépositions ; ils sont déposés ou contraints de démissionner. Les questions de personne réglées, on porte une dizaine de canons. Retenons au moins, celui qui a trait à la nomination des évêques et abbés : « Nul ne peut s’arroger le gouvernement d’une Église, s’il n’a été élu par le clergé et le peuple. » C’est la condamnation du procédé qui, de temps immémorial, met aux mains de la puissance temporelle, la nomination des dignitaires ecclésiastiques. On ne conteste pas encore le droit du pouvoir laïque à donner au nouvel élu les insignes de sa dignité, néanmoins toute l’affaire des investitures est en germe dans ce canon. Notons également la proclamation faite par le concile que « le pontife du Siège romain est seul primat et apostole (apostolicum) de l'Église universelle. » Cette profession de foi du clergé gallican vient à son heure. S’il est impossible, en effet, de dire avec Brôcking, Die franzôsische Politik Papst Leos IX, p. 1 sq., qu’avant cette époque il n’y avait aucun rapport entre la curie romaine et l'épiscopat français, il est incontestable, néanmoins, qu'à divers moments des tendances plus ou moins séparatistes s'étaient fait jour. Qu’on songe au concile de Saint-Basle, et à certaines revendications qui s'étalent dans le De sacra Cœna de Bérenger. Ainsi le concile de Reims a pour effet, non seulement de promouvoir en France la réforme mais encore de resserrer les liens entre Rome et l'Église gallicane.

Après le concile de Reims, celui de Mayence, tenu quinze jours plus tard, réalise pour l’Allemagne le même travail d'épuration de l'épiscopat. Mais ici, en présence de l’empereur, il semble que Léon soit moins ferme pour protester contre le principe de la nomination directe par le souverain. Du moins l’hérésie simoniaque est-elle condamnée, et, pour la première fois, semble-t-il, on s’attaque au nicolaïsme. Ainsi le Saint-Siège prend hardiment la tête du mouvement réformateur et substitue son impulsion à celle qu’avait essayé de donner l’Empire. Malheureusement la réforme demeurera précaire parce que, soit inconscience du danger, soit impossibilité d’y parer, Léon ne s’attaque pas au principe même du mal et ne met pas in tuto les principes de l'élection aux charges ecclésiastiques et de l’indépendance de l'Église, par rapport au pouvoir séculier.

L’année 1050 se passera de même en voyages. Rentré à Rome au début de janvier, le pape dès février recommence sa tournée. La Basse-Italie le voit d abord, mais les questions qu’il y traite sont autant politiques que religieuses. Quinze jours après Pâques, il tient à Rome un grand synode où sont prises des décisions très importantes contre le nicolaïsme. C’est probablement à cette assemblée qu’il faut rapporter la mesure dont parle Bonizon de Sutri,