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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THEORIE DE LA RELIGION

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Loute histoire, et souvent très prosaïque. Il n’est pas exact de dire qu’en agissant ainsi il se conformait au goût de son époque. Les vives contradictions qu’il rencontra dans les milieux protestants orthodoxes et chez les piétistes mêmes montrent que son libéralisme moralisant était alors une mode académique beaucoup plus qu’une conception populaire : Il a, pour sa part, largement contribué à la vulgariser.

a) La personne du Christ.

Kant nie très formellement la divinité de Jésus. L’incarnation, prise comme fait historique, est pour lui une impossibilité complète. La croyance à cette incarnation est donc toujours erronée, mais de plus, elle est essentiellement étrangère à la religion, puisque une croyance historique n’est ni une conséquence ni un principe de l’action morale. C, t. vi, p. 265-266 ; B., t. vi, p. 119-120 ; R., t.’x, p. 141-143. Cependant, conformément à sa manière, Kant va tâcher de garder les expressions chrétiennes et bibliques et par une exégèse raffinée il substituera aux croyances communes des théorèmes philosophiques. L’idéal de l’homme de bien est un concept qui peut s’identifier pratiquement à cet autre : l’homme qui plaît à Dieu. Le concept de cet « homme qui plaît à Dieu » est indépendant de tout le monde créé ; on peut donc dire qu’il est éternel ; il est unique ; c’est pour lui que tout a été fait, et sans lui rien ne serait. (1 est la raison déterminante du monde ; c’est en lut que Dieu a mis ses complaisances ; c’est en lui que Dieu a aimé le monde et c’est par lui que nous aussi pouvons devenir « enfants de Dieu ».

Bien plus : l’idéal de l’homme de bien ne peut être clairement conçu que sous la forme d’un effort vers le bien, donc en opposition avec des obstacles, des souffrances. Il faut que le motif purement moral de ses actions apparaisse dans tout son éclat. Donc le concept de l’homme de bien renferme celui de l’homme de douleurs et de l’homme tenté. Ce n’est que par la foi pratique dans ce « fils de Dieu », c’est-à-dire dans ce concept moral ; ce n’est qu’en lui donnant par notre décision libre une réalité objective dans notre vie que nous pouvons être justifiés et « plaire à Dieu ». Il est donc le Médiateur, le Rédempteur, le Sauveur, mais tout cela il ne l’est qu’à la condition de rester un idéal pratique pour l’action morale. Dès qu’on veut, par anthropomorphisme, attribuer à cet idéal une réalité empirique et l’identifier avec tel homme ayant vécu historiquement ici ou là, on pèche contre la raison spéculative et contre la morale et plus aucun des prédicats magnifiques de l’homme-Dieu ne se vérifie. C., t. vi, p. 201-205 ; B., t. vi, p. 60-65 ; R., t. x, p. 6973.

Il reste donc que Jésus de Nazareth peut être considéré comme un grand pédagogue, un moraliste puissant, un professeur populaire. Rien de plus ; aucun attribut transcendant. Pareille foi serait morlua in semetipsa.

b) Le PATER.

Les subtilités kantiennes se sont exercées sur le Pater pour traduire cette oraison en langage > pur », et faire de son auteur le prédicateur de la raison pratique, en opposition violente avec le judaïsme ritualiste. D’après Kant, le Paterne contient en réalité aucune de.nande. Il ne s’agit pas d’obtenir quelque chose que Dieu pourrait refuser, mais tout simplement d’exprimer la volonté de bien faire. Et puisque cette volonté, si elle est sérieuse, nous rend vraiment bons, il faut conclure que la « prière » qui l’exprime est ipso jaclo et infailliblement exaucée. Il y a bien dans le Pater une requête concernant le pain quotidien, mais, d’après l’exégèse kantienne, elle n’exprime pas le désir de l’homme qui prie, elle indique seulement le vœu de la nature, c’est à-dire la volonté de ne pas se laisser mourir d’inanition. Pareil vouloir est moral, il est commandé. Et. pour bien marquer la différence entre le vouloir de la nature et le désir de l’homme, la requête du Pater spécifie qu’il s’agit seulement du pain quotidien. En effet le devoir de ma conservation est un devoir limité au présent ; je ne suis pas tenu de me garder en vie le plus longtemps possible ; j’exprime donc dans le Pater la volonté du pain pour aujourd’hui. La convoitise humaine irait plus loin, elle demanderait des ressources abondantes et du pain pour tout un avenir. Et c’est ainsi, dit Kant, que dans le Pater, le Sage de l’Évangile (Jésus-Christ) ne nous enseigne pas les prières à faire à Dieu, mais les vœux à réaliser par nous, non des requêtes, mais des propos. C, t. vi, p. 346, note 1 ; B., t. vi, p. 195, note ; R., t. x, p. 235, note. Le caractère entièrement factice de ces explications n’est pas discutable. Kant, ayant déclaré que la prière était l’indice d’une âme immorale et qu’elle s’opposait foncièrement à la religion, devait ou bien rejeter sans réserve tout l’enseignement du Christ, comme le faisaient Bahrdt et les fragments de’Wolfenbuttel, cf. C, t. îx, p. 319-320 ; B., t. x, p. 472-476, ou bien tenter l’aventure impossible d’un évangélisme sans prière. L’absence complète de sens historique et la profonde ignorance où il était des conditions de la vie religieuse lui ont masqué les défauts de cette entreprise.

c) La justification.

Nous avons déjà vu qu’aucune rédemption objective ne pouvait, selon Kant, avoir de réalité empirique. Aucun pardon proprement dit n’est possible. Le pécheur se convertit et se régénère et se châtie lui-même et lui seul ; ces trois actes n’étant d’ailleurs que les trois aspects, inséparablement unis, du vouloir nouveau. Abandon de la maxime perverse ; adoption de la maxime morale ; dégoût et condamnation de l’ancienne perversité, c’est tout le problème de la justification, ramené à ses termes objectifs. Il est sûr d’autre part que cette objectivité n’existe que par la décision libre elle-même, et qu’elle n’a donc de sens que par rapport à la raison pratique. Le péché n’étant pas d’abord une infraction à des lois divines, mais objectivement et réellement une faute de l’homme contre lui-même, ce n’est pas Dieu qui doit réparer le mal moral par des procédés mystiques et une médication transcendante, c’est le coupable qui doit se redresser et qui peut le faire précisément « parce qu’il le doit ». Grâce et sacrements ne sont donc que des mj thés irreligieux, immoraux et illogiques.

d) le péché de nature.

En raison même de son légalisme stoïcien, Kant rencontre sur sa route la notion du « péché de nature », de la « mauvaise tendance » congénitalement présente dans la volonté humaine et à son sujet il élabore une doctrine assez compliquée, qu’il estime fondamentale dans sa théorie religieuse, et qui est destinée à servir de substitut au dogme du péché originel.

La seule volonté bonne est celle qui veut obéir à la loi, parce qu’elle est la loi. et non parce qu’elle commande ceci ou cela. Le mal pourra donc se présenter sous un triple aspect :
- a. Fragilitas"" : je veux obéir à la loi, mais ce vouloir est démenti par l’action extérieure ; la volonté de l’action bonne existe, mais elle est insuffisamment trempée. —
b. Improbitas : je mêle au pur motif de l’obéissance à la loi d’autres motifs. —
c. Pravitas : j’intervertis « l’ordre des ressorts du vouloir », c’est-à-dire que j’agis par un motif intéressé, par un désir de bonheur. Même si mon action est extérieurement conforme à l’honnêteté, elle n’en est pas moins corrompue par le désordre de son principe. Je suis bene moratus, mais nullement moralité/ bonus. Se vouer au culte de la loi comme telle, c’est la seule foi qui sauve, et tout ce qui ne procède pas de cette foi est péché. G., t. vi, p. 168 sq : 1 !., t. vi, p. 29-30 ; R., t. x. p. : u-33.

Après avoir ainsi défini les attitudes mauvaises du