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JÉRÔME (SAINT). L’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE


s’était gardé de « paraître mépriser le sens simple et la pauvreté de l’histoire pour courir après les richesses du sens spirituel. In Beele., a, 2-1 sq., t. xxiii. col, 1033. Il savait que « ce serait faire violence à l’Écriture que de laisser de côté l’histoire. » Epist., i.xxiv. t. xxii, col. » 1 2. Pratiquement pourtant, assez restreinte était la place, assez secondaire l’attention qu’il accordait au sens littéral. Mais vers 398 nous le voyons donner un commentaire sérieusement historique des chapitres xiu-xxmd’Isaïe. Dans le commentaire sur saint Matthieu, qui est du même temps, c’est l’interprétation historique qui domine ; rarement l’auteur « se permettra d’y mêler les fleurs de l’intelligence spirituelle. > Prol. in Maith., t. xxvii, col. 20. Vers la fin de ce volume. « le lecteur est averti de ne point ajouter foi, s’il veut être prudent, aux interprétations superstitieuses, fantaisistes et arbitraires, données comme par fragments détachés, mais de faire attention tout à la fois au texte, à ce qui précède et à ce qui suit. » In Matth., xxv. 13, t. xxvi, col. 186. A la même époque encore, le commentaire sur Isaïe, xiii, 19, t. xxiv, 158 sq.. rappelle qu’ « assurément le sehs tropologique n’est pas à rejeter, mais quc l’interprétation spirituelle doit suivre l’ordre de l’histoire ; ce que plusieurs ignorent, puisqu’ils pataugent dans le champ de l’Écriture comme des gens en délire, lymphatico in Scripluris vagantur errore. »

Ainsi Jérôme, sans renier son attrait personnel pour l’allégorie, en était arrivé à la concilier dans une large mesure avec les droits primordiaux et incontestables du sens littéral Le temps et l’expérience ne firent que le confirmer dans cette disposition, comme le prouvent tous ses écrits postérieurs à 400. « Les considérations d’ordre spirituel, dit-il, gardent nos préférences, mais nous entendons cependant ne pas négliger la vérité historique : non hisloriam denegamus, sed spirilualem intelligenliam præjerimus > In Marc, ix, 1-7, Anecd. Mureds.. t. iii, pari. 2, p. 348. Une des qualités qu’il loue en Faula, Epist., cviii, ad Eustochium, 26, t. xxii, col. UÛ2, est « l’amour qu’elle avait pour l’histoire comme fondement de la vérité, tout en recherchant plus ardemment encore le sens spirituel. > "Dans l’histoire, écrit-il, il faut trouver le sens spirituel et dans la tropologie, la vérité de l’histoire ; chacune de ces deux choses a besoin de l’autre ; il n’y a point de science parfaite si l’une ou l’autre manque. » In Ezech., xli, 1 3, t. xxv, col. 101 Et ailleurs : » Pourquoi supprimerais-je la vérité de l’histoire, puisque c’est sur elle qu’est fondée l’interprétation spirituelle ? » Epist., exix, t. xxii, col. 1105. Le sens spirituel nous est donc constamment présenté comme dépendant du sens historique ou littéral, comme lui étant en général à la fois superposé et subordonné ; et les préférences pour le premier, dont il reste trace de-ci de-là, sont surtout préférences de sympathie théorique et d’habitude. Dans la dernière œuvre de Jérôme, le commentaire sur Jérémie. qui fut entrepris de 415 à 120 et qui est resté inachevé, les exemples d’interprétation allégorique sont courts et clairsemés.

D’ailleurs, si l’auteur demeure naturellement sympathique a l’allégorie, il en réprouve hautement les s, même et surtout dans O ri gène, sur les traces de qui il marchait jadis tranquillement. Il lui reproche entre autres son interprétation allégorique du paradis terrestre et de tout ce qui le concerne, y compris la chute de nos premiers parents. Contra Joan. Ilieros., 7, t. xxiii, 300. Amelli a découvert récemment un Tractatus contra Origenem de visions Isaiæ, composé vers 102, ou les principes et la tendance de Jérôme sont très nettement affirmés. O ri gène y est jugé sévèrement : dans tout son système, il manque de naturel et de vérité ; il aboutit a l’erreur, soit que l’on considère ses affirmations du [joint de vue historique, soit qu’on les

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envisage du point de vue allégorique. Il a le tort de recourir à l’allégorie uniquement par horreur des chemins battus, pour pouvoir dire du nouveau ; c’est eu s’abandonnant a cette inclination novatrice qu’il a enveloppe d’un épais brouillard bien des doctrines bibliques. Tract, in Is., vi, 1-7. Anecd. Mareds, t. iii, part. 3, p. 107. « Pour nous, continue Jérôme, nous ne sommes pas entêtés au point de croire que n ms devions rejeter un sens allégorique, dès qu’il est édifiant et puisé aux sources de la vérité. Mais il ne peut aller à l’encontre de la vérité ni bousculer l’histoire ; il doit suivre le sens de l’Écriture sainte et ne jamais donner le pas au caprice d’un sot exégète sur l’autorité de l’Écriture. L’histoire raconte tous les faits comme chacun d’eux s’est passé en son temps ; elle exige du lecteur qu’il fasse le bien et évite le mal. L’allégorie vient ensuite, qui s’élève en quelque sorte à travers l’histoire jusqu’à des régions supérieures ; elle doit planer au-dessus de l’histoire sans la contredire. Ainsi l’apôtre Paul, entre autres, en expliquant le mystère d’Adam et d’Eve, n’a point nié la création ; niais, prenant l’histoire comme base, il a sur ce fondement assis l’interprétation spirituelle. »

En résumé, sur le terrain de l’exégèse littérale, l’évolution de saint Jérôme apparaît manifeste et graduelle. D’abord allégoriste exagéré et facilement dédaigneux de la lettre, il en vient peu à peu à accorder au sens historique, aussi bien dans la pratique que dans la thérorie, une place qui, petite à l’origine, va s’élargissant de jour en jour, jusqu’à ce que l’allégorie soit tout à fait reléguée à l’arrière-plan et proclamée absolument dépendante du sens littéral. Ce changement, qui nous montre dans l’exégète parvenu à la pleine maturité de son talent non plus une opinion acceptée de confiance et routinière, mais une conviction raisonnée et personnelle, paraît avoir été en lui le résultat de trois causes : le contact avec les textes et leur manipulation quotidienne pour les traduire ou les commenter ne pouvaient pas ne point faire sentir l’importance primordiale de la lettre et la nécessité absolue de s’y cramponner pour échapper aux extravagances de la fantaisie ; ensuite, les violentes controverses soulevées à propos des erreurs d’Origène rendaient fatalement les procédés exégétiques de ce maître suspects à tous les esprits soucieux d’orthodoxie ; enfin, les relations de notre auteur avec les docteurs juifs semblent avoir agi dans le même sens sur ses idées et ses méthodes.

Si parfois nous rencontrons l’affirmation d’un sens spirituel ou allégorique exclusif de tout autre, c’est que le sens littéral a paru, ce qui est relativement très rare, impossible physiquement ou moralement. Le commentateur s’en explique sans ambages, In Matth., xxi, A, t. xxvi, 147 : « Chaque fois que le sens historique impliquerait une impossibilité ou une inconvenance, nous devons nous élever à des pensées plus hautes. » En un autre endroit, Dialog. adv. Luciferianos, xxviii, t. xxiii, 182, nous lisons que, dans certains cas, « en voulant nous tenir a la lettre, non. aboutirions à créer de, dogmes nouveaux. » Et In ls., xxii, 11, 12, t. xxiv, col. 265 : Ces passages sont difficiles, et le sens historique en est très obscur ; c’est pourquoi nous sommes obligé d’en proposer diverses interprétations anagogiques. i Ceci n’est que l’application d’un

procèdequinous connaissons déjà. Nous avons vu

plus haut. Inerrance, col.’.> il. que Jérôme ne se fail pas faute de recourir au sens spirituel, comme à un moyen de sauvegarder la parfaite véracité de la Bible, en échappant à d’apparentes contradictions ou a d’autres difficultés. Nous avons pu remarquer alors que les solutions tirées de là n’étaient pas toujours très naturelles ni pleinement satisfaisantes ; nous pourrions ajouter que, plus dune fois, la difficulté a résoudre est

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