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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE AVANT LE PÉLAGIANISME


espérance au pécheur repentant, mesurait toujours à ses œuvres de pénitence la valeur de son repentir.

c) Pour être enclins au mysticisme, les initiateurs de la théologie grecque n’ont pas une autre conception de la justification chrétienne. « Nous sommes bien sauvés par grâce, d’après Clément d’Alexandrie, mais non pourtant sans bonnes œuvres ; car, nés pour le bien, nous devons.de quelque manière y consacrer nos soins. » Strom. V, i, P. G., t. ix, col. 16. Et plus loin, après avoir exposé que les degrés de la gloire céleste nous seront répartis en proportion de nos vertus, l’auteur poursuit : « Lors donc que nous entendons cette parole : « Ta foi t’a sauvé, » ne pensons pas qu’elle veuille dire absolument que l’on est sauvé par une foi quelconque, si elle ne s’accompagne d’œuvres en conséquence. » Ibid., VI, xiv, col. 329.

Origène est amené par son étude de l’Épître aux Romains à s’expliquer abondamment sur la justification. Évidemment il demande comme première condition la foi au rédempteur, ut per ejus fidem juslificarentur qui per opéra propria justificari non poteranl, In Rom., iii, 8, P. G., t. xiv, col. 946, et précise formellement que les meilleures œuvres sans la foi sont de valeur nulle : Si guis habeat intégra omnia quæ lex edocet naturalis et in nullo eum peccati conscientia reprehendat, non lamen habeat etiam fidei gratiam, non posse eum justificari. Ibid., iv, 5, col. 977 ; cf. iii, 9, col. 953. Ce qui enlève à tout homme la tentation de se glorifier contre Dieu.

Il arrive même à Origène de suivre l’Apôtre jusqu’à parler de justification par la foi seule : dicit sufficere solius fidei justiftedionem, ita ut credens guis tantummodo justificetur, etiamsi nihil ab eo operis fuerit expletum. Comme exemple il cite le bon larron et la pécheressede l’Évangile, puis celui de Paul lui-même. Et prenant à part les diverses œuvres dont l’homme peut se préval > r, il montre qu’elles sont impossibles ou sans valeur dans l’économie chrétienne du surnaturel. Sola igttur, conclut-il, justa gloriatio est in fide CTucis Christi, quæ excludit omnem illam gloriationem guse descendit ex operibus legis. Ibid., ni, 9, col. 952954. D’autant que ces œuvres, parce qu’extérieures, peuvent toujours offrir quelque défaut caché, tandis qu’il s’agit d’être juste au regard non des nommes mais de Dieu. Ibid., iv, 1, col. 960-961.

Naturellement les protestants se prévalent de ces passages, Thomasius, op. cit., p. 423-424 ; mais à tort. Il est facile, en effet, de remarquer tout d’abord qu’Origène n’hésite pas à dire des vertus morales ce qu’il a dit de la foi : Sicut de fide dictum est guia repulala est ei ad justitiam, ita et de aliis virtutibus dici potest. Car il se souvient d’ « un autre endroit de l’Écriture » où il est dit qu’Abraham fut justifié par les œuvres de la foi. Ibid., iv, 1, col. 961 et 963. Ainsi la justification par la foi n’est qu’un cas particulier, celui d’une volonté généreuse qui n’a pas encore eu le temps de se traduire en actes ; mais normalement la foi comporte les œuvres. Indicium verse fidei est ubi non delinguitur, sicut contra ubi delinguitur infidelitalis indicium est. C’est pourquoi Origène fait observer que la foi d’Abraham fut, en réalité, la synthèse de toute une vie et que la nôtre, à son exemple, doit être une foi intégrale et parfaite : non ei gui ex parte, sed gui ex integro et gui perfecte crédit fidem posse ad justitiam repulari. Ibid., col. 961-964. En effet, entre la foi et les œuvres, il y a le même lien organique qu’entre la racine et les branches de l’arbre. Initium namque justificari a Deo fides est guse crédit in justificanicm. Et hsec fides… tamguam radix imbre suscepto hæret in animée solo, ut, eum per legem Dei excoli cœperit, surgant in ea rami gui fruclus operum ferant. Ibid., col. 465. Cf. iv, 6, col. 981 : Prima salutis initia et ipsa fundamenta fides est ; profectus vero et augmenta sedificii spes

est ; perfectio autem et culmen totius operis charitas. En conséquence, on aurait beau croire : on ne saurait être justifié si, à l’exemple du Christ, on ne ressuscite de la mort à la vie. Negue enim possibile est ut habenti in se aliquid injustitiæ possit justilia repulari, etiamsi credat in eum gui suscitavil Dominum Jesum a mortuis. Injuslitia namgue eum justitia nihil potest habere commune… Justificat ergo eos Christus tantummodo gui novam vilam excmplo resurrectionis ipsius susceperunt. Ibid., iv, 7, col. 985-986. Et s’il en est ainsi pour obtenir la justification, à plus forte raison cela est-il nécessaire pour y persévérer : Post justificationem si injuste guis agat, sine dubio justificationis gratiam sprevit. Ibid., ni, 9, col. 953. Aussi Origène a-t-il dit plus haut, après l’Apôtre, que chacun recevra suivant ses œuvres. Ibid., ii, 4, col. 875-879. De toutes façons, la foi sans les œuvres est une foi morte, comme l’a dit saint Jacques. In Joan., xix, 6, ibid., col. 569. Le pécheur surtout est tenu à des œuvres de pénitence et de charité, qui peuvent seules lui procurer le pardon de ses fautes. In Levit., ii, 4, P. G., t. xii, col. 417-418 ; cf. xii, 3, col. 538-539.

A ces vérités communes de la foi, Origène mêle une de ces vues personnelles où se complaisait son génie. Cherchant à expliquer pourquoi saint Paul a dit, Rom., ii, 30, que Dieu justifie les juifs e.r fide et les gentils per fidem, il établit sur cette différence de langage l’hypothèse suivante : Qui ex fide justificantur, initio ex fide sumpto, per adimpletionem bonorum operum consummantur, et qui per fidem justificantur, a bonis operibus exorsi, per fidem summam perfectionis accipiunt. Où apparaissent deux économies de la justification : l’une qui conduit les juifs de la foi aux œuvres, l’autre qui couronne par la foi les œuvres des païens. Ce qui importe, c’est que ces deux conditions sont complémentaires et, par conséquent, ne doivent pas être séparées : Ita utrumque sibi adhserens alterum ex altero consummatur. In Rom., ni, 10, col. 957.

Un de ses disciples, Hiéracas, devait plus tard attacher tellement d’importance aux œuvres qu’il excluait du ciel les enfants morts aussitôt après leur baptême, parce qu’ils n’avaient pas pu en accomplir. Renseignement fourni par saint Épiphane, Hser., lxvii, 2 ; P. G., t. xlii, col. 176. Parce qu’il s’est gardé de cet excès, Origène est un témoin de la manière dont l’Église harmonisait dans l’unité de sa vie les données de saint Jacques et de saint Paul, cependant que son effort de spéculation frayait la voie aux théologiens qui devaient s’appliquer à montrer la connexion intime de ces deux conditions également indispensables du salut. Le catholicisme des premiers siècles n’a reçu nulle part de meilleure et de plus complète expression.

3. Exégètes et docteurs du n’e siècle. — En vain chercherait-on chez eux un essai de synthèse comparable à celui d’Origène ; mais multiples sont dans leurs écrits les échos de la doctrine traditionnelle.

a) Textes invoqués par les protestants. — Cependant les polémistes protestants ont pu y trouver une moisson assez abondante de textes où la justification est attribuée à la foi seule et qu’il faut d’abord discuter.

A y regarder de près, quelques-uns sont purement exégétiques, tel que celui de saint Hilaire résumant la guérison du paralytique dans l’Évangile : Fides enim sola justificat. In Matlh., viii, 6, P. L., t. ix, col. 961. Ce qui rappelle simplement que, pour déclarer ses péchés remis, Jésus n’a considéré que sa foi et celle de ses porteurs. A plus forte raison l’Épître aux Romains était-elle faite pour inspirer à ses commentateurs un semblable langage. Pour YAmbrosiaster, non seulement on n’est justifié que par la foi : non justificari hominem apud Deum nisi per fidem,