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JOACHIM DE FLORE. LE JOACHIMISME


t.. xxxii, p. 663, sa démission fut tout à fait volontaire, et due au découragement où le plongeait son impuissance à réagir contre le laxisme de la communauté (dans ce sens René de Nantes, Histoire des spirituels de l’ordre de saint François, p. 167), ou si, comme le prétend frère Peregrino de Bologne dans un fragment de sa Chronique conservé par la Chronique des vingt-quatre généraux, dans Analecta Franciscana, t. iii, p. 287, cf. Salimbene, p. 309, n. 8, Alexandre IV lui ordonna secrètement de se démettre. En ce sens, Balthasar, p. 137-138 ; Holzapfel, Handbuch, p. 33, ne se prononce pas. Il est certain que quelques années après (au plus tôt en 1263, d’après Balthasar, p. 140, qui fait remarquer que le cardinal Jean Orsini, qui figure au procès comme cardinal protecteur de l’ordre, n’a été demandé pour ces fonctions qu’au chapitre général de 1263 ; cf. Philippi de Perusio epislola de cardinalibus protectoribus ordinis fratrum minorum, édit. Holder-Egger, dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. xxxii, p. 681, il fut cité à Castello (auj. Città) délia Pieve devant une commission dirigée par son successeur au généralat, saint Bonaventure, et le cardinal Jean Orsini. Cf. Sternfeld, Der Kardinal Johann Gaétan Orsini, p. 11-12. Ce dernier avait été son ami, et s’était séparé de lui à propos du joachimisme. Salimbene, p. 302. D’après Ange de Clareno, notre seule source ou peu s’en faut, car Salimbene garde sur tout le procès un silence tout à fait singulier, mais une source bien peu sûre, Jean de Parme aurait été avant tout victime des rancunes de la communauté. Le vrai grief contre lui aurait été son attitude dans la question de la pauvreté, et l’accusation d’hérésie, de joachimisme, surtout un prétexte. Loc. cit., p. 274276 et 285 II est permis d’en douter ; ce sera toujours la tactique des spirituels de présenter les choses ainsi. Mais il est fort intéressant de relever l’assertion d’Ange, que Jean de Parme aussi se vit reprocher l’erreur trinitaire de Joachim. Les accusations qu’Ange de Clareno porte contre saintBonaventure, qu’il accuse de dureté et de duplicité, échappent au contrôle de la critique. C’est aussi une question dé savoir comment se termina l’affaire. Toujours d’après Ange de Clareno, Bonaventure et le cardinal Orsini avaient résolu de condamner Jean de Parme à la prison perpétuelle. Us en auraient été empêchés par une véhémente protestation du cardinal Ottobuono Fieschi, le neveu d’Innocent IV et le futur pape Adrien V. « La foi de frère Jean est ma foi, sa personne est ma personne, ., ses injures sont mes injures, » leur aurait écrit Ottobuono. Loc. cit., p. 286. Ils n’auraient pas osé passer outre, mais cum fratre Johanne colloquio habito, simul in verbis communibus quieverunt, ce qui veut dire sans doute que l’on s’entendit sur une formule vague, permettant aux partisans de saint Bonaventure de dire que Jean s’était rétracté ( per doctrinam abbatis Joachim deceplus in designatione ullimorum lemporum… quæ aslruxerat dedixit, dit le Catalogus generalium ministrorum, loc. cit., p. 664), et aux partisans de Jean de lui donner le beau rôle. Retiré à l’ermitage de Greccio, il y vécut encore de longues années, jusqu’en 1289, dans la piété et la pauvreté, n’abdiquant rien de ses convictions, doucement raillé à ce propos par son ancien juge le cardinal Orsini, devenu le pape Nicolas III, Salimbene, p. 302 ; soutenu d’ailleurs par Je fidèles sympathies, notamment par celle de maître Pierre d’Espagne, qui devenu pape sous le nom de Jean XXI, voulut l’avoir à la cour pontificale, et songeait à faire de lui un cardinal. Salimbene, p. 304. Ce n’est pas le seul exemple, à ce moment, d’un prince de l’Église quelque peu teinté de joachimisme.

Le joachimisme populaire.

C’est dans ce

moment que le joachimisme commence à gagner les masses II ne semble pas qu’il ait joué un rôle dans le

grand mouvement de Y Alléluia, en 1233. Mais on se souvient de l’importance que l’abbé de Flore attachait à l’année critique 1260. Lorsqu’on voit une grande épidémie d’exaltation religieuse éclater justement en 1260, on peut affirmer que ses idées y sont pour quelque chose. Il s’agit des flagellants, il ne semble pas que personne de notoire et de qualifié ait pris l’initiative de ce mouvement. C’est à Pérouse, Annales Januenses, Monum. Germ. hist., Scriptores, t. xviii, p. 240, que « les hommes commencèrent à aller nus dans la ville en se frappant avec des fouets. » Puis la contagion gagna, « rapide, dit Salimbene, p. 465, comme l’aigle qui vole vers sa proie ; » la vague formidable inonde Rome, la Rivière de Gênes, la Provence, d’un côté ; de l’autre la Romagne, le Frioul et même quelque peu l’Allemagne ; au centre la plus grande partie de la Lombardie. Elle se brise sur quelques barrages, là où l’autorité politique intervient ; ainsi Pallavicini, le grand tyran impérialiste de Crémone, fit planter quelques potences sur les rives du Pô, annonçant qu’elles étaient réservées à ceux qui prétendraient passer chez lui cum verberatione ista. Le podestat de Parme retint les têtes chaudes, qui voulaient aller chercher le martyre, à la grande satisfaction de Salimbene, loc. cit., qui avait été entraîné par le mouvement, un peu malgré lui, de Modène à Parme, et blâmait Pallavicini, mais ne se souciait pas de l’affronter. Parfois le podestat ou l’évêque conduisent le cortège. D’ordinaire cependant les autorités sont poussées plutôt qu’elles ne dirigent. Là où il eut libre cours, le mouvement fit du bien et du mal : des restitutions, des réconciliations, des rappels de bannis ; mais bien des têtes détraquées et des désordres. Tout cela d’ailleurs tout à fait éphémère.

En 1260 aussi — et cette coïncidence est la seule bonne note qu’y reconnaisse Salimbene, loc. cit., p. 293, — commence la prédication de Gérard Segarelli de Parme : type curieux de mysticisme cynique et grossier. Cf. sur ce mouvement : Lea, A history of the Inquisition, t. iii, p. 103-124 ; Tanon, Histoire des tribunuux de l’Inquisition en France, p. 87-93 ; Ehrle, Archiv…, t. iv, p. 154 sq. C’est un illettré ; refusé par le couvent des mineurs de Parme, il se met pour son compte à prêcher la pauvreté, avec une application littérale et indécente du nudus nudum Christum sequi. Si Salimbene n’a pas un peu brodé, cf. son long exposé, p. 256-288, il se serait appliqué aussi à une imitation de la vie du Christ qui n’aurait été qu’une puérile et choquante parodie. L extraordinaire est qu’il fit des disciples ; on signale, dès avant la fin du siècle, des apôtres (c’est le nom qu’ils se donnaient ; l’Église les appela les faux apôtres) en Allemagne, en Languedoc, en Espagne. Dans quelle mesure Segarelli a-t-il eu une doctrine véritable ? Il est difficile de le dire. Mais quand il eut été brûlé par l’Inquisition, à Parme, en 1300, il eut pour successeur à la tête de la secte un homme qui lui était fort supérieur, comme culture et comme talents d’organisateur : fra Dolcino. Celui-ci organisa ses adhérents en une bande armée, avec laquelle il se maintint plusieurs années dans les montagnes du Piémont ; il fallut plusieurs croisades en règle pour venir à bout de lui. On a de lui deux lettres ou du moins les longues analyses qu’en a données Bernard Gui, Practica Inquisitionis, p. 330-336. Il y expose une théologie qu’on peut qualifier de joæhimite (ou pseudo-joachimite) au sens large seulement, par la rage de scruter les prophéties, par la croyance à des bouleversements prochains, par l’idée d’une révolu tion dans l’Église, et de plusieurs étapes ; mais d’ailleurs les quatre périodes (au lieu de trois) dans lesquelles il divise l’histoire du monde : 1. Ancien Testament, ou âge du mariage ; 2. du Christ à saint Silvestre, ou âge de la pauvreté et de la chasteté ; 3. de saint Sil-Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.