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LACTANCE, DOCTRINKS
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A ce public lettré, quelque peu frotté de philosophie à qui l’enseignement courant des écoles a donné une vague connaissance des solutions diverses proposées par les grands penseurs de l’antiquité aux éternels problèmes, à cet auditoire de gens du monde, qui ne croit plus, guère, ou ne croit plus du tout aux mythologies des cultes païens, Lactance veut présenter la religion chrétienne comme une véritable sagesse, comme une philosophie qui a, sur tous les systèmes précédemment enseignés, de singuliers avantages, en ce qu’elle résout d’une manière rapide, franche, certaine ce fameux problème du souverain bien contre lequel ont échoué les sages de l’antiquité païenne. L’essentiel sera donc de montrer dans le christianisme la solution d’ensemble ; il faudra éviter de se perdre dans le détail, aller droit au but. Que demande à la philosophie un homme cultivé’? De lui montrer la route du summum bonum qui conduit à la vila beata : voici le christianisme qui tranche imméditament la question : l’homme est sur terre pour faire la tâche que Dieu lui impose, et parvenir, la faisant, à la vie éternelle et bienheureuse que Dieu lui a préparée. Il ne s’agira point de procéder ici par exhortation de prédicateur, mais démonstration de professeur ; il faudra prouver, discuter, raisonner, laisser de côté les sarcasmes faciles et les injures qui chez d’autres apologistes tiennent si facilement lieu de raisons, il faudra surtout édifier une synthèse qui puisse s’opposer aux constructions les mieux assises de la philosophie antique.
Comme on vient de l’indiquer déjà, ce dogmatisme sera un dogmatisme moral. Lactance est trop latin, trop pénétré de sens pratique pour choisir la route ardue des déductions métaphysiques. Sans doute il commence par prouver rapidement l’existence du Dieu unique, créateur, provident ; sur les ruines du polythéisme vulgaire et des systèmes philosophiques contradictoires de la sagesse antique, il édifie la doctrine du Dieu des chrétiens. Mais, à dire vrai, il n’y a, dans sa critique des fausses conceptions de la divinité, rien de spécialement original. Voir De opificio et Inst., i, IL C’est au 1. III des Institutions qu’il faut se hâter de courir pour saisir la pensée profonde de l’apologiste. L’idée centrale en est que la philosophie païenne est incapable d’apaiser les désirs de l’homme, de donner le repos à son esprit, ni à son cœur. Ici encore l’auteur passe très vite sur les considérations purement dialectiques ; dès le c. vii, il arrive à la question morale : transeamus nunc ad alteram philosophiæ partem quam ipsi moralem vocant, in qua totius philosophiæ ratio continctur, siquidem in illa plu/sied sola eblectalio est, in hac etiam utilitas. L’essentiel n’est-il pas de savoir quomodo nos oporteat vivere ? III, vu. 1, 2, p. 190. Voir aussi III, xii, 1, p. 207 : Si quæritur quid sit propter quod nascimur. C’est l’angoissant problème de la destinée que Lactance va retourner sous toutes ses faces ; problème qui en soulève un autre, celui de l’immortalité de l’âme. III, xii sq., p. 212. De ces problèmes capitaux, la philosophie n’en a résolu délinitivement aucun ; et nous voici amenés à demander au christianisme la clef de cette énigme : en quoi donc consiste le souverain bien ?
De l’énigme, l’humanité a eu jadis la clef. Pour Lactance il fut un temps où les hommes vivaient plus purs et meilleurs, moins ignorants du souverain bien. [V, i, 1, p. 271. Il est vraisemblable qu’il faut voir ici une réminiscence du thème classique de l’âge d’or beaucoup plus que la donnée ecclésiastique de la révélation primitive. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, cet état a disparu du jour où le polythéisme a été introduit sur la terre par l’action des démons ; désormais voici l’humanité dans les ténèbres de l’erreur et <ln vice, incapable de s’élever à la notion du bien :
ventum est, ut ablala ex oculis verilate neque retiqio Dei veri neque humanitatis ratio teneretur, hominibus non in cœlo summum bonum quærentibus, sed in terra. Ibid. Seul, un petit peuple, celui des Juifs, a conservé intact le trésor de la vérité, IV, ii, 4, p. 227 ; c’est de lui qu’un jour sortira le Christ, Verbe de Dieu fait homme, lequel enseignera à l’humanité inquiète le chemin qui conduit à la vie bienheureuse. Pour l’auditoire païen que Lactance a en vue, l’essentiel est de montrer la divine mission de Jésus : il suffirait, à la rigueur, de présenter celui-ci comme un homme de Dieu, comme un prophète. Dans le fait Lactance ne procède pas ainsi ; d’emblée, il part de la génération éternelle du Verbe (avec quelle inexactitude, nous le dirons plus loin) et va montrer que Jésus n’est autre que ce Fils de Dieu fait homme. Jésus quippe inter homines nominatur. IV, vii, 4, p. 293. Cette démonstration de la divinité de Jésus-Christ, elle peut être fournie par les miracles accomplis par le Sauveur : veniamus ad opéra illa miranda… cœlestis indicia virtutis. IV, xv, 1, p. 329. Mais l’on sait que cette preuve, a été peu ou mal employée par la plupart des apologistes anciens ; en fait elle ne vient ici qu’en passant et par un biais un peu détourné. C’est une autre veine que Lactance a exploitée, celle de l’argument prophétique. Le Christ est Dieu, parce qu’il a réalisé les prophéties, lesquelles parlent nettement de sa divinité et des choses merveilleuses qu’accomplira le Dieu fait homme. On le voit, l’argumentation diffère sensiblement de celle qui est devenue classique. L’apologiste moderne qui aborderait la démonstration de ce point de vue se verrait arrêté à chaque pas par l’obscurité même des prophéties. Pour trouver en celles-ci des indications relatives à la divinité du Christ, il est, pour ainsi dire, indispensable d’avoir mis justement ce point à l’abri de toute contestation. Si peu exigeante que fût l’exégèse ancienne, si commode que fût la méthode d’interprétation allégorique pour découvrir en un texte des sens insoupçonnés, le bagage des textes de l’Ancien Testament susceptibles de démontrer d’emblée la divinité de Jésus-Christ ne laissait pas que d’être assez mince. Mais Lactance avait à sa disposition un trésor qui depuis nous a échappé. Les textes apocryphes d’Hermès trismégiste, des Livres sibyllins, les faux oracles de l’Apollon de Milet furent abondamment exploités par notre apologiste. Voir l’index de Brandt, t. ub, p. 251 (Haines trismegistus), p. 258 sq. (Oracula Apollinis, Oracula Sibi/llina). Fabriqués après coup, ces oracles avaient toute la clarté désirable : émanés, on le croyait et on espérait le faire croire, de milieux étrangers au christianisme, ils n’auraient que plus de force démonstrative aux yeux du public païen. Ainsi toute cette partie de la démonstration chrétienne de Lactance repose sur une falsification littéraire. Mais si la lionne foi de l’honnête professeur a été surprise, on aurait mauvaise grâce à lui en faire un reproche.
Lactance n’était pas le premier à mettre en ligne ce mauvais argument, il ne sera pas le dernier. Il faut regretter seulement, qu’il lui ait attribué une importance capitale, en sorte que toute son argumentation pèche par la base et doit être reprise sur nouveaux frais. Ajoutons qu’il convient de se demander où notre apologiste a pris l’idée même de sa démonstration. Lui est-elle venue, des réminiscences de l’enseignement catéchétique qu’il a dû recevoir à Nicomédie lors de sa conversion au christianisme’? Lui a-t-elle été suggérée par ses lectures personnelles et par la forte impression qu’aurait faite sur lui la rencontre des textes sibyllins et autres livres apocryphes ? Ces écrits étaient-ils suffisamment disséminés dans le grand public pour qu’en dehors des cercles chrétiens on en eût connaissance’?’foules ces questions, qui