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    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LA CONTROVERSE GALLICANE

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La doctrine de la suprématie et de l’infaillibilité personnelle du pontife romain lut dès lors commune parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus. comme le prouvent les cours publiés aux siècles suivants et, d’une façon particulière, des traités distincts dont les titres mêmes accentuent la position anti-gallicane, Tels, en France, Honoré Nicquet (+ 1667), Yindiciæ primatus S. Pétri, réfutation, demeurée inédite, d’un livre d’Antoine Arnauld. voir Sommervogel, Bibliothèque, t. v, col. 1711 ; en Italie, Thyrse Gonzalez de Santalla, alors professeur de théologie au Collège romain, De injallibilitale romani pontificis in deflniendis fidei et morum controversiis extra concilium générale et non exspectato Ecclesiæ consensu, Rome, 1689 ; en Allemagne, Guy Pichler, Papatus nunquam errans in proponendis fidei articulis, hoc est romanus pontifex Jesu Ctvisti in terris vicarius, D. Pétri successor, unioersalis Ecclesiæ paslor et rector, judex controversiarum ad fidem et mores pertinentium, auctoritate summus, potestate maximus, sententia infallibilis, publicae disputationi proposilus, Augsbourg, 1709, et J. Rupp, De infallibililale romani pontificis extra concilium générale, Heidelberg, 1763.

Une nouvelle phase de la controverse commença quand, sous le pseudonyme de Justini Febronii jurisconsulti, Jean-Nicolas de Hontheim eut publié son De statu præsenti Ecclesiæ et légitima potestate romani pontificis, liber singularis ad reuniendos dissidentes in religione composilus, Bouillon et Francfort, 1763. Il y soutenait les thèses gallicanes contre la primauté pontificale, mais en les dépassant notablement sous l’influence d’idées jansénistes. Voir t. v, col. 2117. Des théologiens jésuites ripostèrent : entre autres, en Allemagne, Joseph Kleiner et François Xavier Zech ; en Italie surtout, Antoine-Marie Zaccaria, Antifebronio, Pesaro, 1767 ; Antifebronius vindicatus, Césène 1771, etc. Voir t. v, col. 2122, 2123. Même après la suppression de la Compagnie de Jésus, plusieurs de ses anciens membres demeurèrent d’infatigables champions du pape et de ses prérogatives ; en Italie notamment, Jean Vincent Bolgini († 1811) et Alphonse Muzzarelli († 1813).

Enfin, de 1850 à 1870, dans le laps de temps qui fut comme une préparation prochaine au dernier et décisif combat, celui qui eut lieu au concile du Vatican, plusieurs écrits sur la suprématie du pontife romain parurent sous le nom de théologiens jésuites, la plupart professeurs au Collège romain : Charles Passaglia, De prærogalivis B. Pétri, Ratisbonne, 1850 ; Clément Schrader, De unilate romana, Fribourg-en-Brisgau, 1862 ; Joseph Kleutgen, De romani pontificis suprema auctoritate, Naples, 1870. etc. En même temps, les revues publiées par des Pères de la Compagnie de Jésus, en particulier la Civillà cattolica, soutenaient vigoureusement la même cause. La définition vaticane de la primauté et de l’infaillibilité papale fut le couronnement de ces trois siècles d’efforts et de luttes.

Cependant, telle qu’elle s’était historiquement développée, la controverse gallicane n’avait pas été restreinte aux vérités définies en 1870 ; aux deux thèses fondamentales dont il a été question jusqu’ici, s’en était jointe une autre, sur les rapports de l’Église et de l’État ou de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle. Les théologiens gallicans refusaient au pape tout pouvoir, direct ou indirect, sur le temporel ; au contraire, les principaux théologiens jésuites lui attribuèrent un pouvoir non pas ordinaire et direct, mais extraordinaire et indirect, pouvoir ayant pour raison d’être et pour mesure le bien spirituel de l’Église et des âmes, in ordine ad spiritualia. Le cardinal Bellarmin a toujours été regardé comme le principal représentant de cette doctrine, quoiqu’il ne l’ait pas inventée et qu’elle ne lui soit pas propre. Il y eut là,

particulièrement en France, une pierre d’achoppement, d’autant plus que des assertions irritantes s’ajoutèrent à cette première source de mécontentement. Dans son livre De rege et régis institutions,

Madrid, 1599, Jean de Mariana soutint que, dans le cas d’un abus de pouvoir qui mettrait une nation en péril, le peuple aurait le droit de reprendre l’autorité que le prince tient de lui, et même de mettre à mort le tyran par mesure de légitime défense. Voir José Ignacio Valent i. Le P. Jean de Mariana, dans la Science catholique, 12° année, Arras, 1898, p. 865-75. Il y avait lieu de laisser dans l’ombre cet écrit, pour rester dans l’esprit de la 6e règle des professeurs de théologie : « Si l’on sait que certaines opinions, quel qu’en soit l’auteur, offensent gravement les catholiques dans une province ou dans une académie, il ne faut pas les y enseigner ou les y défendre. Car là où il n’y a péril ni pour la foi ni pour l’intégrité des mœurs, la prudence et la charité font aux nôtres une loi de s’accommoder à ceux parmi lesquels ils vivent, t Mais des protestants, escomptant sans doute le scandale qui en résulterait, firent rééditer l’ouvrage en 1605, à Cologne. L’émoi et les récriminations furent tels que le P. Aquaviva crut de son devoir d’intervenir ; par ordonnance du 8 juillet 1610, il interdit à ses sujets « d’admettre et de soutenir, soit en public dans les chaires ou dans les livres, soit en particulier par manière de conseil ou d’entretien, l’opinion d’après laquelle il serait licite à qui que ce soit d’attenter, sous prétexte de tyrannie, à la vie d’un prince ou d’un roi. » Cette mesure ne suffit pas pour calmer les esprits en France. Bellarmin ayant publié quelques mois plus tard son Traclalus de potestate summi Pontificis in rébus temporalibus, Rome, 1610, pour y défendre contre un juriste écossais, Guillaume Barclay, le pouvoir indirect du pape sur les choses temporelles, le Parlement de Paris prohiba, le 26 novembre, cet ouvrage comme « contenant une fausse et détestable proposition, tendant à réversion des puissances souveraines, ordonnées et établies de Dieu, etc. » L’intervention du nonce apostolique et du cardinal auprès de la reine régente, Marie de Médicis, obtint à grand’peine qu’il y eut un sursis à la publication. Voir t. ii, col. 571. Suarez fut encore plus durement traité pour avoir repris la même doctrine, Defensio fidei adversus regem Angliæ, Coïmbre, 1613 ; le livre fut condamné au feu et brûlé en place de Grève.

Aquaviva intervint de nouveau et renforça les mesures de prudence. Non content de rappeler la recommandation qu’il avait faite en 1610, il la renouvela et la transforma en précepte strict, in virtute sanctæ obedienliæ, en édictant les peines les plus graves contre les transgresseurs. Ordre fut donné le 5 janvier 1613 aux provinciaux « de ne laisser paraître dans leur obédience, sous n’importe quel prétexte et en n’importe quelle langue, aucun écrit traitant du tyrannicide ou de la puissance du souverain pontife sur les rois et les princes, à moins que l’ouvrage n’eût été préalablement revisé à Rome et approuvé, i Précepte renouvelé, le 13 août 1626, par le successeur d’Aquaviva, Mutius Vitelleschi. Conformément à ces ordonnances, les théologiens jésuites s’abstinrent désormais de traiter ces questions brûlantes. Une autre raison s’ajouta en France, quand la négation de tout pouvoir pontifical, direct ou indirect, sur les rois et les princes en matière temporelle eut été officiellement insérée, comme premier article, dans la Déclaration du Clergé gallican en 1682. Denzinger liannwarl, Enchiridion, n. 1322.

Mais ce serait une erreur d’interpréter celle prudente réserve dans le sens d’un abandon réel et définitif de la doctrine prise en elle-même. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir les jugements portés de nos