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JÉRÔME (SA INI). L’INERRANCE BIBLIQUE

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douteuse. C’est cette Inutilité que signale et confirme la réflexion sur le langage ordinaire de l’Écriture : Quasi non milita, etc. Mais pour que la réflexion soit ad rem, il faut qu’elle relève dans l’Écriture une habitude, une série de cas semblables au cas visé. Celui-ci est l’emploi d’un nom dans un sens impropre, mais nettement déterminé comme tel ; c’est une façon courante de parler, inexacte en rigueur de termes, mais avec adjonction du correctif nécessaire. Parconséquent, l’opinion fausse, contraire à la réalité, dont il s’agit dans la réflexion subséquente, doit être une opinion fausse suffisamment caractérisée comme telle ; et cette réflexion ou l’usage qu’elle constate peut se formuler ainsi : l’Écriture accommode souvent son langage au langage et à l’opinion erronée du peuple, mais sans partager l’erreur et en mettant même en garde contre elle. S’il en était autrement, Jérôme n’aurait pas échappé, dans un développement de quelques lignes, à la contradiction la plus grossière. Supposé qu’il parle d’une opinion fausse enregistrée sans rectification, non seulement il commettrait un sophisme ou un paralogisme inexcusable, en passant comme subrepticement d’une espèce à une autre, en appliquant à un fait une règle qui concerne des faits tout différents, mais, de plus, on pourrait retourner son argument contre lui, on serait fondé à lui dire : Puisque la Bible nous transmet sans plus des traditions populaires erronées, ses interprètes ont grandement raison d’y introduire, le cas échéant, le correctif ou préservatif qui y manque.

Mais le sens de son observation et les conditions de l’usage qu’il signale ressortent aussi de l’exemple confirmatif qu’il ajoute immédiatement et qu’il tire de Luc, i, 34, rapproché de Luc, ii, 48 : Denique et Joseph, etc. Dans cette phrase, où l’adverbe denique a le sens conclusif, Jérôme allègue un fait qui vient manifestement à l’appui de l’observation précédente, parce qu’il en est une application. Ce fait, c’est le langage des évangélistes, qui, parlant en leur nom propre ou rapportant les paroles de Marie, appellent saint Joseph père de Jésus, sans que personne puisse supposer que les évangélistes aient ni ignoré ni laissé ignorer le vrai sens de cette appellation empruntée au langage courant. Une preuve, entre autres, qu’ils ne l’ont pas laissé ignorer est contenue dans les récits de Matthieu et de Luc concernant la conception virginale de Jésus, récits qu’assurément Jérôme avait présents à l’esprit. En résumé donc, ici encore il a voulu parler d’une appellation qui reflète l’opinion vulgaire tout en la corrigeant. Son observation concernant l’usage scripturaire ne peut donc s’entendre que dans le même sens. La véritable portée en est fixée à la fois par ce qui la précède et l’amène et par ce qui la suit pour la confirmer.

Les explications que nous venons de développer, s’appliqueront facilement, et pour les mêmes raisons, a la seconde formule indiquée plus haut et dont nous allons donner le contexte. Au texte Jerem., xxviii, 15 : Et dixit Jeremias prophela ad Ananiam prophelam, Jérôme rattache ce commentaire : Et hic in Septuaginta Ananias prophela non dicitur, cum secundum hebraicum Scriplura sancta prophelam vocel… Sed historiée verilas et ordo servatur, sicut prædiximus, non juxla id quod erat, sed juxta id quod illo tempore putabatur. On remarquera d’abord que l’auteur lui-même, dans cette seconde formule, nous renvoie à la première, comme à son équivalente : sicut prædiximus. Et de fait, le cas à expliquer est le même de part et d’autre ; il est donc naturel que l’explication soit identique, et les considérations alléguées ci-dessus conservent toute leur valeur par rapport a la nouvelle formule. Comm nulle part, Jérôme ne fait sienne l’illusion de la foule concernant Ananie, nulle part non plus il ne laisse planer le

moindre doute sur son propre sentimen : partout, au conlraiie, il dit, interprétant Jérémie et prétendant donc être l’écho Adèle de sa pensée, qu’tnanie est un

séducteur. Conséquemment ici, il atteste qu en disanl propheta, manifestement au sens de pseudoprophela, l’Écriture reste dans la règle et la vérité de l’histoire, parce qu’elle accommode son langage à une opinion populaire et fausse, présentée comme telle.

Les deux formules que nous avons examinées peuvent recevoir un supplément de lumière d’une troisième, qui leur est sans aucun doute parallèle. Celle-ci se rencontre dans le commentaire du chapitre xxvii. Elle se rapporte aux versets 14 et 15. dont voici la teneur : « Nulile audire verba prophelarum dicenlium vobis : Nolite servire régi Babulonis, quia mendacium ipsi loquuntur vobis, quia non misi eos, ait Dominus, et ipsi prophetanl in nomine meo mendaciler.t Là-dessus Jérôme a greffé cette glose : Observandum autem in Scriptura sancta quod, pro pseudoprophelis, appellct prophetas qui valicinentur in nomine Domini mendaciler. Les dernières paroles sont celles mêmes du texte sacré. En les reproduisant telles quelles, le commentateur a voulu marquer de façon plus sensible que c’est la Bible elle-même qui ajoute ce déterminatif au nom de prophètes ; il nous dit que, partout où elle donne ce nom aux faux prophètes, elle ajoute, sous une forme ou sous une autre, la caractéristique de prophètes menteurs. On le voit, c’est toujours de l’accommodation biblique au parler courant qu’il s’agit, nous avons affaire à une troisième expression de la même tendance ou habitude ; mais ici cette circonstance, que la Bible, quand elle énonce ou reflète des opinions fausses, a soin de les caractériser comme telles, est encore plus nettement affirmée que précédemment.

3. In Ezeçh., xiii, 1-3, P. L., t. xxv, col. 112. — Ce que saint Jérôme a écrit concernant ces trois versets confirme bien notre interprétation de son commentaire de Jérémie. Voici d’abord sa traduction fidèle destroisversetsd’après l’hébreu : El factuseslscrmoDomini ad me dicens : Fili hominis, âalicinare ad prophetas Israël, qui prophetanl ; et dices prophetanlibus de corde suo : Audite verbum Domini ; hsec dicit Dominus Deus : Vee prophelis insipienlibus, qui scquuntur spirilum suum et non vident.

Il s’agit ici, personne ne le niera, de faux prophètes très nettement appréciés à leur valeur réelle, puisqu’ils prophétisent de leur chef, de corde suo /puisqu’ils consultent et suivent, en insensés qu’ils sont, non l’esprit de Dieu, mais leur propre esprit ; puisqu’enfin ils ne sont favorisés d’aucune vision. Et cependant Ézéchiel, ici comme ailleurs, leur donne le titre de prophètes, de prophètes d’Israël. Le cas est entièrement semblable à celui de Jérémie. On ne sera donc pas étonné que les Septante, obéissant peut-être, comme plus haut, à je ne sais quelle crainte religieuse, aient pratiqué dans notre texte une petite suppression, du reste bien inutile à tout point de vue ; ils ont omis les mots :

qui prophetant, prophetanlibus de corde suo. On sera

moins étonné encore d’entendre Jérôme répéter sa remarque sur l’accommodation habituelle du langage de l’Écriture. Il le fait, en des termes qui mettent en pleine lumière sa pensée, telle que nous l’avons déjà définie. Après avoir signalé l’omission des Septante, il ajoute, pour justifier à la fois le texte hébreu et sa version à lui : Est autem sermo contra pseudoprophetas, qui decipiebant populum et contra Dei mandata altud prophetabant. Nec qucmplam moveat quod prophelæ appellantur ; hanc enim habet sancta Scriplura consueludinem, ut unumquemque valicinationis suce et sermonis prophelam nuncupet, sicut prophela : appellantur Baal, el prophétie idolorum, et prophétie confiuionls. Unde ri apostolus Paulus poetam grsecum prophelam vocal (Tit.