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JÉSUITES. LA CONTROVERSE PROTESTANTE
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Ces controverses générales ont porté sur quatre erreurs bien caractérisées : le protestantisme, le jansénisme, le gallicanisme et le rationalisme moderne. Abstraction sera faite de la controverse de auxiliis ; ce qui en a été dit ci-dessus suflit à montrer qu’il y a dans la doctrine officiellement soutenue par les théologiens jésuites, sous Clément VIII et Paul V, un point réellement caractéristique de leur enseignement en matière non de foi, mais d’explication systématique.
I. controverse protestaste.
En fondant la Compagnie de Jésus, saint Ignace lui avait donné pour mission spéciale de se consacrer sans réserve à la défense de l’Eglise romaine. Le principal et le plus menaçant adversaire était alors le protestantisme ; la lutte devenait inévitable. Les circonstances elles-mêmes en donnèrent le signal, quand trois des dix premiers jésuites, le bienheureux Pierre Lefèvre, Claude Le Jay et Nicolas Bobadilla, envoyés en Allemagne ou en Autriche, se trouvèrent en face de plusieurs chefs intellectuels de la Réforme. A la controverse orale s’ajouta bientôt la controverse par écrit. Outre son catéchisme, comparé par Scheeben au Livre des Sentences, libsr sententiarum sui temporis, le bienheureux Pierre Canisius publia ses Commentaria de Verbi Dei corruptelis, Dillingen. 1571, suivis d’un autre volume, De Maria Virgine incomparabili et Dei génitrice, Ingolstadt, 1577. La contre-révolution religieuse, qui se produisit alors dans les pays d’Allemagne restés catholiques et dans quelques-unes des régions entamées par l’hérésie, se rattache en grande partie à l’apostolat de cet homme de Dieu, surnommé « le marteau des hérétiques » ou « le nouveau Boniface ». Voir t. ii, col. 1509 sq. A côté de lui se place un théologien de marque, déjà nommé, Grégoire de Valence, professeur de 1575 à 1591 dans les universités d’Ingolstadt et de Dillingen ; il a mérité d’être salué comme « le restaurateur de la théologie en Allemagne, mêlant dans ses commentaires sur la Somme, de la façon la plus heureuse, dans un beau et riche langage, la théologie positive et la théologie scolastique. Scheeben, op. cit., t. i, p. 704. En même temps, il fit œuvre de controversisle vaillant et habile dans un grand nombre d’écrits sur les matières discutées entre catholiques et protestants. Voir t. iv, col. 1565.
En fondant à Rome en 1552. le Collège germanique, saint Ignace s’élail proposé d’assurer et tic perpétuer les fruits de ce grand mouvement de réaction catholique en Allemagne. Vingt-quatre ans plus tard, le pape Grégoire XIII décrétant, dans l’intérêt des élèves du même collège, l’érection au Collège romain d’une chaire de controverse, confiée à Robert Bcllarmin, posa l’occasion providentielle qui valut à l’Église romaine les Disputationes de < ontroversiis christianse fidei, advenus hujus temporis hæreticos, Ingolstadt, 1586, 1588, 1593. Œuvre capitale en son genre, dont on a pu dire qu’elle lui pour la théologie polémique ce que la Somme théologique « le saint Thomas avait été pour la théologie scolastique. Voir t. ii, col. 577, 588. Mais, en dehors de cette œuvre que son ampleur et son mérite mettent à part, la controverse protestante donna lieu, surtout dans les pays où les novateurs et les catholiques se coudoyaient, à nu puissant mouve nient littéraire qui se maintint dans les siècles suivants.
En Allemagne, dans la première moitié du xviie siècle, des théologiens de grand renom se distinguent aussi comme polémistes : Jacques Gretser (j 1621). auteur d’une érudition et d’une fécondité merveilleuse voir t. vi, col. 1866 ; Martin Becanus († 1621), bra bançon d’origine et longtemps professeur à Wurzbourg, Mayence et Vienne, connu surtout par son Manuale controversiarum, .Mayence, 162 ! !, ouvrage non seulement solide, mais digne et plein de mesure. voir i. u. col. 522 ; Adam Contzen († 1635), apologiste
des Controverses de Bellarmin et remarquable, en matière économique par des vues surprenantes pour l’époque, voir t. iii, col. 1756. A ces célébrités s’ajoutent, au cours du même siècle, d’autres champions de la foi catholique, dont les noms méritent d’être relevés ; George Scherer († 1605) ; Josse Kedd († 1657) ; Laurent Forez († 1659), voir t. vi, col. 539 ; Jacques Masen († 1651) ; Guy Erbermann (| 1695), voir t. v, col. 399. Au xviii c siècle, la préoccupation polémique est encore tellement à l’ordre du jour qu’elle est au premier plan dans des publications théologiques, comme le Cursus theologiæ polemicæ universæ de Guy Pichler, Augsbourg, 1713, ou que du moins elle va de pair avec le dogme, comme dans les théologies déjà citées des jésuites de Wurzbourg, Theologia dogmalica, polemica, etc., et dans celle de Sardagna, Theologia dogmatico-polemica.
La controverse protestante s’étendit naturellement aux pays voisins de l’Allemagne ; partout il y eut, dans la Compagnie de Jésus, de vaillants champions. En Pologne, Pierre Skarga († 1612), Nicolas Cichovius ou Cichocki (1669), Théophile Rutka (j 1700) ; Godefroy Hannenberg († 1729). En Hongrie, le cardinal Pazmany († 1637), et Martin Szentivany († 1705). En Bohême. Jean Kraus († 1732). En Belgique, Théodore Antoine Peltanus († 1584) ; François Coster († 1619), voit t. iii, col. 1920 ; Charles Scribani (| 1129) ; Jean de Gouda († 1630). Lessius lui-même († 1623), qui joignit à ses autres mérites celui d’avoir fait œuvre d’apologétique dans deux de ses écrits, Quæ fides et religio sit capessenda consultatio. Anvers, 1609 ; De antichristo et ejus prœcursoribus, Anvers, 1611.
En France, le calvinisme eut de dignes adversaires dans beaucoup d’écrivains, dont plusieurs furent également de grands prédicateurs et de vaillants apôtres : Edmond Auger († 1591), voir t. i col. 2267 ; Jean Gontery († 1610), italien d’origine, t. vi, col. 1491 ; Louis Richeome († 1625) ; Pierre Coton († 1626), t. m. col. 1928 ; l’alsacien JeanJacques Schelïmacher, († 1733), t. iv, col. 1570, et beaucoup d’autres. Voir J. Brucker, La Compagnie de Jésus, p. 471, 758.
En Angleterre, ce fut surtout par le témoignage du sang que les missionnaires jésuites rendirent hommage à la foi catholique ; mais plusieurs se distinguèrent aussi par l’apostolat de la plume comme le bienheureux Edmond Campiau, Raliones decem quibus jretm certamen anglicanm Ecclesise minislris oblulit, 1581, voir t. ii, col. 1449 ; Jacques Gordon Ilunlley, Controversiarum christianæ fidei adversus huius temporis hirrelicos epitome, Cologne, 1620, voir t. vi. col. 1496 ; Robert Persons, De persecutione anglicana, Home, 1582. etc. : Jacques Mumford, The Question oj Questions, Gand, 1658, etc. ; Jean Spencer, The trial o/ the Protestante privale spirit, 1630, etc.
Au xix L’siècle, dans la nouvelle Compagnie de Jésus, la controverse protestante ne cessa pas. mais dans l’ensemble elle changea d’aspect. Sous l’influence de la philosophie moderne, du kantisme surtout, la protestantisme agressif modifia peu à peu son terrain d’attaque ; répudiant l’ancien conservatisme, la plupart des théologiens évangéliques s’en prirent aux bases mêmes du catholicisme et du christianisme, considérés comme religion fondée sur la révélation divine Des lors, la lutte se confondit à peu près, dans les grandes lignes, avec la lutte plus générale contre le rationalisme et ses tonnes multiples.
La controverse protestante eut une influence notable sur le développement de la théologie dans la Compagnie de Jésus. Elle contribua incontestablement à l’adoption et au maintien jaloux de la méthode gêné raie Indiquée ci-dessus, celle qui consiste à combiner, dans un degré plus accentué qu’auparavant, l’élément positif avec l’élément scolastique. Les novateurs