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JOACHIM DE FLORE. VIE

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nations de la terre, pensée vivante, durable, affranchie de la lettre » (Fournier, Éludes, p. 17), et qui n’est pas, ne peut pas être un livre, mais bien l’interprétation spirituelle de l’Évangile écrit. L’un des plus importants résultats des travaux du P. Denifle sur le joachimisme est d’avoir mis ce point hors de doute. Évangile éternel et Évangile spirituel sont synonymes pour Joachim. Il admet pour diverses raisons mystiques que le deuxième âge doit comprendre soixante-trois générations de trente ans, dent vingt et une de préparation, entre Ozias et le Christ ; et quarante-deux depuis l’ère chrétienne. Donc le deuxième état doit finir en 42 x 30 = 1260. Nous verrons l’importance qu’a eue cette date critique dans les spéculations des disciples de Joachim.

Toute la période qui doit s’écouler entre le temps de Joachim lui-même et 1260 doit être une période troublée où se multiplieront les signes précurseurs. D’une manière générale, l’habitude de spéculer sur l’Apocalypse et l’Antéchrist rend pessimiste. C’est un tableau très poussé au noir que celui que l’abbé de Flore trace de la situation du monde et de l’Église. La plupart de ses critiques sont d’ailleurs des lieux communs sous la plume des moralistes du Voyen Age. Infériorité morale des laïques, qui ont choisi la moins bonne part ; corruption du clergé séculier, tant des Grecs « qui ne veulent pas accepter la doctrine spirituelle et reconnaître l’Église pour seule épouse du prêtre », que des I atins qui suivent leurs mœurs, demies operam voluptati ; ambition, avidité, pratiques simoniaques et luxe des prélats ; corruption des moines eux-mêmes par l’orgueil et l’avarice ; orgueil des savants, des docteurs, qui scolasiica inflantur disciplina, orgueil plus dangereux encore, parce qu’il s’accompagne de malhonnêteté, des juristes et des canonistes (Joachim attaque Gratien avec autant de véhémence que Pierre Lombard) ; progrès des sectes hérétiques ; danger extérieur, représenté par les musulmans, dont il redoute une alliance formelle avec les ennemis de l’intérieur, les manichéens ; rien dans tout cela qui soit vraiment original. On notera seulement que ce mystique et cet exalté maintient, contre les vaudois et les albigeois, les droits du bon sens, en proclamant la légitimité du travail et du mariage.

Son ascétisme, quoi qu’en dise Tocco, L’eresia, p. 403, n’a rien de cathare ; pas plus que ses attaques contre la corruption du clergé.

Jugements portés sur cette doctrine.

Telle est dans

ses grandes lignes la doctrine de Joachim : nettement hérétique, on le voit, puisqu’elle ne tend à rien de moins qu’à présenter comme provisoire et imparfaite une révélation qui, d’après la doctrine de l’Église, est définitivement close, et aussi achevée que le comporte la nature de l’homme ici-bas ; d’ailleurs exposée souvent en termes assez vagues et contradictoires pour qu’une interprétation bénigne soit à la rigueur possible (Papebroch a encore travaillé à en donner une) ; originale à beaucoup d’égards, mais préparée cependant par tout un courant de spéculations millénaristes. Cf. Dernheim, M illelallerliche Zeitanschauungen in ihremEin/luss auf Polilikund Geschichtschreibung. Toutes ces circonstances expliquent, d’une part, sa fortune, d’autre part l’étonnante indulgence qu’on va voir qu’eurent longtemps pour elle i’oj i eligieusc et l’autorilé ecclésin I ique.

Un seul point en fut en effet, et de bonne heure, expressément condamné. Ce fut, nous l’avons dît, la doctrine trinitaire, an quai liénie concile de l.nlran. I.i.loacliim s’était attaqué au théologien universellement réputé el presque officie] qu’élnil Pierre Lombard. Par ailleurs, mienne mesure lie lui prise contre sn doctrine ; el il semhle qu’après sa niorl l’autorité de l’abbé de flore ail grand !. Il serait intéressant

de suivre la diffusion de ses écrits. Mais les renseignements n’abondent pas. Guillaume d’Auvergne († 1249) les connaissait certainement. Faut-il en dire alitant d’Aubry de Trois-Fontaines. Monumenla Germ. hist., Scriptores, t. xxii, p. 879 ? Peut-être, car il en parle assez exactement. Mais pour l’Angleterre, si la lettre par laquelle Adam de Marsh envoie à Robert Grossetête quelques fragments de Joachim, que vient de lui remettre un moine d’Italie, vise bien les œuvres authentiques, et non pas, ce qui serait possible à cette date, quelque pièce pseudépigraphe, il faut en conclure que vers le milieu du xiiie siècle Joachim était outre Manche encore une nouveauté. Quoi qu’il en soit, tous ces auteurs parlent de Joachim dans les meilleurs termes. Adam de Marsh, Epistolx, édit. Brewer, Monumenta Franciscana, Rolls Séries, p. 146, demande à son correspondant utrum instent immutabilis providentiæ dies formidandi, comme le prétend l’abbé de Flore ; mais il répond d’avance ; ce saint homme non immerito creditur divinitus spirilum intellectus in mysteriis propheticis assecutus, et à voir le redoublement des crimes, qui ne s’attendrait aux vengeances célestes ? Guillaume d’Auvergne, homme de doctrine et d’orthodoxie, a fait de Joachim ce magnifique éloge : Islud donum, scilicet donum intellectus, lantæ clarilatis est et acuminis in quibusdam, ut valde assimiletur spiriiui propheiiæ ; qualem crediderunt nonnulli fuisse in abbate Joachim, et ipsemet de seipso dixisse dicitur, quia non erat ei dalus spirilus propheiiæ, sed spiritus intelligentiæ. Si quis auiem inspexerit libros cjus, quos scripsit super Apocalupsim et super Concordiam duorum Testamentorum, mirabitur donum intellectus in eo. De virtutibus, Opéra, édit. de 1674, t. i, p. 152.

Comment expliquer de pareils jugements, si étonnants pour nous ? D’abord par une remarque de Balthasar, p. 151, n. 2, à propos de Pierre Olivi : « Les idées apocalyptiques étaient tellement dans l’air, que même dans les cercles ecclésiastiques les plus élevés on éprouvait vis-à-vis d’elles une certaine crainte, » ajoutons une certaine curiosité. On ne se sentait jamais tout à fait sûr que ce ne fût pas vrai. Après tout il y avait un des thèmes joachimistes tout au moins qui était une banalité : l’imminence de grands bouleversements. Beaucoup de gens s’occupaient de l’Antéchrist ; or on n’a coutume de s’en occuper que dans un esprit pessimiste ou dans une intention polémique, pour le déclarer prochain. Même Guillaume de Saint-Amour opposera un Depericulis novissimoruhlemporum à l’Évangile étemel de Gérard de Borgo San Donnino ; une menace eschatologique à une autre ; sa manière de combattre les mendiants sera de les déclarer précurseurs de l’Antéchrist. D’autres haussaient les épaules : « Pourquoi ces imbéciles attendent-ils la fin du monde ? » aurait dit Boniface VIII à propos des commentateurs d’Apocalypse qui pullulaient de son temps. Finke, Aus der Tagen Bonifaz VIII, p. 222. Clément V écrit à Jacques II d’Aragon que pendant la lecture en plein consistoire, par Arnaud de Villeneuve, d’une espèce de manifeste rempli d’idées apocalyptiques, il pensait tranquillement à des choses plus importantes : ad scripluram illam… mentem nostram non curavimus apponendam. Menendez y Pelayo, t. iii, p. cxxin. Demi-adhésion ou indilïéreiice sceptique : deux manières de s’aveugler sur les dangers possibles. Même les auteurs de prophéties invoquaient parfois l’incertitude de leurs spéculations pour en démontrer l’innocuité. Le même Arnaud de Villeneuve, dans un curieux passage de son Tractatus de lempore adventus Antichristi (fragments publiés par Finke, op. cit., p. cwxix-cxi.), polémique contre l’Université de Taris qui l’avait attaqué 11 prétend rejeter sur ses adversaires le fardeau de la preuve ; Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.