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LEIBNIZ. LA RÉUNION DES ÉGLISES


sique plus profonde, on ne saurait satisfaire aux difficultés qui se forment contre l’histoire de la création, le déluge et la résurrection des corps. Enfin la vraie morale doit être démontrée pour savoir ce que c’est que justice, justification, liberté, plaisir, béatitude, vision béatifique. » « Et pour conclusion il n’y a rien de si conforme à la vraie politique et à la félicité du genre humain, même ici-bas et en cette vie, que ce que j’ai avancé du pouvoir inviolable et irrésistible du souverain sur les biens extérieurs et de l’empire intérieur que Dieu exerce par l’Église sur les âmes… Rien n’est plus utile au bien général que l’autorité de l’Église universelle qui forme un corps de tous les chrétiens, unis par les liens de la charité… » « C’est pourquoi tout homme de bien doit souhaiter que l’état de l’Église soit rétabli partout et que le pouvoir spirituel de ses vrais ministres sur les fidèles soit reconnu un peu plus qu’il ne se pratique souvent parmi ceux mêmes qui veulent passer pour les plus catholiques. » Lettre au duc Jean-Frédéric, dans O. Klopp, t. iv, p. 440 sq.

Grâce à ses études mathématiques et aux découvertes qu’il y avait faites, Leibniz espérait avoir plus de crédit auprès du public. Il avait cru voir que Pascal devait une partie de son succès dans la défense de la religion chrétienne à ce fait qu’il passait pour un excellent géomètre. Ses amis estimaient « que cela serait avantageux à la religion même quand on verrait par son exemple que des esprits forts et solides peuvent être bons chrétiens en même temps… » « Si les belles productions de M. Pascal dans les sciences les plus profondes devaient donner du poids aux pensées qu’il promettait sur la vérité du christianisme, j’oserais dire que ce que j’ai eu le bonheur de découvrir dans les mêmes sciences ne ferait point de tort à des méditations que j’ai encore sur la religion ; d’autant que mes méditations sont le fruit d’une application bien plus grande et bien plus longue que celle que M. Pascal avait donnée à ces matières relevées de théologie, outre qu’il avait l’esprit plein des préjugés du parti de Rome, comme ses pensées posthumes le font connaître, et qu’il n’avait pas étudié l’histoire ni la jurisprudence avec autant de soin que j’ai fait. Et cependant l’une et l’autre est requise pour établir certaines vérités de la religion chrétienne. » Lettre à Burnet, dans Gerhardt, t. iii, p. 195 sq.

En outre Leibniz mettait toute sa confiance dans sa « caractéristique », nouvelle écriture ou langue, « organe plus utile à l’esprit que les télescopes et microscopes ne le sont à la vue », parce qu’elle permettrait de découvrir plus facilement les parologismes qai se glissent dans les discussions. Leibniz a la ferme conviction que, là où cette langue nouvelle sera reçue, « la vraie religion qui est toujours la plus raisonnable et, en un mot. tout ce que j’avancerai in opère demonstrationum catholicarum s’établira sans peine, et il sera aussi impossible de résister aux raisons solides qu’il est impossible de disputer contre l’arithmétique. » Lettre au duc Jean-Frédéric, dans O. Klopp, t. iv, p. 445.

Il faut tenir compte de cette conception pour comprendre l’optimisme que Leibniz gardait jusqu’au dernier moment des pourparlers, et qui, même après leur échec définitif, s’en remettait à la Providence pour la réalisation de son plan.

Sachant que les choses « les plus innocentes ont été souvent rejetées sur de faux soupçons », Leibniz avait en outre conçu l’idée de présenter sa démonstration de la vérité chrétienne de telle façon qu’on ne pût point deviner quel parti il tenait lui-même, afin de donner à la controverse toute l’objectivité désirable, méthode, ajoute-t-il lui-même, qui est sans exemple en pareilles matières. Et il estime qu’il sera « aisé à un homme de bon sens de juger sur le rapport qui a été fait sans que le rapporteur ait besoin de se déclarer. » Lettre au duc Jean-Frédéric, dans O. Klopp, t. iv, p. 437. Il importe donc de se mettre en garde en interprétant des écrits rédigés selon cette méthode, tel que le fameux Systema theologicum (le titre n’est pas de Leibniz lui-même) qui se présente à première vue comme une défense philosophique du catholicisme et que Leibniz voulait faire approuver par des évêques modérés en vue de favoriser l’union des Églises. C’est à tort qu’on a voulu en conclure au catholicisme du philosophe.

Une question qui dans les tentatives de pacification religieuse devait forcément occuper le premier plan, c’était l’interprétation du mystère de l’eucharistie. Ici encore Leibniz croyait tenir la solution qui. à son avis, pouvait satisfaire tout le monde.

Ce qui, dans l’hypothèse des atomistes et des cartésiens, restait inexplicable, trouverait une justification rationnelle dans sa propre théorie, grâce à cette réhabilitation des formes substantielles de l’ancienne philosophie pour laquelle il voulait faire passer sa doctrine des monades. Seulement ce que les anciens appelaient nature ou substance, il fallait le concevoir selon lui comme une « force primitive » qui assurerait à tout corps son unité substantielle. Dès lors la présence réelle, dans le mystère de l’eucharistie, se ramène à une présence de force, et « rien n’empêche que la substance d’un même corps…. ne puisse être appliquée à plusieurs lieux. » Foucher de Careil, cité dans Baruzi, p. 250 sq.

Dans « l’hypothèse » de la transsubstantiation on pouvait dire qu’à la « force primitive » du pain serait substituée une force divine, « l’opération de l’esprit du Christ qui peut s’exercer malgré la diversité des lieux et des temps », tout en laissant subsister les « forces dérivées » ou accidents du pain. Cependant Leibniz prend soin d’ajouter : Sed talibus nos non indigemus qui transsubslanliationem rejicimus. Lettre au P. Des Bosses, dans Gerhardt, t. ii, p. 399.

On voit à quel prix était obtenue « l’identité foncière » de la doctrine du Concile de Trente et de celle de la Confession d’Augsbourg que Leibniz avait promis de mettre en évidence par sa théorie. Voir Lettre à Arnauld, dans Gerhardt, t. ii, p. 75. Au reste, le philosophe montre le fond de sa pensée dans une lettre au landgrave de Hessen-Reinfels : » Il me semble lui écrivait-il, que la question, si l’amour de Dieu est nécessaire au salut, est incomparablement plus importante que la question, si la substance du pain reste dans l’eucharistie », question de pure spéculation et qui ne touche pas « l’essence de la piété ». Dans Rommel, t. ii, p. 367, reproduit par Baruzi. p. 198 sq.

L’autorité de l’Église visible.

En vertu même

de la collaboration active de chaque membre de la « Cité de Dieu » ou de l’Église invisible dans la réalisation de l’harmonie universelle « tous les chrétiens sont obligés de faire des efforts pour être dans l’union ecclésiastique et particulièrement avec la métropole du christianisme qui est Rome. » Lettre inédite à Mme de Brinon, Théol., xix, publiée dans Baruzi, p. 191-193. Leibniz avait déjà antérieurement constaté le fait que ceux qui parmi les protestants, étaient dans des sentiments de modération, consentaient que « la réunion soit moyennée par le pape » et que le pape pourrait présider au concile qui sera tenu un jour pour terminer les controverses. Relation pour la Cour impériale.

Mais ce qui lui paraissait être le point vif du débat, c’était la question de la nature et des limites de l’autorité doctrinale de l’Église visible. C’est sur ce point qu’il fallait avant tout s’entendre.