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    1. JÉSUS-CHRIST ET LA rHÉOLOGlE##


JÉSUS-CHRIST ET LA rHÉOLOGlE. LIBERTÉ Kl CHRIST

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combattu la solution thomiste, concèdent que cette conciliation n’a rien de bien ardu, non milu videtur, expeditu ardua, écrit Théophile Raynaud, C.hristus Deus-Homa, 1. IV. sect. ii, c. vi. n. 388. Kl Suarez est pleinement d’accord sur ce point avec les thomistes et Molina. Disp. XXXVII, sect. ii, n. 23. La difficulté proprement dite vient de la vision intuitive ; les grands thomistes affectent de la résoudre en quelques mots. Gonet. loc. cit., n. 106 ; Billuart, loc. cit., § 3 ; Salmanticenses, loc. cit., n. 53. Le P. Hugon, soit dans son De Verbo incarnato, soit dans Le mystère de l’Incarnation, ne la mentionne même pas. Et pourtant c’est là tout le noeud de la question : Et « en effet, écrit le cardinal Billot, l’impeccabilité du Christ n’avait pas sa cause uniquement dans l’union hypostatique et

— ce qui en est la conséquence — le gouvernement de la volonté humaine par la divinité : elle avait également sa source dans la condition d.’ « compréhenseur », dont la volonté est physiquement déterminée à l’amour du souverain bien et, par conséquent, physiquement incapable de produire un acte quelconque répugnant à cet amour. La volonté de celui qui voit Dieu en lui-même aime en effet nécessairement tout bien nécessairement ordonné vers Dieu, exactement comme la volonté de celui qui ne voit pas Dieu dans son essence, aime nécessairement tout ce qu’elle aime, sous la raison commune du bien en général, la seule qu’elle atteigne… Ainsi, supposé que Dieu ait porté un précepte formel, le compréhenseur voudra nécessairement l’objet de ce précepte en tant précisément qu’il est imposé par Dieu : par le fait de ce commandement, tout bien opposé n’est plus capable d’être rapporté à Dieu et. s’il s’agit d’un précepte grave, tout bien opposé revêt un caractère nettement contraire et devient en réalité un mal Billot, De Verbo incarnato, th. xxix. A cette objection, plusieurs réponses ont été tentées. Dans le camp thomiste, les opinions sont partagées. Los uns, avec Capréolus. Silvestre de Ferrare, Médina. D. Soto, Jean de Saint-Thomas, Contenson, distinguent en Jésus-Christ deux amours de Dieu, l’un et l’autre ayant pour objet labonté divine considérée en soi et recherchée pour elle-même, l’un, réglé par la vision béatifique et par conséquent nécessaire, l’autre, réglé par la science infuse, et par conséquent libre. Dans son Manuel thomiste, Gonet indique cette solution comme probable. A cette première réponse, le cardinal Billot réplique par une fin de nonrecevoir. « Cette distinction dit-il, est vaine, car en réalité qu’un homme soit attaché avec un seul lien, il ne pourra être réputé libre, bien qu’il ne soit pas attaché avec deux ou trois autres liens ; il n’est, en effet, besoin pour l’attacher que d’un seul lien, si ce seul lien exerce toujours son action. Or la science bienheureuse exerce toujours son action sur l’âme du compréhenseur et fixe la volonté divine d’une façon nécessaire dans l’amour divin, avec lequel n’est compatible aucun péché ». La réplique de l’éminent théologien semble, au premier abord, irréfutable. On peut toutefois se demander si elle tient suffisamment compte de l’état exceptionnel dans lequel se trouvait, en Jésus-Christ, l’homme ù la /ois voyageur et compréhenseur. Nous sommes évidemment en face du mystère — le mystère de Jésus-Christ — mais, bien que Jésus ait joui, dès le premier instant de son existence, de la vision intuitive, on peut se demander si l’état de voie, dans lequel il se trouvait également, ne s’étendait pas aux opérations par lesquelles il devait mériter notre salut. Et à cette question la réponse ne saurait être douteuse. On la trouvera chez le cardinal Billot lui-même, th. xxiv. note, édit. de 1012, p. 285-286. Expliquant que le Christ doit être dit t voyageur » quant au corps et compréhenseur i quant a l’âme, le cardinal ajoute : i (tic affirmation peut être com prise dans un sens taux et comprise dan-, un sens vrai. Ce serait une erreur de croire que seul le corps et non pas l’âme a été le sujet des privations et <les opérations propres au Christ voyageur, lui effet, la passibilité appartenait au Christ voyageur, et cependant le sujet de cette passibilité n’était pas seulement lecorps ; et pareillement les opérations par lesquelles le Christ a mérite et satisfait étaient, sans aucun doute, les opérations de l’état de voie, puisque cet état est requis pour le mérite et la satisfaction. Et cependant, — c’est l’évidence même, — ces opérations appartenaient plus encore à l’âme qu’au corps l.a vérité consiste doue â dire que tous les défauts, toutes les conditions appartenant à l’état de voie, avaient leur racine, leur cause non pas précisément dans l’âme, mais dans le corps, c’est-à-dire dans cette chair mortelle et passible par lequelle le Christ a pleinement participé à notre nature. » Il ne faut donc pas raisonner comme si l’âme tout entière et dans toutes ses opérations était, en Jésus-Christ, réglée par les lois propres aux compréhenseurs. Le Christ a une psychologie spéciale et unique. Nous n’en pouvons découvrir les lois profondes et cachées, mais nous les pouvons soupçonner et peut-être la vérité se trouve-t-elle dans la formule thomiste, suffisamment indiquée par saint Thomas lui-même : « Le Christ n’a pas mérité par la charité qu’il avait en tant que compréhenseur, mais par celle qu’il avait, comme voyageur. Car il fut à la fois voyageur et compréhenseur. Mais maintenant qu’il n’est plus dans l’état de voie.il ne peut plus mériter. » Sum. theol., III’, q. xix, a. 3, ad l nn ».

Une deuxième solution thomiste distingue dans le même acte d’amour deux objets, l’un, la divine bonté considérée en soi et en tant qu’elle est la raison d’aimer Dieu et ses perfections nécessaires ; l’autre, la divine bonté considérée comme raison d’aimer les créatures, avec lesquelles cette divine bonté n’estpas en connexion nécessaire. Envisagé sous le premier aspect, l’acte d’amour est nécessaire ; sous le second, il est libre. C’est ainsi que l’amour que Dieu a de lui-même est nécessaire, et que l’amour qu’il a pour les créatures reste libre, quoique ce soit le même amour. C’est la solution de Nazario, Alvarès, Araujo, et, parmi les grands thomistes, de Gonet, dans le Clypeus, de Jean de Saint-Thomas et des Salmanticenses. Il semble bien que cette réponse soit insuffisante car quelle comparaison établir entre l’amour que Dieu a de lui-même et des créatures et dont la liberté relativement aux créatures trouve une raison d’être dans la transcendance infinie de tout ce qui est Dieu ou appartient à Dieu, et l’amour humain du Christ, nécessairement fini et soumis aux lois qui régissent les opérations des créatures ? Voir la discussion dans Gonet, loc. cit., n. 100 ; dans Billuart, dissert. XVIII, a. 4, § 3 ; Jean de S. Thomas, De incarnalione, c. xix, disp. XVII, a. 3, n. 10-19 ; Salmanticenses, disp. XXVII, n. 53.

I.a réponse des scotistes est plus simple. En principe, ils admettent la réponse thomiste de la double condition du Christ voyageur et compréhenseur. Scot, 7/i IV Sent., I. III. dist. XVIII, q. 7, n. 9. Mais, à la difficulté tirée de la vision intuitive, ils répondent purement et simplement que l’amour béatifique est sans doute nécessaire, paice que la Providence divine agit de telle façon que les bienheureux persévèrent en cet amour ; mais il respecte la liberté de la volonté dont il procède. Et la raison de celle assertion, c’est que le principe de l’impeccabilité des élus est extrinsèque et non intrinsèque à la volonté béatifiée. Voir Impeccabiuté, col. 1276. Mais cette théorie semble bien dénuée de toute probabilité. De plus, il faudrait dire, dan cette opinion, que le Christ a mérité d’une manière différente des autres hommes, car les actes tutres homme ! parvenus : < la béatitude me sont