Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/548

Cette page n’a pas encore été corrigée

107 ;

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. THÉOLOGIE MORALE. TENDANCES

L078

p. 31. 113-117. 134, 136-138… ; Revue d’ascétisme et de mystique. 1922. p. 420 sq. Pour discutable que soit le mot, l’idée qu’il porte n’est certes pas a écarter tout net : mais il n’y aurait là encore, relativement du moins aux moralistes, qu’une face de la réalité en ce sens que les jésuites, comme tous les théologiens scolastiques d’attache aristotélicienne sont en morale foncièrement eudénionistes. — Renonçant pour notre compte à la séduction des synthèses simplificatrices, nous nous contenterons de caractériser les moralistes jésuites en esquissant ici les lignes maîtresses de leur mentalité professionnelle, avant d’indiquer, dans la section suivante, leurs thèses les plus représentatives. Si c’est au jeu que se trahissent les caractères, c’est plus encore dans la polémique que s’accusent les tempéraments intellectuels. Quelle est donc l’attitude des jésuites dans les controverses doctrinales qui remplissent les deux premiers siècles de leur histoire ?

1. Tout d’abord, en réaction contre la tendance protestante à réduire la vie chrétienne à une pure religion de l’esprit, ils manifestent un sacramentalisme résolu. On a pu se convaincre déjà de leur zèle à propager la confession. Voir col. 1069. Leurs efforts en faveur de la communion fréquente sont bien connus également. Voir art. Communion, t. iii, col. 532. Ils montrent par là à quel point ils comptent sur la grâce sacramentelle comme levier moral, et quelle disproportion ils mettent, dans la vertu du sacrement, entre l’efficacité ex opère operalo et l’influence, qui doit étrj cependant sauvegardée, des dispositions du sujet : très loin en cela du pur moralisme stoïcien que leur ont reproché des critiques superficiels. Ils pourront être combattus sur ce point au nom des principes tout opposés de Saint-Cyran et d’Arnauld ; ils n’en maintiendront que plus fermement leur point de vue, persistant à considérer avec le concile de Trente, dans l’absolution du prêtre un miséricordieux appoint à l’insuffisance intrinsèque de l’attrition, DenzingerBannwart, n. 898 et 915, et dans l’Eucharistie, non pas une récompense accordée à la vertu, mais Vantidotum quo liberemur a culpis quotidianis. Ibid, n. 875.

2. Absolument contraires, en second lieu, au sévère pessimisme que ses partisans cherchent à recommander de saint Augustin, et au déterminisme mystique qui en découle, ils résolvent par un franc optimisme, ainsi que l’a exposé l’article précédent, le double problème des conséquences de la chute originelle et des secours offerts en vue du salut. Avec saint Thomas ils refusent d’admettre que l’homme ait été atteint in suis naturulibus par le péché d’Adam. Ils ne croient donc pas que notre nature historique, privée seulement des dons gratuits, soit proprement mauvaise en soi, et ils soutiennent tout spécialement, avec Molina, qu’elle a conservé, non pas, en vérité, intègre, mais pourtant complète, la liberté sans laquelle leur paraîtrait vain le mot de responsabilité. Corrélativement, concevant, de la part de Dieu, la création de l’homme, non pas comme la volonté de glorifier en tel ou tel la divine Miséricorde et en tel autre la souveraine Justice vindicative, mais comme la manifestation en chacun d’une profusion d’amour, ils tiennent essentiellement à maintenir au-dessus de toute atténuation l’universelle Providence salvifique et le don offert à tous les hommes, en chaque acte moral, d’une grâce vraiment suffisante pour faire le bien.

3. C’est par l’effet de ce sain optimisme, et à l’imitation, du reste, du Bon Pasteur de l'Évangile, qu’ils inclinent plutôt à la mansuétude qu'à la sévérité. Le joug du Seigneur n’est-il pas doux ? Et, si la voie est étroite qui conduit au salut, le meilleur moyen d’y ramener le pécheur n’est-il pas encore de l’envelopper de bonté? De là vient qu'à rencontre du rigorisme janséniste, ils professent un souverain respect des

consciences, s’interdisant scrupuleusement d’imposer aux âmes la moindre obligation Incertaine. Etsi erramus modicam pæniteniiam imponentes, nonne melius est propter misericordiam rationem reddere quam propler crudelitatem ? Usait-on dans Gratien, Décret., p. 11. caus. XXVI, q. vii, c. 12 : Alligant. Saint Raymond de Pefiafort avait dit à son tour : A’on sis nimis promis judicare mortalia peccala, ubi libi non constat. Summa, t. III, tit. xxxiv, § Quid de venialibus. Et Gerson : Xe sinl [theologi], faciles asserere acliones aliquas aui omissiones esse peccala mortalia, .. [ ciim] per taies assertiones publicas nimis duras… nequaquam eruantur homines a luto peccatorum, sed in illud profundius, quia desperatius, immergantur. De vita spir., lect. IV, cor. 11. De son côté saint Antonin répétait : Si vero non potest [ confessarius] clare percipere utrum sit mortale, … polius videtur absolvendum. Summa, p. II, tit. iv, c. 5, § 8. C’est donc en harmonie avec la tradition des grands moralistes leurs prédécesseurs, que les jésuites entrent eux-mêmes dans l’esprit de cette règle du Ratio studiorum : Ita suas confirmet opiniones [ professor casuum conscientia ; ], ut, si qua alia fuerit probabilis et bonis auctoribus munita, eam etiam probabilem esse significel. Ratio de 1599, Pachtler, t. ii, p. 324. Cf. Ratio de 1586, ibid., p. 122. Du reste, souvent très durs pour eux-mêmes, ils savent, en chaire et dans leurs entretiens ou leurs livres spirituels, parler le langage ferme ou sévère qui sied au directeur ou au prédicateur, le langage d’un Lallemant, d’un Bourdaloue. Mais rentrés dans leur confessionnal ou penchés de nouveau sur leurs traités de casuistique, on les retrouve tous, à bien peu d’exceptions près, imbus du même esprit. Autant ils ont d’exigences pour les âmes déjà avancées, autant ils prennent garde de rebuter les pécheurs en leur demandant trop. Si nous avions les cahiers rédigés par Lallemant et Bourdaloue du temps que l’un et l’autre enseignaient les cas de conscience, nul doute qu’ils nous découvriraient i n doublure de ces austères ascètes des casuistes aussi soucieux que tout autre de ne majorer aucune obligation.

4. Enfin, en opposition avec le fixisme des réformateurs archaïsants, ils revendiquent pour la morale le droit à un certain progressisme. Très caractéristique avait été chez saint Ignace le souci de s’adapter, en tous les domaines où c'était possible, aux conditions faites par les circonstances. En matière d’enseignement théologique, par exemple, après avoir recommandé de suivre saint Thomas, ce qui marquait déjà un progrès, comme par crainte de faire dater son œuvre, le saint avait expressément réservé l’adoption éventuelle de quelque manuel répondant mieux aux besoins de l’avenir. Const., IV, xiv, 1, B. Cf. col. 1014. Un mot de Lainez, cueilli au hasard des Actes du concile de Trente, et relatif à la discussion sur la réforme disciplinaire, 1 juillet 1562, trahit le même sens de l’adaptation en un sujet qui touche de près à la morale. Il en est des ré/ormes comme des remèdes : elles doivent, pour servir répondre aux besoins du sujet. C’est la pensée de saint Bernard lorsqu’il dit dans le De Dispensatione, qu'à côté des devoirs absolus il y en a de relatifs, compor’un' adaptation à la quai ité des personnes, au milieu et au temps. Ain i dans l'élaboration d’une réforme doit-on mr>ins se régler sur la pratique de i antiquité et même sur les exemples des saints que sur les nécessités présentes et sir les moyens de faire renaître actuellement la ferveur. Theiner, Acla Concilii Trid., t. ii, ]). 660. On retrouvera la même inspiration dans le texte fameux de Valère Regnault, qui scandalisait si fort Arnauld, /, " théologie morale îles jésuites, Œuvres, t. i. p. 7 1. Pascal, Cinquième Provinciale, Œuvres, t. iv, p. 316, et Nicole [Wendrock], Note a cette Provinciale, mais qu’eussent signé tous